Elon Musk fait valider la recherche sur les implants cérébraux : délire de milliardaire ou réalité de demain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©Fred TANNEAU / AFP

Utopie ou dystopie ?

Neuralink, la start-up d'Elon Musk, vient de recevoir l'approbation des autorités sanitaires américaines pour tester des implants connectés sur l'Humain. Ces puces, a fait savoir le milliardaire, devraient à terme permettre d'augmenter les capacités mnésiques humaines.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Roland Moreau

Roland Moreau

Roland Moreau est biophysicien et inspecteur général des Affaires sociales.

Il a notamment écrit L'immortalité est pour demain (Bourin Editeur, 2010). 

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Atlantico : Cela fait longtemps, désormais, qu’Elon Musk parle des implants cérébraux qu’il souhaite développer. Cependant, la situation vient d’évoluer, rapporte le Washington Post : le milliardaire affirme désormais avoir eu l’aval de la FDA pour procéder à des tests sur l’Homme. Faut-il croire, dès lors, qu’un monde fait d’implants cérébraux est devant nous ou bien ce projet va-t-il rester marginal ?

Laurent Alexandre : Les implants intra-cérébraux sont utilisés en médecine depuis plusieurs années, déjà. Dans le monde, des centaines de milliers de malades atteints de la maladie de Parkinson en bénéficient. Leurs implants permettent en effet de diminuer les symptômes tels que les mouvements anormaux. Il s’agit d’une technique inventée par un brillant neurochirurgien Français, originaire de Grenoble, et qui s’est répandu sur la planète en quelques années seulement. Dorénavant, c’est une composante importante du traitement des parkinsoniens, à côté des médicaments. 

Jusqu’où, en termes de fonctionnalité et de déploiement, ces implants intra-cérébraux peuvent-ils aller ? En l’état, c’est difficile à dire. Le projet initial d’Elon Musk se construit en deux étapes : d’abord, il s’agit de traîter des maladies ou de suppléer des handicaps… puis, dans un deuxième temps, de faire du neuro-enhancement. L’autorisation de la FDA, si elle se confirme, ne concerna pour l’instant que des pathologies. Traiter des maladies, permettre à des gens paralysés de retrouver une mobilité, comme une autre technologie l’a permis à un patient néerlandais ces derniers jours.

Il apparaît, me semble-t-il, relativement peu probable que des implants intra-cérébraux permettent de pratiquer le neuroenhancement actuellement, comme le souhaite Elon Musk. S’il n’est pas très compliqué de faire re-marcher quelqu’un (ou, tout du moins, c’est là quelque chose d’accessible à la technologie de 2023), nous ne savons pas pour autant comment améliorer les capacités mnésiques et cérébrales d’un individu. Nous ne savons même pas comment une telle technologie pourrait fonctionner.

Cela n’a pas empêché Elon Musk de redire sa conviction, 48 heures après la sortie de GPT 4 : selon lui Neuralink est la seule solution pour l’humanité compte-tenu des progrès très rapides de l’intelligence artificielle et notamment des LLM. Entre le fantasme du neuro-enhancement pour nous rendre compétitif face aux successeurs de GPT 4 et la réalité, tant biomédicale que technologique, de 2023, il y a un gros écart. On ne voit pas très bien, aujourd’hui, comment on pourrait augmenter les capacités intellectuelles et mnésiques avec des dispositifs neuro-électroniques.

Roland Moreau : Un monde des implants, cérébraux ou plus généraux d’ailleurs, existe déjà. Comme vous le savez sans doute, le cœur bénéficie d’un implant appelé Pacemaker. Le cerveau aussi : des milliers de personnes se promènent actuellement avec un implant cérébral. Il s’agit d’une aiguille, installée dans l’un des lobes, qui sert à traiter la maladie de Parkinson. Elles introduisent un courant permanent pour prévenir la progression de la pathologie. 

