Durcissement des peines pour les agresseurs de policiers : et au fait, à l’école il se passe quoi pour ceux qui s’en prennent à leurs profs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un professeur de collège au nord de Rennes dispense son cours à des élèves en septembre 2011.
Un professeur de collège au nord de Rennes dispense son cours à des élèves en septembre 2011.
©DAMIEN MEYER / AFP

Étape d’avant

Cédant à l’attraction d’une pente politique bien connue, le gouvernement a fait de nouvelles annonces sur le renforcement de notre appareil pénal. Mais quel sens y-a-t-il à beaucoup céder sur les premières étapes pour taper fort trop tard ?

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Sophie Audugé

Sophie Audugé

Sophie Audugé est Déléguée Générale de SOS Education. 

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Atlantico : Si l’aspect pénal est important dans la lutte contre l’insécurité, le travail de prévention dès le plus jeune âge est aussi important. Quel rôle l’école peut-elle jouer ? Devons-nous plutôt prendre le problème par le début que par la fin ?  

Sophie Audugé : L'école peut effectivement modifier ses pratiques pour éviter que des problèmes de violence surviennent plus tard. Le problème de la violence se traite dès le plus jeune âge au moment de l'apprentissage des règles de vie commune, du respect de l'autorité, de ce qu'on a le droit de faire et de ne pas faire, ce qui est du domaine de la liberté et du domaine du devoir… Avant, on passait un certain temps à travailler cette notion d'équilibre entre droits et devoirs, qui est beaucoup moins abordée aujourd'hui. 

On sait très bien qu'il y a une crise importante de l'autorité, aussi bien dans l'environnement familial que dans l'école. Selon une étude TALIS de 2019, les professeurs du collège passent en moyenne 20% du temps de classe à faire autre chose qu'enseigner leur matière ! Ils gèrent le chahut, ils font de la discipline, ils « éduquent » les enfants... Et selon une étude PISA 2018, la France est l'un des trois pays où les élèves font état des plus grandes préoccupations liées aux problèmes de discipline en classe. Il n’y a qu'en Argentine et au Brésil où l'indice du climat de discipline est inférieur à la moyenne observée en France.

L'une des conséquence est qu'il y a des violences dès le primaire à laquelle on n'était pas habitués. Peut-être qu'on n'intervient plus assez tôt. Dans certaines cours d'écoles et dès les petites classes, on voit du langage et des gestes violents ou inappropriés. Encore récemment en Haute-Garonne, un enfant de 8 ans a agressé un directeur après avoir sorti un couteau à la récré. C'est la conséquence d'un laxisme. Il faut reconstruire l'école comme un lieu d'enseignement, de calme et de respect des règles. Si on ne les respecte pas, il y a des sanctions. Et ce dès le plus jeune âge. Si petit, un enfant tape ou insulte sans être sanctionné, ce sera pire au collège. 

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Un enfant très jeune ne demande rien de plus qu'un environnement codé, cadré, qu'il comprend avec des règles simples qu'il peut suivre. Tout ce qu'il veut, c'est avoir des camarades et réussir à l'école pour qu'on le félicite. Lui faire sentir qu'il peut tout faire ce n'est absolument pas l'aider, au contraire. Dès que l'on sort d'un cadre formel comme celui-ci, l'enfant va potentiellement être mis en difficulté. C'est la porte ouverte à de nombreux travers. Dès le plus jeune âge, l'enfant doit comprendre que l'école est un lieu dans lequel il est en sécurité et où il va apprendre dans le calme. On le lui doit. Aujourd'hui, ce devoir là clairement on ne l'assume pas.

Jean-Paul Brighelli : L’Ecole n’a aujourd’hui quasiment aucun moyen de réprimer des comportements « incivils », comme on dit. Même dans des cas très graves, un élève mineur exclu ici est obligatoirement réinscrit là — on se repasse le bâton merdeux, si je puis dire. Nombre d’enseignants vivent en situation d’insécurité — et s’auto-censurent de peur de provoquer un e réaction de gamins in contrôlables, et qui de surcroît ont l’approbation tacite ou vocifératrice de leurs parents. Il faudrait pouvoir frapper à la caisse — et suspendre les Allocations familiales, ou supprimer la « prime de rentrée". On en est très loin.

Les sanctions sont-elles suffisantes quand des cas de violences se font jour, notamment les violences envers leurs professeurs ? Les professeurs sont-ils trop souvent tenus responsables des actions de leurs élèves ?   

Sophie Audugé : C'est très différent selon les établissements. Tout le monde a suivi le mouvement #pasdevague qui a révélé beaucoup de choses. SOS éducation a mis en place un Observatoire de la souffrance des professeurs. C'est un site sur lequel les professeurs peuvent raconter librement ce qu'ils vivent et où une psychologue clinicienne prend contact avec les professeurs dont on perçoit une situation potentiellement dangereuse pour leur santé. Nous avons reçu énormément de témoignages de professeurs qui ont subi une agression verbale ou physique soit de la part d'élèves, soit de la part de parents. 

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Certains professeurs racontent avoir voulu sévir contre des élèves qui avaient vraiment dépassé les bornes, vis-à-vis de l'enseignant ou de leurs camarades de classe, et trop souvent, les sanctions ont été levées par leur chef d'établissement. 

Jean-Paul Brighelli : Le #Pasdevagues qui sévit depuis quelque temps est significatif : l’administration préfère résoudre les conflits en interne — quitte à désavouer les enseignants. Une enseignante avait confisqué le portable d’un élève qui jouait dessus pendant un cours : celui-ci n’a fait qu’un bond jusqu’au bureau, lui a pris ses lunettes et s’est livré à un chantage, la bousculant au passage. L’enseignante a voulu l’amener devant le CPE — sans possibilité de le faire. Et il n’a au final même pas eu une heure de colles. Une autre, en butte à la violence d’un élève, est convoquée devant un expert psychiatre qui tâchera de lui expliquer qu’elle a un rapport au pouvoir toxique… Les mêmes mineurs qui font leurs gammes dans les bandes de leur quartier, et qui ne sont jamais inquiétés par la Justice, sont en classe avec le même sentiment d’impunité : que voulez-vous en attendre ? L’Ecole n’est que le reflet de nos démissions collectives.

Le phénomène d’omerta dénoncé par le mouvement #pasdevagues révèle-t-il que ces violences ne sont pas suffisamment prises en compte dans l’Education nationale ?

Sophie Audugé : Trop souvent, les professeurs victimes de violence ne sont soutenus ni par leurs directions, ni même par leurs collègues. Parce que ça fait peur, parce qu'on a peur des réactions des parents. Les directions d'établissement n'ont pas envie de faire de bruit et de se retrouver dans une judiciarisation de la relation entre parents et établissement. Comme on ne veut pas signaler la violence auprès de l'administration, on ne caractérise pas le geste comme étant violent. Beaucoup de professeurs dans des situations de harcèlement ou de violence se retrouvent étouffés. 

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