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Emmanuel Macron : le président pro-européen dont le public l’était nettement moins que lui
©madameoumadame.fr

Mauvais feeling

La victoire d’Emmanuel Macron parait d’autant plus remarquable qu’il a mis en avant son européisme face à un public bien moins pro européen que lui.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Peu de gens imaginaient en effet en 2016 que cet ancien Ministre de l’économie de François Hollande soit capable de réaliser l’impossible : gagner l’élection présidentielle sans le soutien de l’un des deux grands partis de gouvernement qui structurent les alternances en France depuis le début des années 1980 en créant ex nihilo sa propre machine électorale, En Marche !. C’est chose faite. Bravo l’artiste, serait-on tenté de dire.

Mais,  pour paraphraser Machiavel, au-delà du rôle de la « virtu », des capacités à agir du candidat Macron, il faut déjà mesurer le rôle de la « fortuna »,  de la chance, qui l’a porté. Tout d’abord, les deux grands partis de gouvernement organisent chacun des primaires ouvertes. Elles aboutissent à promouvoir deux candidats inattendus, certes appréciés de leurs sympathisants respectifs mais guère de l’électorat en général. Ensuite, ces deux candidats sombrent par le poids de leurs propres erreurs – sans qu’Emmanuel Macron n’ait même eu à s’en préoccuper. L’un d’entre eux, François Fillon, s’entête à ne pas reconnaître que sa candidature est rendue caduque par les scandales à épisodes qui l’accablent – dont il fait lui-même des « erreurs » qu’il dit « regretter ». L’autre, Benoit Hamon, perd un temps précieux à négocier un accord électoral avec un petit parti sans électeurs, EELV. Alors même qu’il a déjà souffert d’une campagne des primaires bien tardive, il se laisse ainsi dépasser par un candidat situé à sa gauche, plus capé, qui incarne bien mieux que lui le besoin de rupture avec le quinquennat Hollande de la part des électeurs de gauche. Grâce à cette impéritie des deux candidats légitimés par les primaires, voilà donc Emmanuel Macron arrivé en tête du premier tour et opposé au second tour face à une candidate d’extrême-droite, Marine Le Pen, ayant fait de son côté une médiocre campagne de premier tour. Cette dernière, dépitée sans doute par son score du premier tour qui invalide toutes les prédictions triomphalists des années précédentes, ne joue même pas la victoire en essayant de se présidentialiser. En effet, lors d’un étrange débat télévisé de second tour, elle en  vient à renier complètement sa campagne de premier tour et son slogan « La France apaisée » pour se lancer dans une « dé-dédiabolisation » – ou une « re-diabolisation » - de dernière minute. Emmanuel Macron n’a plus qu’à engranger. Le score est au final sans appel : 66% pour Emmanuel Macron et 34% pour Marine Le Pen. 

La victoire d’Emmanuel Macron parait d’autant plus remarquable qu’il a mis en avant son européisme. Les comparaisons, plus ou moins bien intentionnées, se sont d’ailleurs multipliées au fil de la campagne d’Emmanuel Macron avec le discours pro-européen de Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1970. Le contraste est en effet saisissant avec les deux élections présidentielle précédentes de 2007 et de 2012 : la question européenne était certes déjà présente dans les discours des finalistes, mais sans que les candidats des deux grands partis de gouvernement – l’UMP et le PS – ne se positionnent aussi clairement, et surtout aussi positivement sur l’Union européenne.  Avec Emmanuel Macron, l’Europe est devenue la valeur et l’horizon à défendre. Au-delà de l’Europe, le sort même de la civilisation occidentale semble même en jeu dans l’élection présidentielle française. Comme au bon vieux temps de la « Guerre froide » et des partis-frères d’obédience communiste, Vladimir Poutine, le parrain de toutes les extrêmes-droites européennes, semble en effet vouloir intervenir dans nos affaires intérieures. Il est vrai que la diffusion à la vingt-cinquième heure de la campagne présidentielle de documents internes à l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron aura ajouté une touche de désinformation « à la soviétique » apte à confirmer toutes les craintes en ce sens. Les réactions à la victoire d’Emmanuel Macron sont celle d’un soulagement général parmi les adversaires du dit Poutine. Quoi qu’il en soit de ces arrières plans géopolitiques de notre élection présidentielle, il faut surtout souligner que toute une base militante, partout en France, s’est retrouvée dans ce discours d’un européisme décomplexé – qui traduit le plus souvent une vision optimiste de l’avenir pour ceux qui la partagent. Dans les meetings d’Emmanuel Macron, les couleurs européennes se mêlent  ainsi sans cesse aux trois couleurs de la France. Surtout, il ne s’agit pas comme avec les habituels partis de gouvernement de se référer de manière hypocrite à une autre Europe toujours à construire, mais de défendre d’abord l’Europe qui existe déjà contre les menaces de dislocation  et de partir de cette base-là pour aller de l’avant. On pourrait donc en conclure avec ce triomphe de second tour aux couleurs de l’Europe que l’électorat français s’est converti en masse aux vertus de l’Union européenne. On se rappellera toutefois des résultats du premier tour : les candidats des deux extrêmes, celui du FN et celui de la France insoumise, n’ont guère épargné l’Europe, et les petits candidats non plus. Quant à Fillon et Hamon, ils ont rejoué la partition habituelle de l’autre Europe dans le même cadre institutionnel. En réalité, le candidat d’En Marche ! a surtout réussi à regrouper les électeurs les plus européistes face à un camp eurosceptique ou eurocritique aussi imposant que divisé entre droite et gauche, extrémistes et modérés. Il pourra ainsi remercier François Bayrou de l’avoir rallié et non pas concurrencé sur ce créneau.

Le risque est donc énorme pour Emmanuel Macron et ses partisans de prendre leur extraordinaire parcours pour un renouveau de l’esprit européen en France. On pourrait à l’inverse souligner à quel point ce dernier a bénéficié des circonstances déjà citées. On pourra bien sûr contraster le résultat du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, et celui du 7 mai 2017 pour y voir le retournement d’état d’esprit sur l’Europe. Ce serait là oublier que ce n’est pas la même chose que de voter à un référendum et qu’élire un Président de la République. Le FN voulait faire de cette élection un référendum sur l’Europe et sur l’Euro. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a surtout réussi à organiser, comme en 2002, sous une forme atténuée certes, un référendum contre lui. Il a certes progressé en pourcentage et en voix, mais, encore une fois, il se fracasse contre le plafond de verre. 

De fait, comme l’a montré le premier tour et le débat de l’entre deux tours, il existe bel et bien en France une opinion très partagée sur l’Europe, mais le débat sur ce point s’avère presque totalement perturbé par la confiscation de l’enjeu européen par le FN. Face à l’absence d’arguments solides portés par Marine Le Pen, il n’est alors que trop facile de triompher. Le salut de la France par l’insertion complète de la France dans les règles européennes en vigueur tel que le propose Emmanuel Macron avec ses réformes sociales-libérales – ou même ordo-libérales - n’est sans doute pas approuvé en réalité par une majorité de nos concitoyens. Ceux-ci, par contre, rejettent massivement l’aventurisme que représente encore une fois  pour eux le FN. Les législatives et ensuite la vie politique au fil de ce quinquennat risquent bien de souligner ce hiatus entre un exécutif européiste et une population bien  plus partagée.  

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