Efforts pour sauver les retraites : la préférence française pour les "vieux" est-elle juste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, le pouvoir d'achat des retraités est supérieur à la moyenne nationale.
En France, le pouvoir d'achat des retraités est supérieur à la moyenne nationale.
©Reuters

Match à mort ?

Malgré ce qu'il avait laissé entendre ces derniers mois, le gouvernement a annoncé pour la réforme des retraites un allongement de la durée des cotisations qui pénalisera essentiellement les jeunes Français. Dans un entretien au Monde, l'économiste Henri Sterdyniak rappelle que notre pays est le plus généreux du monde avec ses retraités, dont le taux de pauvreté est presque deux fois inférieur à celui des jeunes.

Philippe Crevel Julien Damon et Jacques Bichot

Philippe Crevel Julien Damon et Jacques Bichot

Philippe Crevel est secrétaire général du Cercle des Epargnants depuis 2004.


Julien Damon est ancien sous-directeur de la Caisse nationale des Allocations familiales et professeur. Il est l'auteur de Eliminer la pauvreté (PUF, 2010).


Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social. Ses derniers ouvrages parus sont Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010. et Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012.

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Réagissant aux annonces d'allongement de la durée de cotisation visant à rééquilibrer notre système de retraites, l'économiste Henry Sterdyniak, spécialiste des retraites, a déclaré au journal Le Monde que notre pays est déjà le plus généreux au monde" avec ses retraités. Cette analyse trouve en effet une certaine résonance dans les éléments suivants :

  • Leur pouvoir d'achat est supérieur à la moyenne des Français
    • 75% d'entre eux sont propriétaires de leur logement, contre 57% chez les Français
      • Leur pouvoir d'achat n'a cessé d'augmenter depuis les années 1980 (malgré une stagnation depuis 4 ans)
        • Un retraité assujetti à l'impôt sur le revenu paye une CSG plus faible que pour un actif (6,6% contre 7,5%)
          • La lutte contre la pauvreté chez les retraités s'est exercée au détriment de celle chez les jeunes (taux de pauvreté de 10% chez les retraités contre 20% chez les mineurs)


Atlantico : Au vu de ces éléments, peut-on considérer comme juste de demander aux retraités de contribuer de manière plus importante au financement des retraites ?

Philippe Crevel : La notion de "justice" est toute relative. Le pouvoir d'achat des seniors et des retraités est toujours supérieur au pouvoir d'achat moyen des Français. Ceci s'explique notamment par les pensions de retraites qui leur sont versées mais également par le fait que les Français, en particulier les jeunes générations, souffrent du chômage. Le niveau de vie des plus âgés est donc supérieur à la moyenne des Français et n'a cessé d'augmenter dans les années 1980 à 2000. Alors que le pouvoir d'achat des plus jeunes baisse, celui des retraités n'a cessé d'augmenter. Il faut cependant noter que depuis trois ou quatre ans, le pouvoir d'achat des seniors a lui aussi tendance à baisser à cause des gels instaurés et des nouvelles taxes. Mais même s'il sont concernés par une baisse de leur pouvoir d'achat depuis 3 ou 4 ans, ce phénomène est bien plus récent chez eux que chez les plus jeunes. Au sein de l'OCDE, les seniors français se situent dans la moyenne, légèrement mieux que leurs homologues allemands.

Autre facteur de taille, les retraités sont pour les trois quarts (75%) propriétaires de leur logement - ce qui incite le gouvernement a vouloir les taxer davantage par ailleurs - contre 57% dans la moyenne des FrançaisEnfin, n'oublions pas que les retraités n'ont plus d'enfants à charge contrairement aux actifs.

Enfin, les retraités jouissent de certains avantages notamment sur la CSG (la Contribution sociale généralisée). Ainsi, un retraité assujetti à l'impôt sur le revenu paye une CSG à 6,6% lorsque les salariés sont à 7,5%. Il y a donc des avantages qui se justifient souvent pour des raisons électoralistes : n'oublions jamais que les seniors sont nombreux à se déplacer dans les bureaux de votes, contrairement aux jeunes...

