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Donald Trump veut faire payer la Chine : qui parviendra à obtenir quoi dans la grande crise des règlements d’après pandémie ?
©JIM WATSON / AFP

Recours

Alors que Donald Trump souhaite faire payer la Chine pour la crise du coronavirus et ses conséquences désastreuses sur le plan sanitaire et économique notamment, l'exécutif en France semble se défendre pour éviter toute initiative juridique après la crise.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico.fr : Donald Trump veut faire payer la Chine, qui parviendra à obtenir quoi après la grande crise des règlements d'après pandémie ? 

Cyrille Bret : Le monde d’après la crise est déjà là. La crise du COVID-19 n’a pas suspendu les rapports de force internationaux. Elle les a accentués, renforcés et durcis. Partout dans le monde mais surtout entre États-Unis et Chine. En Europe, elle a ravivé les désaccords entre les cigales et la fourmi, entre le Nord en excédent budgétaire et le Sud en déficit budgétaire avant la crise. En Amérique latine, la crise sociale et économique a rallumé les braises des conflits sociaux. En Asie et dans le Pacifique, la crise a donné une nouvelle dimension aux tensions entre la Chine et ses voisins. La République Populaire de Chine a durci le ton envers Taïwan et la Corée du Sud.

Mais la crise a transformé la « guerre commerciale » sino-américaine en compétition tous azimuts : les deux pays rivalisent en comparant leurs bilans respectifs, en décriant le régime politique de l’autre et, bien sûr, en promettant une revanche. C’est ce que fait le président Trump pour nourrir sa campagne électorale pour sa réélection en novembre. Le président américain veut apparaître comme le leader qui tient seul tête à une Chine qui s’affirme comme le modèle triomphant de la lutte contre la pandémie. Si le régime de Xi Jinping revendique déjà le leadership moral en matière de santé publique, d’assistance médicale internationale et de maîtrise de sa population, les États-Unis chercheront, eux, à « faire payer la Chine ». Il ne s’agit pas de former des recours judiciaires : devant quel tribunal ? pour quel motif ? avec quelles preuves ? et selon quelle procédure ? Il sera bien plus efficace pour les deux adversaires de mener, sur la scène politique intérieure, une campagne de dénigrement de l’autre pays : accuser l’autre puissance d’avoir laissé se propager la pandémie, laisser entendre qu’elle y avait intérêt ou encore demander aux administrations des sanctions économiques permettant de réduire la dépendance économique vis-à-vis de l’autre puissance.

« Faire payer la Chine » ou « Sanctionner les États-Unis » voilà les message-clé des campagnes politiques à venir. En occultant que les deux systèmes économiques et financiers sont en symbiose profonde. Les deux superpuissances économiques de l’aire pacifique sont prises dans un dilemme insoluble : alimenter leurs rivalités pour satisfaire leurs pulsions nationalistes sans assumer leur interdépendance économique.

Quelles sont les possibilités (juridiques ou diplomatiques) de recours en Europe ou sur la scène mondiale afin de demander des comptes aux pays que nous estimons responsables du développement de l'épidémie ?  

Cyrille Bret : Le monde de la crise ne sera pas régi par la recherche de sanctions arbitrales ou de verdicts internationaux. Alors même que la pandémie réclamait un surcroît de coopération internationale, elle a classiquement conduit à un « chacun pour soi ». Les instances multilatérales, les juridictions internationales et les organisations arbitrales comme toutes celles que prévoit la galaxie de l’ONU ou les institutions de Bretton Woods sont grippées. Fait symptomatique, les superpuissances ont notamment discrédité l’Organisation Mondiale de la Santé : cela veut dire que l’avenir est aux sanctions unilatérales, aux mesures de rétorsion et aux jeux non coopératifs.

L’Union européenne est une victime de la crise : les Européens paient un lourd tribut humain, subiront une crise économique en raison de la baisse des exportations en matière d’aéronautique, de produits de luxe et de machines-outils. Mais surtout, un monde plus fermé, plus dur et plus unilatéral est aux antipodes de son logiciel fondamentale.

Aujourd’hui plus que jamais, la réponse à la crise exige de l’Union européenne et de ses États-membres de prendre une position dure sur la scène internationale pour défendre ses intérêts contre des puissances chinoise et américaine qui exploitent déjà la crise pour renforcer leurs positions. Dans la crise qui est là et dans celle qui vient, l’Union est dépositaire des intérêts européens. Elle doit éviter que la main-d’œuvre et les entreprises de notre continent ne perdent en compétence et ne disparaissent : c’est en bonne voie avec les plans de soutiens aux États et aux salariés en activité partielle. Mais elle doit aller plus loin : la Chine essaiera de racheter à bas prix les entreprises européennes en difficulté grâce à ses réserves de change. Il faut l’en empêcher. Elle tentera également de profiter de la relance anticipée de ses industries pour accroître ses parts de marché en l’absence de concurrence européenne : il faut l’arrêter. Et les États-Unis chercheront à stigmatiser l’Union comme une puissance molle : il faut leur répondre.

Dans le monde de la crise qui commence, l’Union doit apprendre une certaine dose d’unilatéralisme pour défendre ses intérêts, protéger ses entreprises et soutenir ses citoyens. Elle doit donc se tenir prête à interdire, sanctionner et prévenir toutes les campagnes agressives contre son image, son économie et sa santé publique. Seule l’Europe peut protéger les Européens. Le salut ne viendra ni des usines à masques chinoises ni des institutions internationales pour le moment submergées et paralysées.

