École : les deux enjeux clés que zappe totalement Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Nicole Belloubet lors d'une visite à l'Ecole primaire d'application Blanche et au Laboratoire académique de formation autisme (LAB9A) à Paris, le 5 avril 2024.
Emmanuel Macron et Nicole Belloubet lors d'une visite à l'Ecole primaire d'application Blanche et au Laboratoire académique de formation autisme (LAB9A) à Paris, le 5 avril 2024.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Education nationale

Face à la crise des vocations, Emmanuel Macron a présenté des mesures vendredi pour réformer la formation des enseignants. Le chef de l'Etat n'a pas apporté de solutions concernant deux difficultés majeures de l'Education nationale : la valorisation sociale des enseignants et la priorité accordée à l'instruction.

Baptiste Larseneur

Baptiste Larseneur

Baptiste Larseneur est expert résident à l'Institut Montaigne sur les questions d'éducation et responsable de projets liés au développement du capital humain et au développement économique des territoires.

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Jean-Pierre Obin

Jean-Pierre Obin

Jean-Pierre Obin est ancien inspecteur général de l'Éducation nationale. Il a publié Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (Hermann, 2020) et Les profs ont peur (Éditions de l’Observatoire, 2023).

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Atlantico : Le chef de l’État, en déplacement dans une école primaire de Paris ce vendredi, a dévoilé des mesures sur l’éducation. A la rentrée prochaine, les futurs professeurs des écoles pourront intégrer une licence après le bac. De nombreuses études montrent que les enseignants sont de plus en plus nombreux à exprimer des difficultés par rapport à la rétribution symbolique, le fait d’être fier de leur travail, de leur statut social en tant qu’enseignant et de retirer quelque chose de positif de leur activité. Ce critère de satisfaction sur ces enjeux s'est effondré depuis de nombreuses années pour les enseignants, selon différentes études. Pourquoi les mesures annoncées par Emmanuel Macron ne vont-elles pas permettre aux enseignants de regagner de la confiance dans leur métier ?

Baptiste Larseneur : Les annonces d’Emmanuel Macron sur l’Education, dévoilées ce vendredi, portent sur la formation initiale. Aujourd’hui, seulement 25 % des enseignants estiment être très bien préparés, dans le cadre de la formation initiale, au contenu des disciplines enseignées et à l'accompagnement des élèves. Il y a un énorme enjeu et défi au sein de l’Education nationale en termes de formation initiale. L’amélioration de la qualité de la formation dispensée aux enseignants est au cœur de tout projet d’amélioration de la performance d’un système éducatif.  

Depuis de nombreuses années, nous ne pouvons que constater l’instabilité des évolutions en termes de formation initiale. Elles ont contribué à brouiller les perspectives d'entrée dans le métier d’enseignant et à nuire à son attractivité. Ainsi, les instituts universitaires de formations des maîtres (IUFM) ont cédé la place aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) puis aux instituts nationaux supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) qui laissent désormais leur place aux écoles normales. La place du concours a également été modifiée à plusieurs reprises via les réformes de la masterisation pour finalement être ramené à bac +3 demain. 

Les consultations et échanges relatifs à cette réforme ont été engagés sous Pap Ndiaye. Il faut espérer que l’exécutif se soit donné le temps de voir tous les acteurs et d’aboutir à la réforme la plus consensuelle. L’enjeu premier c’est la stabilité de cette évolution. Nous ne pouvons plus réformer la formation initiale des enseignants tous les deux ans.

Cette stabilité est un moyen de répondre à l’enjeu d'attractivité du métier, au-delà même des questions essentielles relatives à la rétribution et à la qualité de la formation dispensée. En ce sens, la construction d’une formation post-bac pluridisciplinaire est essentielle pour améliorer la formation des professeurs des écoles mais reste à savoir combien de candidats seront susceptibles de s’engager dans cette voie de formation. 

Jean-Pierre Obin : Les annonces ne vont pas du tout satisfaire les enseignants et je ne pense pas que ce soit le but des mesures proposées par Emmanuel Macron d'ailleurs. Le but de cette réforme de structure est d'accroître mécaniquement le nombre de candidats au concours afin d'essayer de surmonter la crise de recrutement. Mais cela ne répond en rien à la crise d'attractivité. Il y a deux solutions pour avoir plus d'enseignants, soit rendre le métier plus attractif, soit baisser le niveau d'exigence. Or, on baisse le niveau d'exigence malheureusement. 

