Emmanuel Macron à TF1 : le plus vu à la télé est-il vraiment le plus sûr d’être élu ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 15 décembre 2021 d'un écran de télévision diffusant l'entretien du chef de l'Etat sur TF1. Emmanuel Macron était interrogé sur le bilan de son quinquennat.
Une photo prise le 15 décembre 2021 d'un écran de télévision diffusant l'entretien du chef de l'Etat sur TF1. Emmanuel Macron était interrogé sur le bilan de son quinquennat.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Concurrence faussée ?

Différentes études de sociologie ou de sciences politiques montrent que la télé a bien une influence sur le vote. Mais pas forcément par les mécanismes qui nous paraissent les plus évidents.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Thierry Vedel

Thierry Vedel

Thierry Vedel est chercheur CNRS au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po). Il enseigne la communication politique à HEP de Paris et à l'Institut français de presse (université Paris-ll).

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Atlantico : Très présent à la télévision, Emmanuel Macron a une nouvelle fois pris la parole pour une longue interview mercredi. Face à lui, ses opposants sinsurgent que son temps de parole ne soit pas décompté. Ce déséquilibre est-il de nature à avoir une influence sur l'élection ?

François-Bernard Huyghe : Premièrement, c’est au CSA de déterminer le temps attribué à la parole gouvernementale et à la propagande électorale. La question que vous posez est de savoir si plus l’on expose les gens à la communication gouvernementale, plus ils votent pour le gouvernement et inversement pour l’opposition, donc s’il y a un effet quasi mécanique du temps de cerveau humain soumis à tel ou tel discours. La question se pose depuis longtemps. En 1962, il en était déjà question lors du duel Kennedy Nixon car, d’après les sondages sur l’impact du débat, le premier avait gagné à la télévision et le second à la radio : à média différent, effet divers. À l’évidence ce  n’est pas celui qui parle le plus qui gagne. De Gaulle a fait très peu de télévision en 1965 car il ne voulait pas dégrader la dignité de la fonction, et il a été réélu. Donc il n’y a pas de lien automatique. Par ailleurs, nous sommes dans une situation de concurrence idéologique importante et de diversité de l’offre. Pour caricaturer, si vous êtes plutôt conservateur inquiet vous trouverez votre bonheur sur CNEWS et si vous êtes plus libéral ce sera sur BFMTV, avec d’éventuels effets de renforcement. Par ailleurs, celui qui argumente le plus ne sort pas forcément gagnant. Les chiffres, les raisonnements préparés et éléments de langage ne suffisent pas, il s’établir aussi un rapport personnel entre le spectateur et le politique. Aristote le disait déjà : pour convaincre, il faut le logos (la logique du discours), l’ethos (la position de celui qui parle) et le pathos (susciter de l’émotion).

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Et le vrai bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron est déjà là, caché à la vue de tous...

Thierry Vedel :  Nous avons généralement  tendance à penser que les médias ont beaucoup d’influence sur les électeurs. La plupart des politiques en ont la conviction, d’où leur attachement à la comptabilité des temps de parole, avec cette idée que plus on parle, plus on peut persuader. En sociologie des médias, on désigne cette représentation comme le modèle de la seringue hypodermique : tout ce qu’on met dans le tube, passe dans la tête des gens. Dans les faits, c’est bien plus complexe.

Nous interprétons les informations que nous recevons en fonction d’une grille de lecture préexistante, et particulièrement à partir de nos valeurs et attitudes politiques préalables. Contrairement à la formule de Saint-Thomas, nous ne croyons pas forcément ce que nous voyons, nous voyons ce que nous croyons. Nos pratiques informationnelles sont sélectives d’au moins trois façons : nous nous exposons à certaines sources et pas à d’autres, nous portons plus d’attention aux messages qui confortent nos opinions et nous les mémorisons mieux que ceux qui sont contraires à ce que nous pensons. Ce phénomène est particulièrement manifeste les réseaux sociaux où nous sommes souvent enfermés dans des bulles informationnelles. En revanche, la télévision, à travers les JT ou les débats politiques nous expose à une plus grande diversité de points de vue.

Le sociologue américain John Zaller a montré que ceux qui consomment beaucoup d’information politique dans les médias ont des opinions déjà très structurées, tandis que ceux qui seraient les plus vulnérables aux messages politiques consomment peu les médias.

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Lorientation de lagenda médiatique sur certains sujets peut-il favoriser certains candidats ?

