Élections en Espagne : Pedro Sánchez gagne (presque) son pari fou<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre espagnol et candidat du Parti socialiste espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, lors de la campagne électorale, à Getafe, le 21 juillet 2023.
Le Premier ministre espagnol et candidat du Parti socialiste espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, lors de la campagne électorale, à Getafe, le 21 juillet 2023.
©JAVIER SORIANO / AFP

Démocratie espagnole

Alors que les sondages donnaient la droite et l'extrême droite largement vainqueurs, la perspective de leur union a refroidi les Espagnols.

Christophe Barret

Christophe Barret

Christophe Barret est attaché d’administration aux Archives nationales. Historien de formation, il est en charge de projets éducatifs interculturels, notamment entre la France et l'Espagne, et est l'auteur de Podemos. Pour une autre Europe ? aux éditions du Cerf (2015).

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Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

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Atlantico : Les élections législatives se déroulaient ce dimanche en Espagne. Selon les derniers sondages, la droite et l’extrême droite étaient aux portes de la victoire. Quels sont les principaux enseignements de cette soirée électorale et des résultats ?

Christophe Barret : Premier enseignement : ne vraiment jamais faire confiance aux instituts de sondages ! Celui commandité par El País, à la sortie des urnes, donnait la majorité absolue à Vox et au Parti Populaire (PP). Or, il n’en a rien été. Les deux blocs, de gauche et de droite, ont de puissances équivalentes. Parmi toutes les enquêtes qui se sont succédées, une seule, celle de du CIS (Centre d’Investigations Sociologiques) ne s’est pas trompée. Jugé trop proche du pouvoir, l’institut avait pourtant été pendant des semaines jugé le moins fiable. Lui seul indiquait que le PSOE avait une possibilité de se maintenir. Au terme du dépouillement, il s’avère que c’est lui qui donnait la bonne tendance.

Le PSOE se paye même le luxe de compter deux députés de plus que dans la précédente assemblée.

L’autre enseignement est que le Premier ministre espagnol est un véritable animal politique.

Pierre Clairé : Selon moi, il y a trois enseignements du scrutin, qui s'est montré indécis et serré. Tout d'abord, Pedro Sánchez et le Parti Socialiste ont réussi une "remontada" alors qu'on lui promettait le pire. La droite avait en effet mené une campagne dure en insistant sur le rejet du "Sanchísmo" et de la politique du Président du Gouvernement vu comme un opportuniste politique. Deuxièmement, le parti d'extrême droite Vox a subi une déroute alors que les médias insistaient sur la croissance de ce parti et la possible arrivée de celui-ci au gouvernement. Le centre-droit a réussi à siphonner l’électorat de Vox avec une stratégie claire : reprise des thèmes fétiches et un positionnement assumé de droite, ce qui ne fut pas toujours le cas par le passé. Enfin, le Partido Popular (PP), qui est arrivé en tête comme prévu par les sondages, a vécu une victoire paradoxale. Il n’a pas été incapable d'atteindre les 150 sièges à la Chambre Basse, ce qui lui aurait permis d'espérer former un gouvernement minoritaire et laisse ainsi l'Espagne dans une situation d'ingouvernabilité. Une élection de Feijóo à la Présidence est désormais improbable et nous pourrions nous diriger vers de nouvelles élections car une alliance avec Vox ne serait pas suffisante.

Quel est le bilan de ces élections pour Pedro Sanchez et la gauche ? Quel va être l’avenir du Premier ministre ? 