Julien Damon : Les seniors contemporains sont incommensurablement plus riches et aisés que ceux des générations précédentes. Mais c’est également le cas des plus jeunes. Le sujet de la justice générationnelle est, en réalité, très compliqué. Il mêle cependant bien des dimensions qui font du thème des « générations privilégiées » (les baby-boomers, qui ont tout de même vécu très inégalement les Trente Glorieuses) ou des générations sacrifiées (leurs enfants, qui n’ont, pour le moment, connu aucun grand conflit militaire et qui vivent dans un confort matériel sans précédent) un sujet de controverses de bistrots et de savants. Il est bien difficile de tout démêler. Il est en tout cas certain que les retraités français actuels sont, historiquement, privilégiés. Ils bénéficient à plein rendement de systèmes de retraites qu’eux (et leurs parents) ont contribué à mettre en place. Ils bénéficient aussi – si l’on peut dire – de politiques de lutte contre le chômage qui ont consisté à les faire sortir de façon prématurée du monde du travail. Il s’agit peut-être de la génération, dans certains métiers, qui aura le moins travaillé (en particulier dans certains secteurs protégés). Il est également avéré, si l’on se compare aux autres pays, que nos retraités bénéficient des taux de remplacement les plus avantageux. Au-delà des arguties techniques, leur niveau de vie est équivalent à celui de l’ensemble des personnes vivant en France.

Dans la grande majorité des autres pays de la zone OCDE, les personnes de plus de 65 ans ont un niveau de vie inférieur à celui des populations nationales. On peut dire que le projet de Sécurité sociale de 1945 a été atteint avec, d’une part, une quasi éradication de la pauvreté des personnes âgées, et, d’autre part, une équivalence entre le niveau de vie des actifs, et celui des retraités. Mais ceci s’est fait au détriment des jeunes. En clair, s’il demeure de la pauvreté chez les personnes âgées, elle n’a fait que reculer quand la pauvreté chez les plus jeunes n’a fait que progresser. Le taux de pauvreté des retraités est aujourd’hui de 10%. Il est de 20% chez les mineurs. Dit autrement, un enfant sur cinq est compté comme pauvre quand ce n’est le cas que d’un retraité sur dix. En 1990, le minimum vieillesse (le revenu d’assistance pour les plus âgés, environ 800 euros par mois aujourd’hui) comptait plus de 1,2 million d’allocataires, et le RMI (qui venait d’être créé) 400 000.


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Aujourd’hui, le minimum vieillesse compte moins d’un demi million d’allocataires et le RSA socle (qui a remplacé le RMI, environ 450 euros par mois), largement plus d’un million. Pour le dire en un mot, il y a encore 20 ans la pauvreté était un phénomène de personnes âgées, aujourd’hui c’est un sujet de jeunesse. Mais ces incontestables basculements de situation (qui amèneraient aussi à relativiser l’opinion majoritaire aujourd’hui selon laquelle, au même âge, la situation de ses parents était meilleure) ne sont pas nécessairement des arguments valables pour mettre davantage à contribution les seniors au sujet des retraites. Je crois qu’en l’espèce le sujet est beaucoup plus simple : le système n’est pas viable. Il alimente le surendettement public. Comme le dit bien un spécialiste américain de comptabilité générationnelle « nous vivons largement au-dessus des moyens de nos enfants ». Et ceci doit se lire ainsi pour les seniors : ils vivent au-dessus des moyens de leurs enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants. Il y a des ajustements paramétriques à concevoir. Il en va ainsi de l’alignement des taux de CSG, dont les différences actuelles tiennent de justifications techniques incongrues (une CSG plus faible car les retraités – inactifs par nature – ne peuvent bénéficier de la Prime pour l’emploi – PPE).

Jacques Bichot : Les retraités ont un niveau de vie équivalent à celui des actifs, mais n'en déduisons pas qu'ils ne bénéficient pas de transferts excessifs de la part de ceux-ci ! En effet, leur prise en charge dure beaucoup trop longtemps. Le fardeau supporté par les jeunes serait supportable avec le niveau de pensions actuel si la retraite durait en moyenne une dizaine d'années ; il est insupportable dès lors qu'on en est presque à 20 ans. Comme on ne peut pas dire à quelqu'un qui vient de liquider sa pension à 61 ans "désolé, on remet ça à dans 3 ou 4 ans", il ne reste que la solution de diminuer un peu les pensions, du moins celles qui sont confortables.

Les inégalités très fortes qui existent parmi les situations des retraités - que dévoilent les éléments suivants - peuvent-elles remettre en cause la généralisation de cette augmentation de la participation ?

  • 576 000 retraités touchaient le minimum vieillesse en 2010 selon l'Insee
    • Ils ne bénéficient pas de la "déduction forfaitaire pour frais professionnels" (10% sur les revenus imposables)

Philippe Crevel : Jusque dans les années 1970 et 1980, le taux de pauvreté des seniors était supérieur à celui de la population, mais il est aujourd'hui inférieur (10% pour les retraités contre 14% pour la population totale). Mais il ne faut pas oublier qu'il existe également des inégalités chez les retraités : certains ne touchent que le minimum vieillesse - ce qui représente encore à peu près 500 000 retraités, contre plus de 2 millions dans les années 1970 - et d'autres aux revenus minimums contributifs (qui bénéficient aux travailleurs ayant cotisé sur la base de faibles revenus au cours de leur carrière, ndlr).