En France, la défense actuelle vis-à-vis de l’exécutif peut-elle favoriser la prise d’initiative juridique autre pour demander des comptes sur la gestion de la crise ?

Corinne Lepage : La question posée est une question interne à la France. Elle est à différencier de celle plus générale qui se pose sur la Chine qui pourrait être amenée à rendre des comptes. À la fois en raison de l’origine de la pandémie, s’il apparaissait qu’elle était liée à un laboratoire chinois. Mais aussi de la dissimulation d’informations majeures au départ de la crise, qui auraient permis de réduire le risque.

Il est clair que la multiplication d’informations erronées voire mensongères autour des masques, ayant pour seul objectif de masquer une pénurie pourtant connue dès l’origine, a empêché l’immense majorité de la population de se protéger. Cela a aussi exposé nos personnels soignants à un danger massif (plus de 2000 soignants contaminés dont certains sont décédés). Et que dire des choix, qui se sont révélés catastrophiques, comme la tenue des élections municipales le 15 mars. En résumé, les paroles contradictoires et incohérentes et l’absence de prévention en ce qui concerne la constitution de stocks de masques et de tests constituent autant de dysfonctionnements extrêmement graves connus de tous. Le fait d’avoir perdu un proche dans des conditions qui apparaissent tout à fait anormale conduira très probablement et a déjà conduit un certain nombre de nos concitoyens à saisir la cour de justice de la République. Il y aura également probablement des plaintes pénales devant des juridictions de droit commun si les ministres venaient à être mis en cause. On peut également imaginer des actions en responsabilité administrative pour faute de l’État. Même si le conseil d’État estimait en l’espèce, compte tenu du caractère exceptionnel de la situation, qu’une faute lourde doive être exigée pour reconnaître la responsabilité de l’État, un certain nombre d’éléments pourrait plaider en ce sens. Mais, le grand inconvénient de la mise en cause la responsabilité de l’État consiste à faire payer par le contribuable une faute dont il est en réalité la victime. Des commissions d’enquête parlementaires seront très certainement mises en œuvre en espérant bien entendu que celle de l’Assemblée nationale ne tourne pas à la farce comme dans l’affaire Benalla. Au-delà, ces très graves dysfonctionnements, que j’avais pour ma part relevés dans un article publié voici plus d’un mois, sont lourds de conséquences sur le plan politique à de très nombreux points de vue. Une attitude incohérente de l’État vis-à-vis des collectivités locales, les maires étant tour à tour empêchés de prendre des mesures de protection, appelés à gérer le déconfinement et mis en garde par l’État quant à leur responsabilité potentielle qui devrait conduire à repenser complètement la décentralisation ; des Français appelés à utiliser le système D, pour fabriquer des masques et s’organiser localement en raison des carences de l’État. Etat qui dans le même temps se montre tatillon et s’enorgueillit des millions de PV distribués durant le confinement et dont la patience marque des limites. Bref, les conséquences en termes de gouvernance de tout ce qui s’est passé seront considérables.

Quelles sont les possibilités de poursuites ? Qui pourrait être concerné par de tels recours ?

Corinne Lepage : La réponse n’est évidemment pas de la même au niveau interne et au niveau externe. Au niveau interne, qu’il s’agisse de l’abstention de combattre un sinistre ou de la mise en danger délibéré d’autrui, toute une série de personnalités pourrait voir leur responsabilité pénale engagée; c’est l’objet de plaintes déjà déposées devant la cour de justice de la république. Mais, ces mises en cause pourraient aller bien au-delà des ministres et toucher de hauts fonctionnaires décisionnaires,  peut-être aussi des responsables de maisons de retraite. En l’état actuel, comme rappelé ci-dessus, les éléments permettant de déterminer les auteurs des décisions sont connus et permettent d’avancer.

Mais le sujet est également de nature internationale. La question est en effet de savoir si la Chine pourrait un jour voir sa responsabilité engagée. Sur le plan du droit international public, cela paraît extrêmement difficile, dans la mesure où la cour internationale de justice ne pourrait jouer son rôle que si la Chine se soumet à sa compétence ; le règlement sanitaire international, qui régit le droit mondial de la santé, fixe un certain nombre de règles mais aucune sanction ; enfin la cour pénale internationale, à supposer que la notion de crime contre l’humanité puisse être envisagée (ce qui est peu probable car il faudrait alors un élément de préméditation) ne pourrait être saisie que si la Chine l’acceptait, ce qui est peu probable. En revanche, la question peut se poser de savoir si des personnes physiques ou morales pourraient en France engager la responsabilité de la Chine. L’article 14 du Code civil ne l’exclut pas totalement mais la question de l’immunité de juridiction, dont jouissent les Etats souverains, pourrait s’y opposer. Cependant, le précédent de Tchernobyl pour l’ex URSS ouvre quelques portes. Il en irait différemment si une entité non étatique comme un laboratoire était mise en cause, mais encore faudrait-il avoir la preuve que le virus est bien parti de ce laboratoire, ce qui ne sera pas du tout évident.

Il apparaît en tout cas assez clair que ce que nous sommes en train de vivre est un véritable bouleversement et comme tout bouleversement de cette ampleur, il ne pourra que trouver aussi – mais pas seulement – une traduction juridique et judiciaire. On peut s’en plaindre ou s’en réjouir selon ses opinions mais, cela paraît assez incontournable.

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