Emmanuel Macron à la messe avec le pape ? Ces troubles motivations de ceux qui hurlent au scandale<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron assistera à la messe célébrée par le pape François au stade Vélodrome de Marseille le 23 septembre.
Emmanuel Macron assistera à la messe célébrée par le pape François au stade Vélodrome de Marseille le 23 septembre.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Laïcité

Les critiques sur la présence d'Emmanuel Macron à la messe célébrée par le pape François à Marseille proviennent principalement de la gauche.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Emmanuel Macron assistera à la messe célébrée par le pape François au stade Vélodrome de Marseille le 23 septembre. Les critiques pleuvent, principalement à gauche. Quelles sont les raisons de ceux qui hurlent au scandale ?

Christophe de Voogd : Permettez-moi de corriger : « les critiques pleuvent à l’extrême-gauche » : 90% proviennent de la NUPES.

Il faut d’abord distinguer les stratégies en présence : celle de la NUPES justement et celle du Président. La première cherche à l’évidence à allumer un contre-feu après son désastre sur l’abaya où sa position était rejetée par l’immense majorité des Français et minoritaire dans son propre électorat. Après quinze jours de descente aux enfers de l’opinion, elle a trouvé dans la décision d’Emmanuel Macron d’assister à la messe pontificale, une branche providentielle - c’est le cas de le dire - à laquelle se raccrocher in extremis.

Du côté d’Emmanuel Macron, l’objectif est, « en même temps » oblige, plus complexe. Il s’agit d’abord d’envoyer un signe à l’électorat catholique qui s’inscrit dans une de ces « séquences » qu’affectionne le Président, avec simultanément l’appel au sauvetage des églises de « la France profonde ». Parallèlement, et on l’oublie trop souvent, Emmanuel Macron va à un événement bien précis : une visite pontificale centrée sur la question des migrants, sur laquelle François exprime la conviction « progressiste » que l’on sait. La décision d’Emmanuel Macron vise donc là plus spécifiquement l’électorat catholique de gauche et la fibre humanitaire de la gauche française. A quoi s’ajoute l’enjeu européen dans le cadre de la crise de Lampedusa et le soutien français indéfectible à la politique bruxelloise de répartition des migrants, que le Président vient de réitérer. D’une pierre, trois coups donc. Je rappelle à cette occasion que le groupe Renaissance s’était opposé en avril à un amendement PPE visant à autoriser, contre la volonté de la Commission, l’octroi de crédits communautaires aux mesures de renforcement des frontières nationales dans le cadre du budget 2024.

Sur le fond, cette présence d’Emmanuel Macron à Marseille est-elle une entorse au principe de laïcité ?

Vaste sujet que celui de la laïcité qui touche au droit, à l’histoire et à la philosophie politique. J’en connais autant de définitions que de spécialistes, lesquels semblent par ailleurs pulluler sur les réseaux sociaux. Je suis assez sceptique sur la distinction entre « laïcité ouverte » et « laïcité fermée » qui me semblent dissimuler, pour la première, une vision communautariste et, pour la seconde, un zèle anti-religieux.

Je l’aborderai ici sous l’angle de l’historien du discours politique qui est le mien. Pour observer d’abord que comme pour la querelle de l’abaya, les adversaires du geste présidentiel utilisent avec constance les mêmes procédés rhétoriques, en particulier les sophismes de la fausse analogie et de la fausse dichotomie. Fausse analogie quand on compare ce qui n’a rien à voir : la collégienne en abaya avec un responsable politique à une messe, comme on avait comparé l’abaya elle-même, habit religieux du croyant ordinaire, avec les habits des religieux (le curé en soutane, la bonne sœur en cornette, voire la Vierge Marie elle-même). La fausse analogie du « c’est comme » ou « c’est comme si » est l’un des sophismes préférés de la rhétorique « insoumise » et des réseaux sociaux : elle signale immanquablement la mauvaise foi et/ou l’ignorance. Elle a ici pour but de mettre l’islam et le christianisme, non pas dans une stricte égalité juridique - ce qui est déjà le cas – mais culturelle et identitaire. L’on oublie ainsi - ou feint d’oublier - que « la France », ce n’est pas que « la République » et que notre passé chrétien est omniprésent et déterminant. Le dire n’est pas un jugement de valeur mais de fait, reconnu par le Conseil d’Etat lui-même dans sa jurisprudence libérale à l’égard des manifestations « traditionnelles » et « culturelles » de la religion (fêtes, monuments, crèches dans l’espace public etc.). Il est vrai que sa jurisprudence se durcit sous la pression du politiquement correct, comme on l’a vu dans des cas récents. Mais allons-nous supprimer les « Saint » de tant de nos communes au nom de la laïcité ? Supprimer les jours fériés, issus pour la plupart du calendrier chrétien ? Ou, inversement, exiger, au nom de « la neutralité de l’Etat » que l’on construise autant de nouvelles mosquées que l’on restaure d’anciennes églises ? Il est vrai que certains le verraient d’un bon œil... Pour paraphraser Jean-Louis Bourlanges à propos de l’Europe, « être Français, ce n’est pas être chrétien mais l’avoir été ». En ces journées du patrimoine, cette évidence saute aux yeux. Sauf à ceux, de plus en plus nombreux hélas, qui ne veulent « pas voir ce que l’on voit », comme disait Péguy.   