Les mesures annoncées vont modifier le niveau de recrutement des instituteurs, des professeurs des écoles. L’objectif est de créer progressivement dans les universités des licences polyvalentes adaptées à la formation des professeurs du premier degré et ensuite de les recruter au niveau de la licence pour les placer ensuite deux années comme stagiaire contractuel. Cela s’inscrit dans la lignée des IUFM. 

La réforme proposée va avoir un effet sur la formation des professeurs du primaire. Cela va   mécaniquement accroître le nombre de candidats. Il y aura de plus en plus de licenciés que de maîtres titulaires du master. 

Cette mesure ne va rien changer aux difficultés sur l'attractivité du métier d’enseignant et qui concerne les conditions de travail, de rémunération, de retraite, de mobilité ou de promotion. 

Il y aura davantage de candidats mais il n'y aura pas une attractivité supérieure du métier. 

Cela ne résout pas la très grande inégalité entre les académies. Le recrutement s’opère selon les académies et les régions, il y a soit pléthore de candidats ou un déficit d’aspirants enseignants. L'académie de Créteil par exemple est en grande difficulté. Cette année, il y a moins de candidats que de postes à pourvoir. Cela veut dire que tout le monde va être reçu, quelle que soit la moyenne. L'an dernier, les recrutements se sont fait sur la note de 4/20 de moyenne dans l'académie de Créteil.

Cela ne changera pas massivement les choses sur cette inégalité entre les académies. Comme les instituteurs recrutés dans certaines académies ont un niveau très faible et que les élèves ont déjà un niveau très bas, du fait de la sociologie de l'académie, cela constitue des causes de renforcement des inégalités sociales sur le plan scolaire.

Quand bien même, la rémunération des enseignants augmenterait de 20 %, la crise des vocations ne resterait-elle pas la même ? L’évolution de l’aspect monétaire n'a pas forcément d'influence sur cette rémunération symbolique, cette estime du métier. Finalement, que cache la crise des vocations des enseignants ?

Baptiste Larseneur : L’une des principales problématiques que nous connaissons concernant la formation des professeurs des écoles est leur formation monodisciplinaire en licence :  80 % des professeurs des écoles sont issus de filières littéraires ou de sciences humaines. Ceci explique en grande partie le déclin de notre performance en mathématiques par exemple. Renforcer la qualité de la formation initiale est l’une des clés pour renforcer l’attractivité du métier de professeur des écoles. Ainsi, le fait de proposer une formation pluridisciplinaire en licence, dans le prolongement de ce qui avait été créé dans le cadre du parcours préparatoire au professorat des écoles (PPPE) en fait partie. L’octroi d’une rétribution durant la formation, sous forme de bourses ou de rémunérations doit également permettre de renforcer l’attractivité de cette formation. Les revenus perçus durant la formation pourraient ouvrir des droits sociaux, comme l’accès aux cotisations retraites, revalorisant ainsi le statut des professeurs des écoles. Cette orientation renforcerait l’attractivité du métier, en particulier pour les jeunes issus des classes populaires pour lesquels la masterisation constitue une difficulté. 

Jean-Pierre Obin : Il est très difficile de résoudre à court terme ce problème de manque d'attractivité parce que les conditions de travail des enseignants se dégradent d'année en année. Sur les 20 dernières années, il y a eu beaucoup de changements. Les élèves ne sont plus les mêmes, les élèves ont changé. Le niveau de violence atteint dans les établissements scolaires est considérable. Le fait que cette question soit aujourd’hui mise en lumière montre que les agressions et les menaces contre les enseignants ne cessent d'augmenter et prennent des proportions considérables. Dans mon livre “Les profs ont peur”, j'avais utilisé la dernière enquête de l'IFOP de 2022 qui montrait que 12 % des enseignants ont déjà subi une agression physique dans leur carrière, dont le tiers dans la dernière année scolaire, ce qui fait qu'il y a plus de 30.000 agressions physiques d'enseignants dans une année scolaire. La dynamique s'accélère. Certaines choses restent encore dans le non-dit, même si de plus en plus d'affaires sortent et que les enseignants parlent davantage, mais cela contribue à détériorer considérablement l'image du métier.

Un enseignant a notamment déclaré sur un plateau de télévision qu’il ne savait pas que c'était un métier dangereux et que s’il l'avait su, il n’aurait pas fait le choix de s’engager au sein de l’Education nationale. Il y a également de plus en plus de démissions d'enseignants. Cela constitue un autre marqueur du manque d'attractivité de la profession. Même chez des personnes qui pensaient avoir la vocation, qui n'étaient pas effrayés par ce métier. Devant les conditions réelles d'exercice, ils sont obligés de partir dès la première année.