Cela dit, tout dépend aussi de ce que l’on appelle implant. Si l’on parle d’une aiguille émettant des ondes électro-magnétiques ou des courants électriques à diverses fréquences, oui ce monde existe déjà. En revanche, s’il s’agit d’évoquer des puces visant à renforcer nos capacités neurologiques… Cela relève actuellement de l’utopie. Certes, nos neurones transmettent l’information à l’aide d’un courant électrique. Pour autant, il ne faut pas croire que cela ressemble à un fil électrique ou au mode de fonctionnement d’une puce ! Le cerveau n’est pas un ordinateur ! L’électricité s’y transmet par polarisation et dépolarisation, ce qui actionne des neurones. Au final, c’est l’équilibre chimique, observé au niveau de la paroi du neurone, qui transmet cette électricité. Il me semble qu’Elon Musk a tendance à voir le cerveau comme une machine. Or, ce n’est pas ainsi qu’il fonctionne.

Dans l’état actuel, je ne vois pas comment nous pourrions faire appel à des puces directement installées dans le cerveau, dès lors que la transmission électrique se fait par processus électro-chimique. Ce qui ne veut pas dire que la situation n’est pas appelée à évoluer à l’avenir.

Avec Neuralink, Elon Musk s’est engagé à améliorer les capacités cognitives du cerveau humain… Certains malades ont même retrouvé la faculté de marcher, par exemple. Quelle est la réalité des usages d’implants à l’heure actuelle ? Où en est sont la recherche et ses applications pour le moment ?

Laurent Alexandre : C’est une question qui rejoint ce que nous avons eu l’occasion de dire en préambule. En l’état, les implants intra-cérébraux permettent de traiter différentes pathologies, comme la maladie de Parkinson (notamment et essentiellement). Ils peuvent aussi être utilisés, quoique plus rarement, dans le cadre de certaines dépressions très graves et on pourrait aussi ajouter qu’ils sont parfois utilisés pour intervenir sur différents troubles de type alimentaire. Certains expérimentent aussi afin d’essayer de ralentir la maladie d’Alzheimer. 

Ceci étant dit, il importe de rappeler qu’aucun de ces traitements n’est comparable, en termes de diffusion, à celui fait contre la maladie de Parkinson. C’est là la principale utilisation mondiale, qui marche d’ailleurs vraiment bien, des implants intra-cérébraux. Désormais, les neurologues ont d’ailleurs tendance à le proposer plus tôt dans le développement de la maladie.

Ce n’est pas la première fois, dans l’histoire de l’humanité, qu’il est question d’implants corporels visant à aider ou guérir des défauts d’un corps abîmé. Pour autant, cette fois, l’objectif est aussi d’améliorer une situation donnée, d’augmenter les capacités maximales… Ne tombe-t-on pas dans une forme de fiction ? S’agit-il, au fond, d’un certain "délire de milliardaire" ?

Laurent Alexandre : C’est une fiction intégrale, en tout cas avec la technologie actuelle. Aujourd’hui, nous ne voyons pas comment il serait possible d’augmenter les capacités cognitives mnésiques avec ce type de dispositif. Bien sûr, il est difficile de passer à côté de l’intérêt potentiel qu’il y aurait à disposer de ce genre de technologie ! Elle permettrait d’apprendre plus vite, mais aussi aux enfants souffrant de problèmes de mémoire d’apprendre plus aisément. Ce serait aussi l’occasion, pour les jeunes moins intelligents, d’aller plus loin dans leurs études, par exemple, mais aussi de rendre les uns et les autres plus compétitifs face aux successeurs de GPT 4. En somme, il s’agirait de réduire les inégalités cognitives et intellectuelles. 

C’est évidemment intéressant sur divers plans : social, éducatif, philosophique… Mais la technologie, il faut bien le dire, n’est pas là. Est-ce qu’Elon Musk peut aller au-delà du soin et de la suppléance ? La question est très débattue. Beaucoup, parmi les experts, sont dubitatifs. Comme d’habitude, face à Elon Musk, nous nous retrouvons face à un dilemme : est-on en train de le sous-estimer comme nous avons pu le faire avant Tesla et SpaceX ou raconte-t-il n’importe quoi comme il a pu le faire avec Hyperloop ? Il y a de quoi, comme à chaque fois qu’il fait une promesse technologique, être très partagé. Parfois c’est vrai, parfois c’est simplement grotesque.

