Economie sociale et solidaire ou les bonnes intentions toxiques de la "gauche-fantasme"<!-- --> | Atlantico.fr
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"L’économie sociale et solidaire telle que définie par le projet de loi Hamon repose essentiellement sur le statut juridique des structures."
"L’économie sociale et solidaire telle que définie par le projet de loi Hamon repose essentiellement sur le statut juridique des structures."
©Reuters

Poison national

S'ouvre ce lundi 4 novembre le mois de l'économie sociale et solidaire. Une initiative qui, sous un nom plein de bonnes intentions, cache un dévoiement de l'économie positive et la vacuité idéologique du Parti socialiste qui pourraient avoir des conséquences pour le pays.

Atlantico : Le Parti socialiste semble n’admettre aujourd'hui le marché que s’il est mâtiné de cette économie sociale et solidaire dont le "mois" commence ce lundi 4 novembre. Surfant sur la bonne conscience et la nécessité de bâtir un monde meilleur, à quoi correspond concrètement cette économie "positive" ? Correspond-elle à la réalité des entreprises ou relève-t-elle du fantasme ?

Julien Gonzalez : Premièrement, il me semble important de faire la distinction entre les nouvelles formes solidaires de développement et le concept d’ESS de Benoît Hamon. L’économie positive comprend certaines innovations intéressantes. Le concept d’entrepreneur social, par exemple, permet, via un modèle économique reposant sur l’acceptation d’une productivité par emploi inférieure à la moyenne des entreprises « classiques », de lutter contre le chômage des personnes peu qualifiées. Autre exemple, les monnaies complémentaires, par leur caractère fondant[1], induisent une accélération des échanges et peuvent apporter des solutions à une échelle locale.

En revanche, l’économie sociale et solidaire telle que définie par le projet de loi Hamon repose essentiellement sur le statut juridique des structures. Si les organisations statutaires de l’ESS (associations, coopératives, mutuelles et fondations) y sont admises de fait, les entreprises privées doivent engager une procédure de labellisation auprès des autorités pour obtenir le « tampon » ESS[2]. Cette lecture purement juridique exclut donc de fait une grande partie des acteurs économiques qui pourraient y prétendre. La définition « hamoniste » de l’ESS permet ensuite de revendiquer un poids économique complètement biaisé : cet « emploi privé sur huit » et les « 10% du PIB » sont essentiellement le fait d’entreprises à statut mutualiste ou coopératif (Crédit Agricole, Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel, Groupama ou encore Système U) qui s’apparentent davantage au capitalisme « classique ».

Pour en savoir plus sur retrouvez notre article Facebook entre dans l'économie sociale et solidaire selon Benoît Hamon.

C’est à ce moment du raisonnement qu’on bascule de la bonne conscience à l’opportunisme politique et qu’apparaît l’un des objectifs inavoués du texte : légitimer les structures de l’ESS dans le paysage des organisations patronales et introduire des voix discordantes au sein des collèges employeurs des différents organismes paritaires (Conseil économique, social et environnemental, URSSAF, Pôle Emploi, etc.). On passe alors du capitalisme responsable à l’associatif militant vivant sous perfusion de subventions publiques, pour de simples motifs politiciens.

Enfin, le projet de loi comporte en son sein une mesure qui risque de compliquer la cession d’entreprises, le droit d’information des salariés, en contradiction absolue avec le prétendu choc de simplification.

Bertrand Rothé : Ces mots « sociales et solidaires » constituent un piège. Personne ne peut les remettre en cause. Qui pourrait répondre non, à la question, êtes-vous pour une économie sociale et solidaire ? Je pense que d’un bout à l’autre du spectre politique tout le monde se prononcerait pour. Le contraire serait surprenant. Quant au Parti socialiste, cela ne me semble pas représenter grand-chose pour lui, puisque le Parti socialiste n’a plus de projet, et cela depuis longtemps. Pour que cela corresponde à de véritables choix, il faudrait remanier toute l’équipe gouvernementale avec des idées fortes comme ligne directrice et remercier Pierre Moscovici, Michel Sapin, les inconditionnels du libéralisme. Cette campagne est à la mesure de toute la vacuité du PS. Ce dernier « surfe », pour reprendre les termes de la question, sur l’ESS comme il pourrait redevenir écologiste, tiers-mondiste, ou toute autres éléments si cela servait sa cause.

Tout cela me semble donc surtout être une opération de communication politique qui ne colle d’ailleurs pas avec le projet européen que soutiennent avec ferveur les socialistes puisque celui-ci n’a rien de solidaire ou de sociale. Il donne au contraire la part belle à la compétition entre les économies nationales et entre les individus… Les socialistes sont justes un peu plus légitimes que l’UMP pour défendre cette idée. Car dans les racines de ce projet il y a une trace très ténue du socialisme utopique. On y trouve Jaurés, les coopératives, les mutuelles, Proudhon, Jules Guesde et le beau rêve socialiste d’une démocratie économique.