Par ailleurs, les retraités ne bénéficient pas - contrairement aux actifs - de plusieurs avantages fiscaux comme la fameuse "déduction forfaitaire pour frais professionnels" de 10% sur les revenus imposables. Contrairement à l'idée reçue, on acquiert pas de "droits" à la retraite pour le régime de base (seulement pour le régime complémentaire). Il s'agit d'un mode de calcul. Nous sommes dans un système où se sont les cotisations des actifs qui financent les retraites du régime de base.

Julien Damon : De mon point de vue, il n’y a pas beaucoup de raisons de demander à ceux qui aujourd’hui bénéficient - globalement - d’un traitement privilégié, au regard à la fois de l’histoire et de la comparaison internationale, de ne pas faire d’effort. Mais l’effort structurel est à répartir entre les générations, en révisant profondément le système de retraite, au moins par fusion des divers sous-systèmes (il n’y a aucune légitimité à ce que le public soit mieux traité que le privé), et alignements de tout ce qui relève des régimes de base et complémentaires.

Jacques Bichot : Les retraités ne risquent pas de financer le système de retraites ! Leur prélever davantage, par exemple en augmentant le taux de la CSG applicable aux pensions, actuellement inférieur à celui qui porte sur les revenus professionnels, c'est simplement un moyen détourné de diminuer les pensions nettes, seules significatives. Si un supplément de CSG de 10 euros par mois payé par ses adhérents est affecté à une caisse de retraite, le résultat est le même que si la caisse avait 10 euros de moins à payer, du fait de la baisse des pensions. Et, comme il a été dit précédemment, il est juste (et nécessaire pour la bonne marche de l'économie) de mettre un frein à l'augmentation insupportable du montant global des transferts des actifs vers les retraités.

L'aide croissante apportée aux "jeunes" à titre privé par les parents et les grands-parents, et qui était moins forte dans les générations précédentes, justifie-t-elle qu'une plus grande participation soit demandée aux jeunes ?

Philippe Crevel : Le système de la retraite par répartition consiste à financer les retraites actuelles avec les cotisations ponctionnées sur les salaires des actifs actuels. Par conséquent, plus le salaire est élevé, plus l'on contribue en valeur absolue. Dès lors, plus un jeune est diplômé et disposera d'un meilleur salaire lorsqu'il décrochera son premier emploi, plus il contribuera. C'est la logique du système.

A l'heure actuelle, la question n'est même pas de savoir si les jeunes doivent contribuer plus ou non puisque, de facto, ils contribuent déjà de plus en plus. Toutes les réformes vont en ce sens. Les cotisations sociales augmentent, la dette qu'il faudra rembourser dans le futur également... La charge qui pèse sur les plus jeunes est relativement importante et s’accroît. Cela peut sembler juste pour une seule et unique raison : les parents et les grands-parents aident de plus en plus leurs enfants et petits-enfants que par le passé, ce qui conduit à un certain équilibre. Nous sommes donc dans un double circuit de financement qui correspond à une double solidarité : des jeunes vers les seniors (via les cotisations sociales pour les retraites) et des seniors vers les jeunes (aides privées et familiales). Les jeunes subissent une double peine puisqu'ils doivent préparer leur future retraite tout en aidant leurs aînés... sans même parler du déficit public qui s'accumule depuis 40 ans.

Julien Damon : Les jeunes, ou plus précisément les actifs en emploi, financent les pensions des retraités actuels et non pas les leurs. Les cotisations pour la retraite et la dépendance dépassent maintenant la masse gigantesque du quart de la masse salariale (17% pour les cotisations de base, une dizaine, en moyenne pour les complémentaires). Et ces éléments sont parmi les plus pesants sur ce coût du travail qui empêchent une partie des jeunes d’entrer sur le marché du travail. Je ne vois aucune raison valable pour les mettre davantage à contribution. Le sujet extrêmement sensible à venir est celui de la dépendance.

Voici un vrai risque. La retraite, en 1945, a été érigée en risque que la Sécurité sociale pouvait couvrir. Mais ce n’est plus un événement probabilisable : la retraite, avec les paramètres actuels, est devenue une quasi certitude. Ce qui n’est pas le cas de la dépendance. Une option radicale serait de totalement basculer – toute pénibilité égale par ailleurs (ce qui est un sujet en soit) – le risque retraite vers le risque dépendance (qui est, en quelque sorte, le risque de la retraite moderne). Là les jeunes (i.e les actifs) pourraient avoir intérêt véritable à cotiser. Mais sur des bases renouvelées. 