Dès lors, on peut de façon certaine parler d’un "délire de milliardaire". Ces derniers font souvent preuve d’un certain hubris, surtout après leurs réussites successives. Du reste, de telles technologies seront-elles possibles dans le futur ? On peut penser que c’est souhaitable : s’il n’y a pas de moratoire ou d’interdiction sur l’intelligence artificielle, il vaut mieux que l’humanité soit compétitive et complémentaire plutôt que vassalisée. 

En matière d’IA, il existe un débat qui oppose des gens comme Yann Le Cun et Geoffrey Hinton. Les premiers affirment que l’intelligence artificielle va nous dépasser mais ne se montrera pas hostile pour autant et permettra au contraire l’avènement d’un nouveau siècle des Lumières. Les seconds portent un regard plus sombre : ils pensent que l’intelligence artificielle peut effectivement menacer l’humanité. Hinton a d’ailleurs dit qu’il n’excluait pas que l’IA extermine l’humanité…

Compte-tenu, en tous les cas, des progrès rapides de cette dernière, il peut sembler souhaitable de disposer de technologies capables de réduire les inégalités intellectuelles entre êtres humains. Surtout si celle-ci permet alors à tout un chacun une meilleure compréhension d’un monde à venir, qui s’avèrera alors très complexe. Malheureusement, ce n’est pas parce que quelque chose est souhaitable qu’il est réaliste. En l'occurrence, je ne crois pas cela réaliste à court terme.

Roland Moreau : La question ne se pose pas en ces termes, me semble-t-il. D’abord parce qu’il importe de rappeler que si, certes, ce que propose Elon Musk n’apparaît pas possible aujourd’hui, il est presque sûr que cela arrivera un jour ou l’autre. Ensuite parce que c’est du côté de l’éthique qu’il faut s’interroger à ce sujet, je dirais. Je fais une différence très nette entre les techniques qui visent à résoudre un problème pathologique et celles qui visent à améliorer les performances humaines. Nous pouvons aller très loin dans la manipulation génétique, dès lors qu’il s’agit de supprimer un handicap ou guérir une pathologie. Nous pouvons aller très loin et ce, quelle que soit la méthode utilisée, ce qui ouvre aussi la porte aux implants… Il s’agit alors de soigner les gens.

En revanche, quand il s’agit d’améliorer les performances humaines (fussent-elles intellectuelles ou physique), nous franchissons un cap éthique, il me semble. Ce sera quelque chose de techniquement possible, j’en suis convaincu, mais cela reviendrait à franchir le rubicon ; dès lors qu’il ne s’agit plus seulement de guérir mais bien d’augmenter.

Cette situation n’est pas sans soulever la question d’un certain transhumanisme ; d’une fusion homme-machine. Si ce changement de nature s’avérait possible, combien de temps faudrait-il pour en arriver là, selon vous ? Quel pourrait-être le visage de ce monde nouveau ? Quelles en seraient les limites ?

Laurent Alexandre : C’est un euphémisme. Nous sommes là au cœur des fantasmes transhumanistes. L’idéologie transhumaniste veut conquérir le cosmos, augmenter les capacités de l’Humain, tuer la mort, nous permettre de choisir nos bébés… C’est là toute la promesse transhumaniste. Que l’on soit pour ou effrayé par celle-ci, il est important de savoir que le débat entre les bio-conservateurs et les bio-progressistes ne fait que commencer. Fait intéressant : aux Etats-Unis, on constate désormais une évolution de l’opinion. Sciences révélait le mois dernier que 38% des Américains se disaient prêts à sélectionner génétiquement leur enfant ou à modifier son ADN pour augmenter la probabilité qu’il rentre dans une belle université. C’est énorme, particulièrement pour un pays aussi catholique. Il est clair, me semble-t-il, qu’il y aura une pression pour faire de l’eugénisme intellectuel.

