Droit du sol à Mayotte : derrière la communication de Gérald Darmanin, un redoutable piège politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald Darmanin a annoncé dimanche une révision constitutionnelle destinée à supprimer le droit du sol sur l'île française de Mayotte.
Gérald Darmanin a annoncé dimanche une révision constitutionnelle destinée à supprimer le droit du sol sur l'île française de Mayotte.
©Emmanuel Dunand / AFP

Impuissance ?

Gérald Darmanin a annoncé dimanche une révision constitutionnelle destinée à supprimer le droit du sol sur l'île française de Mayotte.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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M. Darmanin « annonce la fin du droit du sol à Mayotte » pour tenter de mettre fin à la situation insurrectionnelle qui embrase l’île. Ainsi, il illustre une dérive de la politique actuelle qui consiste à lâcher des paroles explosives pour cacher l’impuissance et le désarroi. Un ministre, membre de l’exécutif, dans une république démocratique ne peut pas annoncer comme un fait acquis une décision qui relève du Parlement qu’elle soit de nature législative ou qui plus est, de niveau constitutionnel. Ce faisant, il balaye la nature démocratique du régime et nie la séparation des pouvoirs en instaurant une autocratie de fait. En tout état de cause en s’appropriant une compétence qu’il n’a pas – elle appartient au Parlement – il foule au pied la nature démocratique du régime.

La fin du droit du sol ? parlons-en. Une croyance largement partagée veut que la naissance sur le territoire français suffise à obtenir la nationalité française. Tel n’est pas le cas. En réalité, pour bénéficier de la nationalité au titre du droit du sol, il faut être né en France de parents étrangers et y avoir vécu pendant 5 ans à l’âge de ses 18 ans. Il est à la fois excessif et inexact de faire croire que la perspective de voir son enfant, né à Mayotte, obtenir la nationalité française à l’horizon de ses 18 ans (voire 13 ans en cas de déclaration anticipée) serait le déterminant essentiel des migrations vers cette île française. Les personnes qui risquent leur vie sur les kwassa-kwassa ne calculent pas à si long terme.

Le droit du sol n’est pas et n’a jamais été la principale source de l’attractivité de Mayotte pour les Comoriens, les Malgaches, ou les Africains de l’Est. Quand on embarque dans des conditions périlleuses pour affronter la mer et les vedettes de la gendarmerie, c’est dans l’espoir d’un Eldorado à court terme et sûrement pas, à titre principal, dans la perspective d’une éventuelle acquisition de nationalité pour ses enfants à l’horizon d’une quinzaine ou d’une vingtaine d’années…  D’ailleurs, la réforme draconienne limitant le droit du sol à Mayotte, adoptée en 2018 dans le cadre de la loi Colomb (avoir un parent en situation régulière depuis au moins trois mois), annoncée comme une clé de la sortie de crise migratoire, n’a pas permis d’améliorer d’un iota la situation sur place. Le mythe du droit du sol comme déterminant de l’immigration à Mayotte sert de leurre – ou de chiffon rouge –  pour détourner l’attention d’une situation infiniment plus complexe.

En vérité, c’est le différentiel de niveau de vie qui est l’unique déterminant du flux migratoire et qui explique pourquoi environ la moitié des 300 000 habitants de Mayotte (au moins) sont des migrants en situation irrégulière. Le revenu moyen à Mayotte est plus de 12 fois supérieur à celui des Comores : 1500 €/mois contre 135 $/mois. Les habitants d’Anjouan, à 80 km de Mayotte sont dépourvus de tout : hôpitaux, écoles, services publics, eau potable et sont condamnés à la misère dans l’un des pays les plus pauvres du monde. La tentation de gagner l’îlot de prospérité qu’est Mayotte, ses écoles, son hôpital (sur le standard de la métropole), la perspective d’un revenu 12 fois supérieur, est dès lors inévitable !

D’autant plus que les liens familiaux, claniques et culturels entre Anjouan et Mayotte sont étroits et que les candidats à l’immigration ne font généralement que rejoindre des proches installés à Mayotte. L’aberration suprême dans les années 1990, est d’avoir fait de Mayotte un département français – à 8000 km de Paris –  ayant vocation à bénéficier des mêmes prestations et du même niveau de vie que la métropole au milieu d’un océan de misère. Nous la devons à tous les chefs de l’Etat depuis François Mitterrand – qui aiment à s’y faire acclamer, une couronne de fleurs autour du cou, sur le chemin de la Réunion.

En revanche, la suppression du visa territorial annoncée en parallèle par M. Darmanin, elle, peut exercer une influence considérable : mais dans le sens du laxisme et non de la fermeté…  Car les titres de séjour délivrés par la France à Mayotte ont aujourd’hui une particularité : ils ne valent que pour Mayotte (à l’exception des titres de résident de longue durée – 10 ans – accordés notamment aux réfugiés reconnus par l’OFPRA). Les titres de séjour de courte durée d’un an ou pluriannuels, distribués à la masse des personnes régularisées, ne permettent pas aux étrangers qui en bénéficient à Mayotte de se rendre en métropole. Les détenteurs de ces titres de séjour doivent en plus demander un visa territorial, accordé par le préfet de Mayotte, pour se rendre en métropole, à condition d’offrir toutes les garanties de leur retour à Mayotte par la suite. Ce dispositif représente une précieuse garantie pour maîtriser l’immigration comorienne, malgache ou africaine en France métropolitaine… Donc, pour alléger la pression migratoire sur Mayotte, la suppression des visas territoriaux pourrait bien créer un appel d’air – considérable – vers la métropole. Quel est l’objectif ? Faire de Mayotte le Lampedouza français ? Au total tout le monde sera perdant. Que cherche M. Darmanin ?

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