Cependant, les éléments suivants révèlent une situation face à l'emploi et une conjoncture extrêmement dures pour les jeunes. Cela ne devrait-il pas inciter à limiter leur participation au financement du financement des retraites ? 

  • Le taux de pauvreté des moins de 30 ans est supérieur à la moyenne nationale
    • Les moins de 30 ans auront 10 trimestres de cotisations de moins en moyenne que leurs aînés en fin de carrière
      • Le CDI est devenu une exception pour un premier emploi
        • Le salaire moyen diminue depuis 30 ans
          • Les prix de l'immobilier atteignent des records

Philippe Crevel : Demander aux jeunes de participer davantage au financement des retraites semble injuste ne serait-ce que pour une raison implacable : le taux de pauvreté des jeunes de moins de 30 ans est aujourd'hui supérieur à la moyenne nationale. Ils ont également davantage de difficultés à rentrer sur le marché du travail puisque les moins de 30 ans ont en moyenne 10 trimestres de cotisations en moins pour la retraites que leurs aînés en fin de carrière. Ils sont donc pénalisés à un double niveau :

  • dans la recherche d'un travail à court terme
    • sur leurs niveau de pension futures (à long terme)

Il est donc injuste de leur infliger une nouvelle peine ou injustice. Il faudrait donc veiller à une répartition plus équilibrée. C'est pour cette raison que le report de l'âge légal de départ à la retraite est la mesure la plus efficace et la plus juste puisque l'on réduit le nombre de retraités (et donc les besoins de financement) tout en diminuant ou évitant d'augmenter la charge qui pèse sur les jeunes.

Le niveau de vie des jeunes de moins de 30 ans a baissé ces dernières années car le CDI est devenu une exception en tant que premier emploi et le temps partiel ou le CDD se répandent. Le niveau de rémunération des jeunes stagne et il est rare d'obtenir un salaire supérieur à 2 000 euros alors que dans les années 1980-1990 ce même salaire moyen était supérieur à ces 2 000 euros. En 30 ans, le niveau du salaire moyen a baissé en France.

Julien Damon : La France – ou plus précisément les responsables politiques en France – a fait le choix de toujours davantage soutenir les retraités et les personnes âgées. Sans que l’on puisse parler, de façon univoque, d’un sacrifice de sa jeunesse, il s’ensuit une situation relativement plus défavorable. Si les jeunes peuvent être appelés à cotiser davantage, ce devrait être s’ils le souhaitent et pour eux. Non pas pour une système dont ils ne bénéficieront probablement pas. Dans des systèmes de retraite à prestations définies (favorables aux retraités en place), toute augmentation des cotisations est un pari sur l’avenir. Et l’on voit dans le cas américain les faillites de ces organisations, d’extraction publique ou privée (des grandes entreprises comme de grandes villes). Pour les jeunes, des augmentations de contribution peuvent, à la rigueur, se comprendre dans des systèmes à contributions définies.

Je pense qu’il faut avoir à l’esprit des faits simples, même si la mesure exacte de la répartition des prélèvements et des transferts entre les générations est un art délicat. Le point capital est que les retraités votent en nombre. Ils constituent pour l’ensemble des partis, notamment lorsqu’ils sont au gouvernement, une clientèle à choyer, à ne pas décevoir. Tout le reste est littérature et statistique.

Jacques Bichot : L'injustice du niveau actuel des prélèvements destinés aux retraités est le même pour tous les actifs, jeunes ou moins jeunes. L'âge de départ et le niveau des pensions ont été calés sur la situation qui prévalait en 1980, lorsque partaient à la retraites des classes d'âge ayant mis au monde 270 enfants pour 100 femmes.

Maintenant, les nouveaux retraités appartiennent à des cohortes ayant donné naissance à 190 ou 200 enfants pour 100 femmes. En bonne justice, il faudrait que la durée de la retraite ou son montant moyen ait baissé d'un bon quart, pour que les actifs paient ce qu'ils doivent à leurs aînés pour ce qu'ils ont reçu d'eux, mais pas plus. Autrement dit les cotisations vieillesse actuelles sont excessives à hauteur de 25%, voire plus. Les augmenter encore serait accentuer une situation d'exploitation déjà inacceptable.

Certains disent : quand on est jeune, on a la santé, on peut travailler davantage et vivre moins confortablement. Ce discours ne tient pas compte du chômage des jeunes (plus de 20%), lié à la fois à la mauvaise préparation de beaucoup d'entre eux, au coût trop élevé du travail, et à la protection des salariés en place depuis assez longtemps.