Christophe Barret : Pedro Sánchez a gagné son pari fou. Celui de garder ses positions, même s’il n’est pas sorti d’affaire. Sa position personnelle est renforcée au sein de son parti et face à ses alliés. « C’est moi ou le chaos », peut-il leur dire en substance. Son gouvernement ne fera pas toutes les réformes sociales que Sumar, à sa gauche lui demande : comme la semaine de 32 h 00 ou l’institution d’une allocation de 20 000 € pour tous les jeunes à leur vingtième anniversaire. Il n’organisera aucun référendum d’autodétermination, ni en Catalogne, ni au Pays-Basque. Mais, en théorie, il vaudra toujours mieux traiter avec lui qu’avec le Parti Populaire allié à Vox, qui affiche un anticommunisme viscéral et prône le retour à cet État unitaire, comme au temps du dictateur Franco.

Le plus dur, pour le Premier ministre, est de convaincre le roi, qui va recevoir les représentants de toutes les formations représentées au Congrès des députés, de solliciter pour lui un vote d’investiture. Car, bien-sûr, Pedro Sanchez n’est pas à la tête de la formation arrivée en tête, y compris – et surtout – en nombre de députés. Et les partis indépendantistes prêts à le soutenir peuvent être tentés de faire monter les enchères tout au long d’une nouvelle législature.

Pierre Clairé : Le bilan est assez bon pour Pedro el Guapo (le beau Pedro). Pourtant, on le donnait mort politiquement après les élections du 28 mai qui ont laissé la gauche dans une situation inconfortable. Il a réussi son pari et s'est montré fin politicien, en convoquant des élections anticipées en plein milieu de l'été prenant tout le monde de vitesse. Il a ainsi pu se servir des nombreuses négociations entre PP et Vox aux niveaux régional et local pour agiter le spectre de la menace brune. Cela a provoqué un phénomène de vote utile en mobilisant son électorat apeuré à l'idée de voir l'extrême droite entrer au gouvernement. Il a ainsi passé sa campagne à mettre en garde contre l'alliance certaine entre droite et extrême droite, qui ramènerait l'Espagne plusieurs années en arrière. Bien aidé par son charme naturel et par son savoir-faire politique, il a réussi à occuper l'espace médiatique et rattraper son retard. Cette stratégie gagnante lui a permis d'améliorer son score par rapport à 2019 et surtout de compter davantage de députés. Son avenir n'est pas encore connu, en effet en cas d'un échec de Feijóo pour former un gouvernement il pourrait tenter d'en faire de même dans un exercice de prestidigitation encore jamais vu à ce niveau ou pourrait rester Président du Gouvernement par Interim le temps que de nouvelles élections soient organisées. Ce score inespéré le place en tête des prétendants socialistes pour mener la liste en cas de nouvelles élections, ce qui signifie que rien n'est fini pour lui.

Par où la campagne d’Alberto Núñez Feijóo a-t-elle péché ? Alberto Núñez Feijóo peut-il, lui aussi, réussir à atteindre son l’objectif de 176 députés, qui lui donnerait la majorité absolue des 350 sièges du Congrès des députés ?

Christophe Barret : Alberto Núñez Feijoó avait fait de la lutte contre le « sanchisme » un mantra. Il a eu tort, même si cela pouvait faire sens, au sein de son électorat et de l’électorat socialiste modéré, un socialisme qui aurait dévoyé, supposé être passé du social au sociétal et de la défense de l’unité de l’Espagne aux compromis avec les indépendantistes et les anciens terroristes de l’ETA.

Les premiers accords avec Vox pour la formation de gouvernement régionaux, au lendemain des élections du 28 mai dernier, ont aussi inquiété. De manière significative, Marie Gardiola, la présidente PP de la région d’Extrémadure avait été contrainte par la direction madrilène du PP d’intégrer à son exécutif régional des membres du parti d’extrême-droite, alors qu’à titre personnel elle réprouvait l’intégration de gens qui refusent de reconnaître les « violences machistes » faites aux femmes. Un PP soumis à Vox : voici ce contre quoi se sont mobilisés les électeurs de gauche.

