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Emmanuel Macron : vers une majorité parlementaire introuvable en cas d’élection à l’Elysée ?
©REUTERS/Jacky Naegelen

Et après ?

Qu'on se le dise, le bénéficiaire du vote utile pour cette année d'élection présidentielle est le leader du mouvement "En Marche !", Emmanuel Macron. Mais vu les larges ralliements du candidat, difficile de l'imaginer obtenir une majorité parlementaire, tout du moins unie à l'Assemblée nationale.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Le psychologue de gauche Gérard Miller a déclaré dans une tribune au Monde qu'il était déplorable que des électeurs de gauche préfèrent voter pour Emmanuel Macron pour faire barrage au FN dès le premier tour. Ne soulève-t-il pas en creux un problème d'Emmanuel Macron, qui rassemble beaucoup de soutiens pour des raisons négatives (1/3 de ses soutiens selon un sondage BVA du 7 mars) ? Peut-il gouverner avec un gouvernement si disparate ?

Jean Petaux : Que des électeurs de gauche préfèrent voter pour Emmanuel Macron que pour Benoit Hamon n’est pas plus déplorable que l’obsession qui est celle de Gérard Miller de rechercher la lumière des projecteurs en privilégiant les thèses sinon originales du moins hétérodoxes. Emmanuel Macron bénéficie en ce moment de ce que l’on appelle le phénomène « vote utile ». Cela n’a rien de nouveau et s’applique à chaque élection présidentielle. Pour n’évoquer que les deux dernières (2007 et 2012), ce mécanisme a joué à chaque fois, et, ce qui ne manque pas d’intérêt, il a impacté différemment un même candidat, à chacune des deux élections. En 2007, le vote utile a failli bénéficier à François Bayrou qui, dans les derniers jours de la campagne du premier tour, a opéré un spectaculaire rapprochement dans les intentions de vote à proximité de Ségolène Royal au point d’obtenir au soir du 1er tour 18,57% des suffrages exprimés quand Ségolène Royal bénéficiait encore certes d’une avance substantielle par rapport à lui (25,87%) mais avait quand même spectaculairement baissé par rapport aux mesures de décembre 2006 où, après la primaire citoyenne elle pointait à 35% des intentions de vote. Les électeurs de 2007, hostiles à Sarkozy (y compris nombre de socialistes et parmi eux des cadres importants du parti au plan national) se sont vraiment interrogés sur « qui pouvait être le mieux à même de battre Sarkozy au second tour ». François Bayrou a, incontestablement, bénéficié de cette interrogation et est même apparu comme une menace réelle pour le candidat Sarkozy qui a accueilli avec une vraie satisfaction la « qualification » de la présidente de Poitou-Charentes au second tour de la présidentielle, sachant alors très bien qu’il la battrait aisément. Ce qui a été confirmé par le score sans appel de Nicolas Sarkozy au second tour : 53,06% des SE. En 2012 en revanche, le « vote utile » joue totalement en défaveur de François Bayrou. Pour les électeurs hostiles au président sortant (près des trois-quarts du corps électoral, puisque Sarkozy obtient 27,18% des SE au premier tour) ce qui importe c’est, d’une part, qu’il ne « sorte » pas en tête du premier tour (il va échouer de peu : 1,5% des voix) et, d’autre part et surtout, qu’il soit défait au second tour. En conséquence de quoi même les électeurs sceptiques sur François Hollande, sa personnalité, son programme, etc., vont opter de voter pour lui, qu’ils estiment le mieux placé, pour battre Sarkozy. Une des conséquences de ce choix stratégique va être que François Bayrou ne va pas passer la barre des 9% des voix. Certes en valeur absolue les 3.275.000 suffrages qu’il obtient alors sont plus nombreux que les 2.919.000 voix recueillies par François Fillon à la primaire de la droite en novembre 2016 et qui fait croire à tout le monde que sa légitimité politique à droite est phénoménale (joli coup d’intoxication… volontaire au demeurant…), mais on voit bien que, par rapport à 2007, Bayrou n’incarne plus le réflexe « vote utile » en 2012.