On ne peut pas demander aux jeunes de jouer les variables d'ajustement (CDD, interim, stages, temps partiel, etc.) et en plus de payer de fortes cotisations pour les plus âgés ! Sans compter qu'il faut ajouter à cela le prix délirant de l'immobilier, à la location comme à l'achat, qui pénalise particulièrement les jeunes parce qu'à 25 ans on est moins souvent propriétaire qu'à 50 ans ou à 70 ans.

Faut-il davantage résonner par catégorie sociale plutôt que par une classification jeunes/seniors ?

Julien Damon : Oui. Probablement. Ceci aurait l’avantage de pouvoir bien distinguer les inégalités intragénérationnelles et les questions de pénibilité (qui sont des questions sérieuses, assurables). Il faut cependant se méfier du naufrage corporatiste. Ce qu’il faut d’abord souhaiter c’est un choc de simplification dans le domaine des retraites. Car, en réalité, presque personne n’y comprend grand-chose. Et sous un large voile de complexité, experts et opérateurs spécialisés jouent par petites touches avec des instruments de plus en plus sophistiqués, sans que la logique d’ensemble ne soit bien claire. Il est donc difficile de décider de ce qui est vraiment juste…

Je crois qu’il n’est pas bon, au fond, d’opposer dans les débats les générationsCeci cache la défaillance systémique du modèle de retraite à la française. D’ailleurs l’opposition entre générations peut être fortement relativisée par certains experts. Ils soulignent tout de même que les difficultés et déséquilibres générationnels que l’on signale depuis des années sont très discutables, pour ce qui concerne le passé récent, mais extrêmement probables pour le futur proche…

Il y a surtout des choix structurels à faire. Dans une société vieillissante, il est dangereux de continuer à concevoir la retraite à 60 ans comme un acquis social, alors même que les gens aujourd’hui à cet âge sont en bien meilleure santé que leurs aînés qui avaient 50 ans il y a 20 ans. L’espérance de vie augmente d’environ un trimestre par an. Il s’est écoulé 30 ans depuis que l’on a fixé la retraite à 60 ans. Toutes choses égales par ailleurs la retraite devrait donc intervenir à 67 ans et demi. Or tout relèvement de cet âge, même symbolique, provoque des tollés. Nous sommes collectivement irresponsables par rapport à ce problème du vieillissement en n’acceptant pas l’idée simple que l’âge de la retraite n’est pas une donnée absolue mais relative, par rapport à l’état de santé des populations.

En somme, il est bon d’agir sur deux des trois registres des retraites : aller vers une érosion relative du montant des pensions (par alignement de la CSG, par réforme des avantages familiaux de retraite) ; augmenter la durée de cotisation (ce qui doit revenir à augmenter l’âge de départ à la retraite). En revanche, à part l’argument comptable, je ne vois aucune justification – au regard de la situation actuelle de déséquilibre générationnel – à jouer sur le troisième paramètre, l’augmentation des cotisations. Et ce pour une raison simple : il est de plus en plus incertain que les cotisants contemporains bénéficient vraiment de ce pourquoi ils cotisent. Comme le rappelait Alfred Sauvy à la fin de sa vie, les cotisations ne sont pas des réserves faites pour ceux qui les versent, mais des financements de la vie quotidienne des retraités. 

En tout état de cause, la démographie a ses inerties (en l’occurrence le vieillissement) comme l’économie a ses grandes masses (en l’occurrence le surrendettement public). Discuter longuement sur l’équité n’a pas grand intérêt. La question de la justice entre générations (qui ne se résume pas à l’opposition jeunes/séniors) va certainement bien plus encore se poser, et plus cruellement encore. Au total, l’essentiel est probablement de conserver à l’esprit une remarque percutante de Marx : « Pourquoi donc devrais-je me préoccuper des générations futures ? Qu’ont-elles fait pour moi ? ». Ça, c’est une vraie question de génération.

Jacques BichotLa prise en compte des catégories socioprofessionnelles serait souhaitable en soi, car il existe des différences de longévité, surtout pour les hommes : un cadre vit 5 à 6 ans de plus qu'un ouvrier, une femme cadre 2 ans de plus qu'une ouvrière. Mais ces différences sont moindres qu'entre hommes et femmes (une ouvrière vit aussi longtemps qu'un cadre). De plus, la notion de CSP est moins pertinente aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a un demi-siècle. Si bien que les Suédois, très attentifs à ces questions, ont renoncé, après avoir bien étudié le problème, à tenir compte de ces différences.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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