Du reste, ne perdons pas de vue que le monde dans lequel nous vivons est d’ores et déjà transhumaniste : nous faisons des PMA, des GPA, les couples gays peuvent avoir des bébés, nous utilisons des implants intra-cérébraux pour traiter la maladie de Parkinson, l’IA est en progrès permanent… Notre monde est transhumaniste, c’est un fait. Jusqu’où ira-t-on sur ce toboggan ? Je ne saurais le dire. Je pense toutefois que le principal clivage du siècle en cours ne sera pas entre la gauche et la droite : il opposera les transhumanistes et les bio-conservateurs. Frigide Barjot et Elon Musk, en somme.

Roland Moreau : Selon Elon Musk, les avancées technologiques devraient permettre de facilement franchir le cap des 120 ans à compter de 2035. C’est quelque chose que l’on peut effectivement envisager et l’on peut même aller plus loin : entre 2040 et 2100, il apparaît plausible de porter l’espérance de vie plus loin encore.

Concernant l’augmentation des performances intellectuelles à proprement parler, il apparaît plus difficile (à ma connaissance, au moins) de donner une date précise. Mais cela finira par arriver.

Les limites de ce monde nouveau, qui devrait donc voir le jour à terme, c’est la forte hausse d’inégalités parmi les pires qui soit : un petit noyau de personnes très riches sera en mesure de s’offrir ces améliorations, avec une espérance de vie très poussée et des performances intellectuelles ou physiques extraordinaires, face à la masse de l’humanité qui resterait tel qu’elle est. Ce serait alors le pire de l’eugénisme et il faut tout faire pour empêcher ce monde-là.

Ces technologies et ces manipulations seront extrêmement coûteuses. Je ne pense pas que nous pourrions tous y avoir accès.

Quels seraient les risques et les bénéfices de l’avènement d’une telle technologie, particulièrement en gardant en tête qu’elle est développée par un grand groupe privé alors même qu’elle pourrait (théoriquement) changer le visage du monde ?

Laurent Alexandre : Je préfère qu’une telle technologie soit développée par un groupe privé que par le Parti Communiste Chinois. 

Du reste, pour ce qui est des avantages et des inconvénients de ce type d’avancée, ils sont connus : d’un côté, c’est l’opportunité de diminuer les inégalités cognitives, de permettre à tout un chacun d’être complémentaire face à l’intelligence artificielle dans les décennies et les siècles à venir, de mieux comprendre la complexité du monde. De l’autre, il faut craindre la neuro-manipulation (voire la neuro-dictature), sinon une modification complète de la pensée humaine. Celui qui contrôlera les implants contrôlera aussi ce que l’on met dans le cerveau de nos futurs enfants.

Nous faisons face à une technologie bouleversante, qui n’est pas au point pour faire du neuro-enhancement aujourd’hui mais qui le sera peut-être dans les décennies à venir. Il faudra alors la réguler, bien évidemment. Ce qui a été fait par l’équipe internationale pour faire remarcher un paraplégique montre que nous sommes dans une phase de progrès important en matière de neurotechnologie. C’est très impressionnant et c’est la preuve que nous sommes rentrés dans l’ère des neurotechnologies. Neuralink n’est pas prêt en mai 2023… mais je ne jurerais pas que Neuralink ne réussira pas dans les décennies qui viennent.

Roland Moreau : Je suis d’avis que, à terme au moins, toutes ces technologies seront développées par des groupes privés. Nous faisons aujourd’hui face à une certaine forme de privatisation de la recherche, ce que le cas Elon Musk illustre bien : il prend la main sur ce qui relevait, jusqu’à présent, du domaine de la NASA. Cela s’est vu aussi pendant la crise du CoVid, durant laquelle le public n’a pas été en mesure de produire un vaccin ARN, contrairement à plusieurs grands groupes privés. Dans l’astronautique, dans le domaine de la santé ou de la biologie, pour ne citer que ceux-là, il est difficile de ne pas voir ce glissement vers le privé.

Je viens, pour ma part, de la recherche fondamentale du secteur public. Cela biaise peut-être mon point de vue sur la question, mais je sais que dans le secteur public on développe un point de vue éthique. Dans le privé, probablement aussi… mais peut-être pas autant.

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