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Elie Barnavi : pourquoi il y a des guerres plus justes que d’autres
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Bonnes feuilles guerre

Dix thèses de débat sur un sujet éternel. Le regard d'un historien doublé de celui d'un citoyen-soldat : "La guerre a accompagné toute ma vie, elle a pénétré ma façon de m'exprimer et de penser." Extrait de "Dix thèses sur la guerre", de Elie Barnavi, publié aux éditions Flammarion (2/2).

Elie  Barnavi

Elie Barnavi

Professeur d'histoire de l'Occident moderne à l'Université de Tel-Aviv, Elie Barnavi a été ambassadeur d'Israël en France de 2000 à 2002. Il dirige aujourd'hui le comité scientifique du Musée de l'Europe, qui a ouvert ses portes en 2007 à Bruxelles.

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La guerre que je mène est toujours juste, et injuste celle qu’on mène contre moi. Ce postulat fait partie du conditionnement idéologique de toute campagne guerrière. En effet, je ne connais aucun belligérant, aussi brutal, cynique et agressif fût-il, qui n’ait prétendu, et généralement cru, que sa guerre était juste, et injuste celle de son adversaire. Cela se conçoit : comment mener une guerre que l’on juge soi-même injuste, et comment l’emporter ?

Cela dit, loin de moi l’idée que cette distinction soit fausse en son principe. À l’évidence, il y a des guerres plus justes que d’autres – pour ne prendre que l’exemple archétypal, il fallait bien se débarrasser de Hitler, et l’on voit mal comment cela aurait pu se faire sans guerre. On dira qu’il fallait ne pas en arriver à cette extrémité ; mais là, on est dans le débat politique, pas éthique.

>>>>>>>>>> A lire également : Elie Barnavi : comment les guerres déterminent le caractère des États

Quoi qu’il en soit, c’est une vieille histoire que la volonté de soumettre la guerre au droit. Il existe une épaisse littérature de la guerre juste, qui remonte à l’Antiquité. Cicéron, pour ne citer que lui, l’a dit avec son éloquence habituelle au premier livre de son De officiis : « Il y a deux manières de trancher un différend, l’une par la discussion, l’autre par la force ; la première est propre à l’homme, la seconde aux bêtes ; et il faut recourir à cette dernière, s’il n’est pas possible d’employer la précédente. C’est aussi pourquoi les guerres doivent être entreprises pour ce motif : que l’on puisse vivre en paix, sans injustice ; mais après la victoire, il faut laisser vivre en paix ceux qui, dans la guerre, n’ont été ni sauvages ni barbares. » On sait que cette tradition a été reprise par les pères et les docteurs de l’Église catholique, ainsi que par toute une lignée de penseurs de la première modernité, comme Francisco de Vitoria ou Francisco Suárez.

La pratique a suivi, vaille que vaille. Autour de l’an Mil, la Paix, puis la Trêve de Dieu, déjà, sont des tentatives de discipliner par des règles admises de tous l’ardeur guerrière des chevaliers. En même temps, l’Église inaugure une longue tradition visant à interdire certaines armes jugées trop meurtrières. On sourit en lisant le canon 29 du deuxième concile de Latran, en 1139, qui prétend proscrire arcs et arbalètes, armes qui tuent de loin et se trouvent donc frappées d’illégitimité : « L’art meurtrier et haï de Dieu des arbalétriers et des archers, nous interdisons d’y recourir désormais à l’encontre des chrétiens. » Mais une ligne droite court de cet interdit resté sans effet jusqu’aux prohibitions contemporaines des armes de destruction massive, notamment chimiques et biologiques.

À l’époque moderne, on doit au juriste néerlandais Hugo Grotius le premier embryon d’un droit international public, avec son traité De jure belli ac pacis, « Du droit de la guerre et de la paix », publié à Amsterdam en 1625. Grotius y distingue le Jus ad bello, le droit à la guerre, le Jus in bellum, le droit dans la guerre, et le Jus post bellum, soit le droit à la sortie de la guerre. La cause doit être juste et les moyens utilisés sélectifs et proportionnels. Il faut rappeler que Grotius est contemporain de la montée en puissance de l’État territorial moderne, défini par la double souveraineté, interne et extérieure, et détenteur du monopole de la force publique qu’il s’arroge sur un territoire donné. Lui seul, l’État moderne ainsi défini, peut être le sujet d’un droit international public. Mais, comme nous le verrons plus loin, il en marque aussi les limites.

Rien de véritablement novateur dans ce domaine ne s’est produit depuis jusqu’à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et la découverte horrifiée du phénomène génocidaire. En effet, si la première convention de Genève date de 1864, dans la foulée de la création l’année précédente de la Croix-Rouge,les quatre conventions et les trois protocoles additionnels qui définissent aujourd’hui les droits des victimes militaires et civiles des conflits armés sont tous postérieurs à la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les procès de Nuremberg qui ont donné naissance à une prise de conscience nouvelle, à un vocabulaire inédit et à une jurisprudence qui, après l’effondrement du système planétaire bipolaire, ont permis l’éclosion d’un droit des gens humanitaire, dont les divers tribunaux internationaux contemporains sont l’émanation.

Le droit international humanitaire ne vise pas à moraliser la guerre, mais, autant que faire se peut, à la civiliser et à l’humaniser : traiter correctement les prisonniers, distinguer entre combattants et population civile non combattante et protéger celle-ci des affres du conflit, interdire les armes de destruction massive et, en dernier ressort, juger dans des tribunaux spéciaux les principaux auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Extrait de "Dix thèses sur la guerre", de Elie Barnavi, publié aux éditions Flammarion, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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