Thierry Vedel  : Si les médias ne nous disent pas quoi penser, ils nous disent à quoi penser. Ils focalisent l’attention sur un certain nombre de questions. Ils définissent et hiérarchisent les sujets dont on va débattre. Cet effet d’agenda a été identifié et documenté par de très nombreuses études. Ensuite, tout dépend de la capacité des partis et des personnalités politiques à s’emparer des questions qui structurent le débat public et à les traiter à leur avantage. Les candidats ont intérêt à inscrire sur l’agenda médiatique les sujets qui constituent traditionnellement leur « fonds de commerce », ce qu’on appelle  l’issue ownership en communication politique. Par exemple, les partis de sont plus à l’aise pour aborder les questions de sécurité que les partis de gauche, qui eux ont plus de facilité avec les questions liées aux inégalités sociales.

Plus qu’une personnalité politique, le contenu télévisuel en matière de séries, d’information, peut-il participer au choix du vote ?

François-Bernard Huyghe : Nous sommes dans une situation où il y a beaucoup d’offres susceptibles de renforcer notre positionnement idéologique. Si vous êtes déjà inquiet de l’insécurité ou si vous vous plaignez des poids qui pèsent sur le monde de l’entreprise, vous pourrez avoir confirmation sur certaines chaînes de télévision plutôt que d’autres. Il est aussi vrai que les questions idéologiques, sociétales sur l’immigration, la violence, les LGBT, etc. imprègnent énormément la culture de distraction : ces  problématiques sociétales se sont beaucoup imposées dans les séries. D’autres contenus télévisuels, entre la distraction, dérision, mode  et le débat culturel, comme les émissions de Cyril Hanouna ou "Quotidien", ont des contenus idéologiques. Sans qu’il s’agisse de propagande au sens strict, il y a un enjeu d’hégémonie politique : valeurs, positions, hiérarchie, mode, etc..

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Une étude italienne a montré que ceux qui étaient abonnés à Mediaset, la chaîne de télévision de Berlusconi, étaient plus susceptibles de voter pour lui. Quest-ce que cela nous dit de limpact, de la télévision ou des programmes ?

François-Bernard Huyghe : C’est un problème d’œuf et de poule : berlusconiens parce qu’exposés à certains contenus ou préférant un certain type de messages (y compris distractifs) parce que sociologiquement ou culturellement plus réceptifsi ?  A minima, il y a sélectivité et prédisposition d’un certain public. Les gens qui étaient abonné à Médiaset l’étaient principalement parce que cela correspondait à leur vision de la société. On pourrait faire le même test avec les auditeurs de France Inter ou Radio Sud : nos consommations audiovisuelles renvoient à des préalables idéologiques dont nous sommes tous imprégnés, même vaguement et à une certaine sociologie.

Thierry Vedel : On observe fréquemment une corrélation entre la ligne éditoriale de certaines chaînes et les préférences politiques de ceux qui les regardent. Mais on ne sait pas dans quel sens se fait la causalité. Avons-nous telle opinion politique parce que nous sommes influencés par une chaîne de télévision ou une station de radio ; ou bien est-ce parce que nous avons une opinion politique précise que nous choisissons de regarder cette chaine ou d’écouter cette radio? .

La télévision a-t-elle un rôle différent des autres médias sur la manière dont-elle influe ou non le vote ?

François-Bernard Huyghe : Bien sûr car elle établit un rapport interpersonnel avec celui qui parle. Voir agit autrement qu’entendre ou lire. Face à des visages en gros plan, on éprouve de la sympathie ou de l’antipathie, on se sent « proche » ou pas, rassuré ou pas, et pas seulement convaincu ou sceptique. De plus, le mode de consommation est différent. On consomme souvent la télévision en famille, c’est l’occasion de débattre ou de renforcer ses convictions. Du moins pour certaines tranches d’âge.

Est-ce que lexposition qu’offre la télévision est un critère déterminant dans l’élection ? A-t-elle un effet même marginal ?

Thierry Vedel : Depuis la fin des années 1960, la télévision est la première source d’information des Français en matière politique. Certes, avec le développement de l’internet et des réseaux sociaux, sa part a sensiblement diminué, mais elle reste encore le principal moyen d’information pour plus de 40% des électeurs (contre 30% pour l’internet).  

À certains moments la télévision recueille des audiences considérables. Ainsi l’allocution du Président de la République le 13 avril 2020 a été suivie par plus de 36 millions de téléspectateurs. La télévision touche un public généraliste, avec cependant une surreprésentation des catégories les plus âgées et les plus intéressées par la politique (ces deux éléments étant d’ailleurs liés : l’intérêt pour la politique progressant avec l’âge).