Est-ce que le fait de se fixer trop d'objectifs au sein de l'Education nationale sur l'égalité hommes femmes, sur l'abaya, sur la violence au sein de l’école, sur le harcèlement scolaire n’aboutit-il pas à un échec ? Le ministère de l’Education nationale et le pouvoir politique ne devraient-ils pas plutôt mettre en avant le seul et unique objectif déterminant qui est l'instruction pour améliorer le niveau des élèves ?

Baptiste Larseneur : L’instabilité de la politique éducative française, de manière générale, est l’une des causes de notre faible performance globale. La résorption des inégalités scolaires doit être au cœur de notre politique éducative. Depuis 20 ans, notre pays est l'un des pays les plus inégalitaires de l'OCDE. Dans une note que j’ai produite pour l’institut Montaigne, Inégalités scolaires, agir à la racine, j’identifie les leviers sur lesquels agir pour lutter efficacement contre les inégalités scolaires. En France, la part de la performance éducative expliquée par l'origine socio-économique est très importante. La lutte contre l’échec scolaire et les inégalités doivent être au cœur de la politique éducative. 

Les annonces du Président de la République portent avant tout sur la question de la formation initiale des professeurs des écoles, sous statut. L’amélioration de la formation initiale est déterminante mais elle n’est pas suffisante. Il y a d'autres enjeux en termes de formation qui sont tout aussi important.

D’abord, les contractuels. Depuis plusieurs années, face à la pénurie des vocations enseignantes, le ministère de l’éducation nationale recourt à des contractuels, souvent embauchés dans l’urgence pour occuper les postes vacants. Si les professeurs contractuels ne représentent qu’environ 1 % des enseignants du 1er degré, leur nombre tend à augmenter ces dernières années. Or, l’immense majorité commencent à exercer leur métier sans avoir reçu de formation initiale car la formation initiale des contractuels n’est toujours pas réglementée au niveau national. De tels recrutements contribuent à dévaloriser toute une profession en alimentant l’idée fausse que « tout le monde peut être enseignant » sans acquérir de compétences particulières. Par conséquent, il semble essentiel d’assurer une certaine exigence du niveau et de la formation initiale pour les personnels contractuels. Il est urgent de traiter ce problème. Par ailleurs, ces enseignants sont très peu accompagnés sous la forme de tutorat. Ce cadre conduit encore une fois à dévaloriser toute une profession. 

Pour traiter l'intégralité du sujet et renforcer l'attractivité, il faut traiter l'ensemble de ces volets. 

L'enjeu de formation est au cœur de l'amélioration de la performance de notre école. L’amélioration de la performance de notre école sera améliorée dans les classes grâce à la qualité du travail des enseignants. Ce ne sont pas les réformes de structure ou d'organisation du système qui pourront améliorer concrètement la qualité de l’enseignement et de l’instruction. Les progrès des élèves sont rendus possibles grâce aux prouesses et à la qualité du travail des enseignants.

L’amélioration de la formation continue des professeurs des écoles, tant en volume qu’en qualité est également au cœur des enjeux de formation. Il y a aujourd'hui 18 heures de formation continue pour les professeurs des écoles qui sont comprises dans les obligations réglementaires de service. Il faudrait pouvoir doubler cette formation continue pour rejoindre les standards internationaux et passer à 35 heures de formation continue annuelle. Une véritable réflexion doit être conduite pour savoir comment nous pourrions augmenter cette obligation de formation continue en volume et également en qualité. Cela permettrait d’améliorer la performance du système éducatif et de répondre aux besoins des professeurs des écoles.

Un autre aspect important est l'accompagnement des professeurs durant les deux premières années de leur intégration dans les classes. Il y un phénomène assez inquiétant avec l'augmentation du nombre de démissions d'enseignants, notamment dans le premier degré durant les premières années. Depuis 2008, le nombre de démissions dans le premier degré a été multiplié par huit. Les démissions liées au trop grand choc perçu par les professeurs entre la formation initiale et la réalité de la salle de classe sont révélatrices de l'échec de notre formation initiale. Il faut non seulement une formation pluridisciplinaire post-bac, sur plusieurs années, mais il faut aussi favoriser l'accompagnement de ces professeurs pour limiter le choc de transition entre le passage de la formation initiale à la salle de classe.