Ce modèle coopératif existe. En France de très nombreuses entreprises ont fait le choix de ce modèle dont on trouve parfois la trace dans le nom même de ces dernières. Cela dit, il est amusant de préciser que certaines ne correspondent pas nécessairement à ce que le gouvernement va sûrement mettre en avant. Je parle des différents cabinets de conseils, d’avocats ou équivalents qui fonctionnent avec des systèmes de « partners »… Pas vraiment un idéal socialiste… Ce modèle de mutualisation a parfois très bien fonctionné comme dans le secteur agricole où la mutualisation des ressources et des moyens de production est monnaie courante. Mais cela n’a pas duré et aujourd’hui on constate que ce qui était hier des coopératives ne le sont plus que sur la forme. Beaucoup d’entre elles se comportent désormais comme des multinationales sans aucun respect pour leurs sociétaires. Rappelons que le groupe d’électroménagers Fagor qui est une des plus grandes coopératives d’Europe, elle vient d’annoncer 2000 licenciements en France.

Pour finir il ne faut pas se tromper d’objectifs, ce n’est pas la forme sociale qui fera une économie sociale et solidaire. Coopératives, mutualistes, économie mixte ou économie de marché, cela n’est qu’un détail tant que l’on n’a pas défini nos nouveaux objectifs politiques, et si je pense que progressivement on est entrain de repenser notre modèle sociale cela va mettre du temps. 

Ce type de bonnes intentions peut-il par certains aspects se révéler toxique sur le plan économique et social ? Quels en seraient les effets pervers ?

Julien Gonzalez : Vous comprenez bien que je ne parlerais pas de bonnes intentions. Je crois que le Parti socialiste s’accommoderait davantage de naïveté que de cynisme…Si c’est peut-être le cas pour la base du parti et les militants, je ne crois pas que le gouvernement pêche par angélisme en matière économique. Je vois plutôt un positionnement politique et marketing qui l’oblige à aller à l’encontre du bon sens dans ses promesses (fiscalité, retraites, dépenses publiques, etc.) que la réalité, pourtant bien connue, oblige souvent à contrarier.

Je ne crois pas, par exemple, que le Parti socialiste considérait la défiscalisation des heures supplémentaires comme une mauvaise mesure. Mais placée dans la catégorie « cadeaux aux entreprises » de l’ancienne majorité, elle se devait d’être sacrifiée. Évoquer de bonnes intentions mal payées serait à mon sens faire beaucoup trop d’honneur aux socialistes.

Autre exemple à mes yeux très important : la taxe à 75%. Je soupçonne François Hollande de ne l’avoir jamais considérée ni juste ni efficace. La proposition est née en direct sur le plateau de Laurence Ferrari un soir de campagne électorale et à une période où Mélenchon était haut dans les sondages. Ses équipes, dont Jérôme Cahuzac chargé des questions budgétaires, n’en avaient jamais entendu parler. Le candidat socialiste a d’abord évoqué une taxe sur les revenus mensuels supérieurs à un million d’euros, avant de préciser quelques minutes plus tard qu’il s’agissait en fait d’un million par an, et par ménage. Puis par personne. Puis la taxe devait être payée par le contribuable. Puis finalement il s’agissait de faire payer les entreprises.

En la matière, on ne parle donc pas de romantisme égalitaire inefficace économiquement, mais bien de populisme. Rien d’autre.

Au-delà des questions économiques, existe-t-il d'autres domaines où la gauche se nourrit de fantasmes et d'illusions ? En quoi cela influe-t-il sur sa politique et quel impact celle-ci peut-elle avoir sur la société ?

Julien Gonzalez : Je vois surtout un domaine où l’idéologie l’impose au pragmatisme chez les socialistes : la sécurité. Sur ces questions, je suis surpris par la teneur des débats et la justification de la loi Taubira : « comme la prison n’empêche pas la récidive, alors il faut diminuer la prison ». Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que la criminalité est avant tout le fait de conditions sociales précaires, et que rien ne sera jamais plus efficace contre le crime que l’emploi. La sévérité de la justice n’est pas suffisante et l’emprisonnement des délinquants n’est pas censé apporter une solution miracle au problème. Mais ce sont des conditions nécessaires à la délimitation du pacte républicain. La prison est là pour sanctionner et non pour rééduquer. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faille pas rééduquer !