Par rapport à d’autres sources d’informations, la télévision a le mérite de présenter une certaine diversité de points de vue autour des grandes questions qui font le débat public. Lorsqu’on regarde un débat télévisé, on s’expose à des arguments qui ne vont pas forcément dans le sens de nos convictions. Par contraste, l’internet et particulièrement les réseaux sociaux favorisent l’homophilie politique : du fait des algorithmes des plateformes, nous sommes surtout exposés aux posts de nos amis qui souvent pensent comme nous. C’est le phénomène des chambres d’écho qui conduit les internautes à échanger principalement avec des personnes qui ont les mêmes points de vue. On l’observe surtout sur Facebook ou Youtube. Sur Twitter, les choses sont un peu différentes car on y trouve beaucoup d’activistes qui sont d’ailleurs dans une logique expressive, d’affirmation de leurs points de vue, plus que de discussion rationnelle et argumentée.

Il y a donc un biais de confirmation plutôt qu’un biais de conviction ?

François-Bernard Huyghe : Il y a un biais de confirmation, certes. La télévision reste un outil d’exposition, le meilleur moyen de se faire voir par des millions de gens. Cela ne peut évidemment pas être sans influence mais elle impose moins les convictions dans un nouvel environnement médiatique, notamment des réseaux sociaux. Depuis Giscard ou Mitterrand, on ne se pose plus guère la question de savoir si la télévision a pu faire basculer le second tour : au plus accentuer des tendances. La télévision n’est pas une cause unique et toute puissante de ce que penserait un public passif et fasciné.

Avec lavènement des réseaux sociaux, les Français font-ils alors toujours confiance à la télévision ?

François-Bernard Huyghe : Desdizaines d’études montrent les différences dans la consommation de la télévision par rapport aux réseaux sociaux. Sur les réseaux sociaux de multiples contenus permettent de se renforcer dans ses convictions, en créant des liens avec des gens « comme vous » et en commentant, recommandant, évaluant ... Sur les réseaux sociaux il est très facile de se prouver qu’on a raison.

Quant à la confiance en général, voir depuis des années baromètre de la Croix sur la confiance dans les médias. Les Français ont très peu confiance dans les médias, en particulier dans la télévision (même s’ils se méfient théoriquement beaucoup des réseaux sociaux). Les Français sont méfiants face à leurs élites, leurs institutions et leurs médias.

Thierry Vedel : Depuis le milieu des années 1990, à la suite de la guerre d’Irak et l’invasion du Koweit, on constate une défiance l’égard des médias. Dans le Baromètre de confiance politique que réalise chaque année le CEVIPOF, seulement 28% des Français avaient confiance dans les médias et 17% dans les réseaux sociaux en février 2021. Paradoxalement, même s’ils n’ont pas confiance dans les médias et dans l’internet, les Français restent de gros consommateurs de télévision et deux tiers d’entre eux ont un compte ou un profil sur les réseaux sociaux. On observe ce comportement paradoxal à l’égard des chaînes d’information en continu. Celles-ci sont très critiquées et leurs journalistes sont parfois traités de « collaborateurs » ou vilipendés dans les manifestations. En même temps, l’audience des chaînes d’information en continu s’est fortement accrue au cours des dix dernières années.

La télévision reste donc une source d’information politique importante. Cependant, la façon de la regarder a changé. Elle est moins linéaire et moins concentrée sur les grands JT et émissions et magazines politiques. Elle est plus fragmentée. Les JT de TF1 et France2 ne sont plus les grandes messes qu’ils étaient dans les années 1970 et 1980. On continue de s’informer avec la télévision, mais pas tous en même temps et en glanant nos infirmations sur une plus grand nombre de supports.

La télévision permet-elle de toucher un public plus large alors que les réseaux sociaux parlent plus au socle militant ?

Thierry Vedel :  La télévision a une puissance de frappe inégalée. Chaque soir les 20h de TF1 et de France 2 touchent environ 10 millions de téléspectateurs. Les réseaux sociaux n’ont pas cette capacité et de surcroît ont des publics plus spécifiques que la télévision. Ces publics ne sont pas forcément plus jeunes pour ce qui concerne l’information politique (les jeunes sont bien omniprésents sur les réseaux sociaux mais ils se détournent très majoritairement de la politique).  De plus, il faut faire des distinctions selon les plateformes. Facebook a un public assez généraliste, mais qui s’intéresse assez peu à la politique, ou alors de façon incidente ou accidentelle. Twitter est nettement plus politisé et est devenu une arène secondaire du débat politique où s’affrontent citoyens engagés, activistes et militants, parfois en menant des actions très organisées et coordonnées. Youtube est sans doute une plateforme de plus en plus importante pour la politique, au travers d’une multitude de chaînes qui abordent des enjeux sociaux ou politiques et sont parfois suivies par des centaines de milliers d’internautes.

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