Jean-Pierre Obin : Pour l’instruction, les professeurs n'ont jamais oublié cette mission. Ils sont d'ailleurs formés dans une discipline universitaire. L’une des grandes raisons du fameux malaise enseignant dont on parle depuis plus d'un siècle concerne le hiatus qui existe entre le métier appris à l'université, qui est centré sur la discipline, et le métier réel dans les classes, qui est centré sur les élèves. La prise de conscience de ce décalage est souvent très douloureuse pour les jeunes enseignants. Ils s'aperçoivent que ce qu'ils ont appris à l'université n'est pas déterminant dans la relation pédagogique et que d'autres apprentissages sont requis. Une maîtrise de l'autorité est notamment nécessaire et elle ne s'apprend pas sur les bancs de l’université.                 

Les enseignants n’ont pas perdu de vue le fait que l’instruction était au cœur de leur métier. Lors de leur formation, ils doivent apprendre les mathématiques, le français, l'anglais. Le problème concerne les conditions d'apprentissage qui sont de plus en plus difficiles, tant dans les zones d'éducation prioritaire, en particulier dans les collèges et même dans les écoles des quartiers défavorisés. Il est extrêmement difficile de faire passer une instruction. Cela nécessite d'autres qualités professionnelles. Cette réalité nous distingue de beaucoup de pays étrangers voisins qui n'ont pas ces difficultés. Leurs formations d'enseignants sont davantage professionnelles et moins académiques. 

Les conditions pratiques de transmission ne peuvent pas s'apprendre ailleurs sur les bancs de l'université. Cet apprentissage se fait réellement dans la salle de classe, avec des collègues, des professeurs, des maîtres formateurs. 

En ne permettant pas de redonner du prestige et de la confiance au rôle des enseignants et en ne se focalisant pas sur l'instruction, est-ce qu'il n'y a pas une erreur commise par l'exécutif de ne pas prioriser ces sujets ?

Baptiste Larseneur : Aujourd’hui, la formation initiale n’est pas assez professionnalisante. Il y a la volonté de revenir à une formation pluridisciplinaire et de professionnaliser davantage la formation. La question est de savoir quel est l’objectif qui est fixé. Cette réforme, via l’approche pluridisciplinaire, est une orientation qui était explorée sous Jean-Michel Blanquer avec la création des parcours préparatoires au professorat des écoles. Aujourd'hui, cela représente près de 800 enseignants qui s'engagent en post-bac dans ces formations. Si l'objectif était de former 50 % des enseignants en post-bac annuellement, cela voudrait dire qu’il faudrait ouvrir 15 000 places. Que visons-nous ? Avons-nous les moyens de réussir cet objectif ? Les moyens déployés permettront en partie de rendre ces filières de formation d’excellence attractives.

Jean-Pierre Obin : Cela est bien facile à dire qu'à faire. Il est possible de réformer le concours de recrutement, un décret suffit. Mais changer les conditions de travail des enseignants et leur compétence ne se fait pas en un coup de baguette magique. Les professeurs voient leurs conditions de travail se dégrader et les incidents se multiplient. 

Au niveau des moyens qui ont été déployés ou qui ont été annoncés, ces mesures et ces annonces sont-elles à la hauteur des défis pour l'éducation ?

Jean-Pierre Obin : Il y a eu un renforcement des moyens du pacte qui permet de mieux remplacer les enseignants absents de courte durée. Cette année, le résultat n'a pas été brillant. Les espoirs qui avaient été mis dans le pacte ne sont pas totalement remplis. 

Les contenus de l’enseignement posent problème, notamment en matière de formation en français, en mathématiques et sur les valeurs de la République. Tant que le ministère de l'Education nationale ne reprend pas la main sur ces contenus d'une manière ou d'une autre, il sera difficile de vraiment piloter le système de formation initiale des enseignants.

Les annonces d’Emmanuel Macron et les mesures proposées vont-elles permettre de rassurer le corps enseignant et les acteurs du monde de l'éducation ?

Jean-Pierre Obin : Les enseignants ont de plus en plus peur aujourd'hui. Il suffit de regarder l'actualité brûlante. Je ne vois pas en quoi le fait de changer les structures du recrutement va rassurer les enseignants malheureusement.

La priorité d’Emmanuel Macron à travers les mesures annoncées est de retrouver un nombre suffisant de candidats. En abaissant le niveau de recrutement à la licence, il y aura davantage de candidats mais cela ne permettra pas de changer les problèmes auxquels sont confrontés l'Education nationale.

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