Autre exemple afférant à la sécurité : la relation des socialistes aux avancées technologiques et scientifiques d’aide à la résolution des enquêtes. La constitution d’un fichier d’empreintes ADN a longtemps été considérée comme une atteinte aux libertés individuelles alors que, dans le même temps, le Royaume-Uni développait un tel outil. Notre pays s’est donc payé le luxe d’un retard considérable en la matière, pour finalement y venir. Même chose pour la télésurveillance. Il me semble que sur ces points le PS se convertit petit à petit à la recherche du pragmatisme, mais de prime abord, il ne doit pas la considérer comme suffisamment intellectuelle pour en faire un élément moteur de sa politique.

Bertrand Rothé : Avant tout, je ne prends pas à ma charge le mot de « fantasme » car la mise en place d’une économie sociale et solidaire est une nécessité. En revanche, que le PS et l’Europe utilisent ce « mois » comme une couverture à l'incapacité à proposer une alternative économique et sociale m’apparait comme bien plus problématique. Leur fantasme depuis François Mitterrand et Jacques Lang c’est de penser que les fêtes, les opérations de communication à répétition peuvent remplacer des choix politiques. Le fantasme c’est donc de croire que tout doit être communication et que plus rien n’est politique, que l’on peut faire un mois de l’économie sociale et solidaire, puis un mois des droits de la femme, puis un mois de l’écologie, de l’éducation ou des minorités, etc. Ce qui me gêne c’est l’idée du « mois » plutôt que celle de l’économie sociale et solidaire.

Dans l'affaire Leonarda, la gauche n'a-t-elle pas justement sombré à une vision fantasmée de l'immigration qui serait par essence positive ?

Bertrand Rothé : Vous avez raison cela correspond à la même logique. On assiste à la récupération d’un problème pour se « refaire une virginité ». La gauche cède, plutôt qu’à des fantasmes, à la recherche d’écrans, de leurre pour montrer qu’elle a encore des valeurs et une colonne vertébrale. Harlem Désir s’est montré très libéral, Valls, Chevènement et Royal très républicains. Des valeurs antinomiques. De la dissonance des discours, il ne reste qu’une cacophonie. Un vide sidéral. Les socialistes auraient sûrement aimé que cette affaire leur redonne une force politique et idéologique. Il n’en est rien et c’est très regrettable pour la démocratie.

Julien Gonzalez : Je ne ferais pas cette critique à la gauche et je crois au contraire que le PS évolue sur ces questions, avec une vision moins naïve. En revanche, je pense que l’aile gauche de la majorité (courant hamoniste du PS et EELV) a contraint François Hollande à rechercher une solution équilibrée, pour arriver au résultat que l’on connaît.

Dans l'histoire, les bonnes intentions ont parfois conduit à des tragédies. Quelles ont été les conséquences politiques et historiques lorsque la gauche a refusé de voir la réalité en face ? Quelles peuvent-être les conséquences aujourd'hui ?

Bertrand Rothé : Le meilleur exemple me semble être l’Europe qui, telle qu’elle se développe aujourd’hui, est un choix appuyé du Parti socialiste. En 1983 derrière Delors, le PS s’est allié avec les libéraux conservateurs pour accélérer un mouvement qui depuis 1968 patinait. C’est le PS qui a fait le choix d’une Europe libérale au moment où il se trouvait orphelin de toute pensée cohérente. C’est Jacques Delors, le père spirituel de François Hollande notre président, de Moscovici, et de Martine Aubry, qui est responsable de l’acte unique, alors que la tradition française était plutôt sur un modèle de régulation coopératif du type de la politique agricole commune.

Je vais même aller plus loin, dans une certaine mesure le Front national est une «  invention » du Parti socialiste, et de son patron de l’époque François Mitterrand et cela pour des raisons bassement électorales. Personne ne s’en souvient mais la première fois que Jean-Marie Le Pen a été invité pour parler dans une émission de télévision c’était dans L’Heure de vérité en 1984 sur demande de l’Élysée. Bien sûr, le PS n’est pas la seule cause de ce qu’est devenu le Front national mais il a contribué à le faire connaitre. Lorsqu’on ne fait que de la communication voilà les conséquences que cela a.

Julien Gonzalez : Sans parler de « tragédie », le dernier exemple en date de mesure idéologique qui a eu des effets désastreux pour notre pays est à mon sens la mise en place des 35h. L’idée centrale était alors que l’on pouvait lutter contre le chômage en partageant la quantité de travail disponible, idée qui reposait bien davantage sur une croyance que sur l’observation du réel.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio


[1] Le caractère fondant d’une monnaie est le fait qu’elle perde de la valeur au bout d’une certaine durée de détention. Cette caractéristique empêche la thésaurisation et accélère sa circulation.

[2] Les entrepreneurs sociaux, qui se définissent comme des « entrepreneurs de solution sociale », devront alors en apporter la preuve.

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