Feijoó a aussi commis des erreurs tactiques : en refusant de reconnaître quelques erreurs factuelles devant une journaliste (au sujet de la politique du PP en matière de retraites), et en ne participant pas au dernier débat télévisé de la campagne électorale. Du reste, face à une gauche unie à travers le presque « ticket » formé par Pedro Sanche et Yolanda Díaz, à la tête de « Sumar » (qui a pris la place de Poemos à la gauche du PSOE), le leader de Vox est apparu comme presque aussi mauvais que Marine Le Pen, chez nous, face à Emmanuel Macron. Il n’avait visiblement pas préparé son débat !

Et, pas plus que Sanchez, Feijoó ne peut envisager de former une alliance avec quelques poids lourds de l’Espagne périphérique : pour ce qui le concerne, le Parti Nationaliste Basque (PNV) traditionnellement classée à droite – face à EH-Bildu). Pour ces partis, répétons-le, toute entente favorisant l’accession de Vox au pouvoir est impossible.

Pierre Clairé : À quelques jours de l'échéance électorale, Feijóo espérait recueillir 150 sièges au Congrès des Députés, ce qui lui aurait permis de former un gouvernement minoritaire. Pour cela il comptait sur un score important de son parti pour ensuite s'assurer l'abstention d'un ou plusieurs partis politiques. Force est de constater qu'il a échoué dans cette tâche et qu'il va désormais devoir absolument former une alliance gouvernementale avec Vox, ce qu'il exclut catégoriquement. Cette élection constitue une double peine pour lui, alors que rien n'est pour le moment joué et qu'il n'est vraiment pas sûr de devenir Président du Gouvernement. 

Sa campagne peut être résumée par son combat contre le Sanchisme et l'action destructrice de l'actuel Président du Gouvernement. Deux termes sont importants : réduction des impôts et patriotisme. Une campagne qui lui a permis de passer de 88 à 136 sièges et faire du PP le premier parti d'Espagne, ce qui en soit constitue une victoire mais qui reste avec un goût d'inachevé. En effet sauf tour magistral d'illusionniste, Feijóo ne devrait pas être en mesure de gouverner et l'Espagne qui continuerait sa mue comme la Belgique du Sud.

Le potentiel basculement à droite de la quatrième économie de la zone euro, selon les sondages avant l'élection, après celui de l’Italie l’an dernier, aurait-il constitué un coup de tonnerre pour les gauches européennes ?

Pierre Clairé : Il faut rester mesuré. En effet, tout le monde en Europe était conscient que la droite espagnole allait ressortir renforcée de ces élections, en réparant ainsi un anomalie qui voyait le Parti Socialiste seul parti espagnol comptant plus de 100 députés. Seulement, plus que l'Espagne, c'est la mélonisation du Continent qui faisait peur à la gauche et aux libéraux, en vue des élections de l'année prochaine. Cette victoire ne constitue pas nécessairement un coup de tonnerre étant donné que la droitisation de l'électorat espagnol est un mouvement de fonds visible depuis de longs mois.

Les résultats des élections laissent une situation de chaos politique généralisé. La difficulté pour former des alliances et parvenir à un gouvernement donnera un répit à la gauche européenne qui verrait Pedro Sánchez continuer comme Président du Gouvernement par interim pendant encore plusieurs mois. Mais, ce n'est que reculer pour mieux sauter et dans les faits la droite a obtenu plus de sièges que la gauche lors des élections espagnoles. Cela ajoute à une éventuelle vague bleue l'année suivante lors des élections européennes.

Que nous disent ces résultats sur l’évolution de la vie politique espagnole ? S’inscrivent-elles dans un contexte global européen ?  

Christophe Barret : Nous parlons d’un cas très spécifique, l’Espagne, où la Catalogne continue donc de marquer l’agenda politique. Le PS a disparu en Grèce et en d’Italie. En France, il se cherche une raison d’encore exister. En Espagne, on voit qu’il est encore une valeur refuge pour ceux qui, à gauche, tiennent à l’unité du pays. Probablement pas comme espace unitaire comparable à notre République. Plutôt comme un espace de solidarités, au sien de la péninsule ibérique. L’idée de nation s’avère finalement être plus flexible et résistante que l’on croit. Même si l’Espagne souffre de nombreux maux comparables à ceux de ses voisins : déchirures dans les débats identitaires et culturels, déclassement des classes moyennes, perte de souveraineté des États face à l’Union Européenne.