Le vote utile est un phénomène compliqué à comprendre qui repose essentiellement sur des représentations, des anticipations plus ou moins rationnelles et, in fine, se présente aussi comme une « prophétie autoréalisatrice ». Une partie de l’électorat choisit délibérément de soutenir un candidat non pas pour ce qu’il dit ou promet ou défend mais pour ce qu’il porte avec lui comme capacité de destruction d’un autre candidat. Et plus il y a de personnes qui font ce choix, plus le candidat voit sa « cote » monter dans les sondages et plus il devient « utile » de voter pour lui.  Mais il reste que c’est un vote qui est destiné à empêcher plus qu’à légitimer. En matière sportive on qualifie ce genre de conduite soit de « pourrissement du jeu » soit de « verrouillage » : le bon vieux « catenaccio » qui a fait la réputation du football italien des années 70.

C’est la raison pour laquelle il faut bien distinguer plusieurs phases qui ne sont pas obligatoirement et logiquement liées entre elles. Les électeurs qui votent « utile » font, eux, parfaitement la distinction entre les « moments politiques ». On peut dire qu’ils sont stratèges en hiérarchisant les priorités et en les ordonnant dans le temps. D’abord, en l’espèce, ils vont voter Emmanuel Macron pour battre Marine Le Pen. Parce que, tout simplement, ils estiment que les autres candidats ne sont pas (ou plus) capables de battre la présidente du FN. Fillon est méchamment abimé, moralement, politiquement peut-être même juridiquement et ne ralliera jamais l’électorat de gauche au second tour comme a pu le faire Chirac en mai 2002. Hamon est totalement borduré sur la gauche rose-verte de l’échiquier politique et ne ralliera pas l’électorat de la droite contre Marine Le Pen. Mélenchon : n’en parlons même pas.

Donc il n’en reste qu’un : Macron. C’est exactement le raisonnement de Daniel Cohn-Bendit, de Patrick Braouzec ou de Bertrand Delanoë.

Ensuite, si tant est que cela aura réussi grâce à leur choix, s’organiser pour gouverner. Aussi bien pour l’exécutif (quel « binôme PR-PM par exemple ?) que pour le législatif (quelle majorité parlementaire à l’Assemblée nationale par exemple ?). On peut presque dire que pour ces électeurs d’Emmanuel Macron, guidés par cette logique du vote utile, « à chaque jour suffit son problème ».

Avec des soutiens qui vont de Robert Hue à Alain Madelin, n'y a-t-il pas un risque de devoir gouverner contre son gouvernement ? Ou sous l'influence pressante d'un courant dominant (par exemple le Modem) ? 

Emmanuel Macron et ses proches font le pari que sa victoire à la présidentielle va générer immédiatement un « engouement » électoral aux législatives de juin en faveur de candidatures « Macron » ou bien favorables à des députés sortants qui auront clairement annoncé leur soutien au nouveau président de la République. Par exemple comme les « députés réformateurs » proches des députés Christophe Caresche (qui a depuis rallié Macron) ou Gilles Savary (député socialiste de la Gironde, très apprécié par ses collègues parlementaires parce que l’un des plus sérieux et influents des députés) qui a demandé à bénéficier du statut « d’objecteur de conscience » pour justifier qu’il ne fait pas campagne pour B. Hamon. C’est avec une telle majorité, composite, plurielle, sans doute relative et non pas absolue, que le nouveau président de la République, si tant est qu’il l’emporte, Emmanuel Macron, aura à « présider » (et non pas, constitutionnellement rappelons-le quand même, même si la dérive de la pratique des institutions en a totalement perverti le fonctionnement, à « gouverner »).