Le second sophisme, la fausse dichotomie, est manifeste quand on prétend que la laïcité signifie la coupure absolue et réciproque entre l’Etat et les religions : alors pourquoi les églises construites avant 1905 sont-elles des biens publics ? Pourquoi le ministre de l’intérieur est-il aussi chargé officiellement des « cultes » ? Et pourquoi l’Etat finance-t-il les aumôniers des prisons, des armées et de l’éducation nationale ? Sans même parler des départements où la loi de 1905 ne s’applique pas. Quant à l’islam, combien de dérogations, d’arrangements fonciers et financiers, notamment avec les collectivités locales, pour qu’il dispose de lieux de culte et de ressources propres ? Pour l’historien qui se souvient des sévère répressions anticatholiques, avant comme après la loi de 1905, et notamment pour son application martiale aux « inventaires » des biens de l’Eglise, le traitement de l’islam en France est tout sauf discriminatoire : ceux qui invoquent l’histoire de la laïcité en faveur des Musulmans devraient donc y réfléchir à deux fois.    

Enfin, dans le cas d’espèce, les précédents abondent d’assistance présidentielle à un culte, sans que personne n’ait alors rien trouvé à redire : de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Sarkozy et même François Mitterrand. Comme ils ne trouvent rien à redire lorsqu’Emmanuel Macron se rend dans une mosquée pour un iftar, tout comme des députés de la France insoumise elle-même. Le « deux poids, deux mesures », autre procédé clef de la rhétorique LFI fonctionne à plein régime comme sur tant de sujets (violences conjugales, violence politique, voile, libertés publiques etc.). Certes, Clemenceau a toujours évité les églises, même pour célébrer la victoire de 1918 : mais nous avons affaire ici à un anticlérical viscéral, ce qui est un choix politique et personnel qui n’a rien à voir avec la laïcité en soi. Même François Hollande, qui n’a rien d’un ami des religions, s’est rendu dans la grande synagogue de Paris pour rendre hommage aux victimes des attentats et à Notre-Dame pour la messe d’hommage au père Hamel. La loi de 1905 est muette sur le sujet et le Conseil d’Etat ne s’est jamais prononcé sur ces cas, dont on voit mal d’ailleurs de quel recours il pourrait faire l’objet. Ce qui ne retire rien au fait, comme je l’ai dit, que le Président a évidemment des arrière-pensées politiques en allant à la messe de Marseille.  

A quoi sert la stratégie de la conflictualisation de tout ?

On constate en effet que la rhétorique de J.L Mélenchon devient de plus en plus incendiaire : il ne passe plus guère de jour sans un appel à la « révolution », à la « désobéissance », au « renversement du système » etc. Sa sortie du consensus républicain est désormais actée et les Français, comme le montrent les derniers sondages, en sont bien conscients. Ce qui devrait poser une question simple que dissimulent les euphémismes de la rhétorique médiatique dominante (« arc républicain », « radicalité » et encore une fois « gauche » alors qu’il faudrait dire « extrême gauche »): le leader de LFI n’est-il pas en train de sortir de la légalité ?

Il faut sans doute faire la part, dans cette dérive, du bilan si frustrant d’une longue et vaine carrière politique (comme vient de le reconnaître Mélenchon lui-même). Mais il a sans doute aussi une visée tactique: aller toujours plus loin dans l’hystérisation du débat - quitte à détruire la NUPES - pour capter l’électorat non négligeable qui s’y reconnait : électorat musulman sous emprise islamiste, partie de la jeunesse étudiante idéologisée, petite bourgeoisie (surtout employée dans le secteur public) en mal de reconnaissance et de pouvoir d’achat et hantée par la peur de la prolétarisation. D’où ce maximalisme de gauche qui peut fonctionner, notamment avec le relais complaisant des médias publics, dans un pays marqué par ce qu’Albert Thibaudet appelait « le sinistrisme ». Le « toujours plus à gauche ! » est une recette éprouvée dans notre histoire, des Enragés de la Révolution aux communistes du XXème siècle, mais il a deux limites : il interdit l’accès au pouvoir en démocratie, et surtout il est en voie de remise en cause dans les profondeurs de l’opinion, comme le montre l’essor spectaculaire du RN. En somme, la tactique mélenchonienne pourrait lui permettre l’accès au second tour dans le contexte d’une très forte polarisation politique en 2027 si le centre et la droite ne trouvent pas un candidat crédible. Mais, du même coup, elle garantit son échec au second. Et c’est là que l’on peut s’interroger sur le caractère suicidaire de cette surenchère constante. Max Weber a bien montré comment « l’éthique de conviction » (feinte ou non) portée à l’incandescence produit exactement le résultat contraire à celui qu’elle prétendait atteindre.

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