Pierre Clairé : L'Espagne autrefois connue pour sa stabilité politique et son bipartisme PP-PSOE d'une grande solidité a bel et bien sombré dans l'instabilité en était ingouvernable. Cette tendance est visible depuis les élections générales de 2015 qui ont vu l'émergence de nouveaux partis politiques. Cela a participé à la fragmentation de la vie politique espagnole. Les résultats, sans majorité claire, montrent l'extrême polarisation de la vie publique en Espagne et l'existence de ruptures importantes entre deux Espagnes irréconciliables. Le vote massif pour la droite montre que de nombreux Espagnols se sentent en opposition avec Pedro Sánchez et les changements opérés qui mettent à mal leur culture et leurs modes de vie. 

Il y a évidemment un contexte européen de droitisation de l'électorat et les élections en Espagne en sont une autre matérialisation. Ce nouveau message des électeurs montre leur besoin de changement et surtout leur rejet des politiques libérales et progressistes qui leur ont été imposées ces dernières années.

Quel avenir politique se dessine pour l’Espagne à l’issue de ces élections ? Le leader de Vox, Santiago Abascal, va-t-il s’allier avec le PP d’Alberto Núñez Feijóo ? Se dirige-t-on vers une absence de majorité ?

Christophe Barret : Santiago Abascal ne peut pas, pour l’instant, former de gouvernement avec Feijóo. Hier soir, il a même reconnu que Sánchez était en « position de force » pour former un gouvernement. Mais l’Espagne pourrait bien, en effet, être ingouvernable. Carles Puigdemont, depuis son exil à Waterloo a twitté que son parti « ne votera pas » l’investiture de Pedro Sanchez. Si les chefs de partis, le roi et quelques autres ne se retroussent pas les manches, l’Espagne serait bonne pour retourner aux urnes. Cette fois-ci, à Noël. Nous en serions à la sixième élection législative organisée depuis 2015, quand le bipartisme traditionnel formé par le PP et le PSOE avait volé en éclat. Ce bipartisme en voie de reformation est, aujourd’hui, bien imparfait.

Pierre Clairé : L'avenir de l'Espagne ne semble pas très glorieux. En effet, aucune majorité claire n'a émergé du vote de dimanche et sauf improbable tour de passe passe politique, il semble probable que l'instabilité politique s'installe dans le pays découlant sur de nouvelles élections. La loi électorale prévoit que le roi demande à une personnalité politique de tenter de former un nouveau gouvernement (la plupart du temps c'est le chef de file du parti arrivé en tête aux élections qui dispose de ce rôle). Ainsi, il présente devant le Congrès son gouvernement pour validation lors d'un vote, s'il ne parvient pas à obtenir la majorité absolue, ce qui devrait être le cas, il peut recommencer 48 heures plus tard et n'a besoin que de la majorité simple. Si deux mois après le premier vote l'Espagne ne dispose toujours pas de gouvernement alors le roi se voit contraint de dissoudre et convoquer de nouvelles élections. En cas de dissolution nous nous dirigeons vers de nouvelles élections à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.

Une alliance entre le PP et Vox est maintenant nécessaire mais loin d'être suffisante car il faut s'assurer de l'abstention de certains partis lors du vote d'investiture, ce qui semble complexe au vu du rejet de Vox par un grand nombre de partis. Rien n'est jamais à exclure en politique, mais tout cela reste improbable et nous pouvons nous questionner sur l'avenir de Vox qui a accusé une grande perte de sièges lors de ces élections…

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