On a déjà connu cette situation en 1988 suite à la réélection de François Mitterrand à un second mandat présidentiel. Le PR a dissous l’Assemblée nationale, en mai 1988, pour de nouvelles élections législatives en juin, placées pourtant sous le signe de « l’ouverture » (c’est à cette occasion que les Soissons, Durafour, Stoléru, Stirn et d’autres) ont intégré le gouvernement Rocard. Mais le nouveau PM n’a pas pu bénéficier d’une majorité absolue à l’Assemblée et a du « gouverner » à coup de « 49.3 » dont il usa abondamment (plus d’une vingtaine de fois). Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que celui qui ferait qu’après avoir été vivement conspué et qualifié d’anti-démocratique (critique qui n’avait aucun sens car, que cela plaise ou non,  cet article figure bien dans la Constitution de 1958 qui n’est pas exactement ce que l’on peut appeler une constitution formelle comme on en trouve dans un régime dictatorial)  sous Manuel Valls, cette dernière année à l’occasion des débats sur la loi Macron et sur la loi El-Khomri,,l’emploi du « 49,3 » par la force des choses parlementaires serait répétées après juin 2017.

Alors, bien évidemment, on peut estimer que si, au sein de la majorité parlementaire, existe un « noyau dur » organisé, par exemple le MODEM comme vous le suggérez, celui-ci soit une sorte de « poids lourd » qui donnerait le « la » et le « tempo » à la politique gouvernementale. C’est aller un peu vite en besogne. D’abord un MODEM « lourd et influent » c’est un peu un oxymore. Mais convenons volontiers que tout est relatif et affaire de comparaison. Il faut aussi considérer que lorsqu’une majorité est fragile, que lorsqu’elle est composite et surtout relative, le « poids politique » des petites formations peut être surmultiplié. Ce fut le cas de ces partis « charnières » comme on disait sous la Quatrième République, tels l’UDSR, le tout petit parti dont François Mitterrand était le co-leader avec René Pléven, qui faisait et défaisait les gouvernements et a, tout de même, permis 11 fois à Mitterrand lui-même d’être ministre en 1946 et 1958 et pas à des postes subalternes…

Que vaut sa proposition d'un "contrat avec la Nation" pour ses candidats aux législatives afin d'éviter l'expérience du quinquennat Hollande et la difficulté à faire passer des lois du fait de la présence de frondeurs ?

La proposition d’Emmanuel Macron est à ranger au rayon des propositions cosmétiques qui sont faites soit pour occuper le terrain et amuser la galerie si elles sont reprises et commentées soit pour tenter de créer une nouvelle pratique. Un « ballon sonde » ou un « ballon d’essai » si on veut. L’ennui avec ce genre de fausses bonnes idées c’est que la Constitution proscrit le « mandat impératif » pour les députés. Ceux-ci votent sur les textes librement et individuellement. Cela n’empêche pas qu’il existe des groupes politiques et une discipline de vote. Certains parlementaires, par tempérament, de par leur statut au sein de l’Assemblée, leur histoire, leur électorat, sont plutôt des « acteurs » libres et sans attaches qui auront tendance à se comporter selon leur « âme et conscience ». D’autres, au contraire, malgré l’interdiction du « mandat impératif » vont voter comme des « machines » pendant 5 ans. Sous de Gaulle, on les appelait les « Godillots » du nom des « rangers à la française » qui chaussaient les pieds des fantassins… Autrement dit avec un sens de la discipline confinant au sens du « marcher au pas et droit ».

Faire signer, pour chaque parlementaire, un contrat avec la Nation n’a pas grand sens dans une telle situation. On voit mal en quoi les députés pourraient ainsi être « tenus » par un tel texte. C’est d’ailleurs- tout le rôle de contre-pouvoir du Parlement qui serait éventuellement impacté. Ce n’est pas au moment où l’on parle de la nécessaire revalorisation du travail parlementaire qu’il convient de mettre en place un carcan supplémentaire qui serait, qu’on le veuille ou non, un élément de restriction de la capacité critique de l’Assemblée à l’égard du gouvernement.

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