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Des scientifiques découvrent une forme de vie en Antarctique que l’on n’aurait jamais penser trouver sous 900 mètres de glace
©MARIO TAMA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Surgelées

Marc Eleaume

Marc Eleaume

Le Dr Marc Eleaume est rattaché au Muséum national d’Histoire naturelle au département Origines et Évolution. 

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Atlantico.fr : Des scientifiques ont trouvé des organismes marins sur un rocher dans le sous-sol immergé de l’Antarctique à environ 900 mètres de profondeurs. De quel type de vie parle-t-on ?

Marc Eleaume : D’après ce que je comprends, il s'agit d'images prises par une caméra suspendue au bout d'un câble qui traverse la banquise permanente au sud de la mer de Weddell. Ce que l'on voit sur le rocher vu par la caméra semble être des éponges, certaines sont pédonculées et d'autres sont plus classiques en forme de bol. D'autres organismes ne sont pas identifiables.

Il s'agit donc d'animaux qui vivent sur le fond des océans et qui sont des filtreurs. Ils récupèrent leur nourriture en filtrant l'eau de mer qui les entoure.

Cet aspect est très intéressant car sous la banquise permanente il n'y a pas a priori de production primaire, c'est à dire de production de phytoplancton capable de nourrir les animaux qui filtrent. Ceci car la banquise permanente, qui ne fond jamais, forme un toit opaque au-dessus des fonds marins qui ne laisse pas passer la lumière. Et sans lumière, pas de phytoplancton, et sans phytoplancton c'est toute la chaîne alimentaire qui est interrompue. Il faut donc imaginer d'autres processus qui permettent aux organismes de se nourrir. Il se pourrait que les courants marins puissent transporter des particules nutritives produites plus loin, là où la lumière le permet. Il est possible aussi que de la matière organique d'origine bactérienne soit consommée par ces organismes.

Le même phénomène doit pouvoir expliquer la présence de ces faunes a cet endroit. Les "invertébrés" marins fixés comme ceux-ci ne peuvent pas se déplacer et ne peuvent pas se disséminer à l'âge adulte. Ils le font par dispersion des larves qu'ils produisent. Les larves de ces organismes ont souvent une phase planctonique (elles se laissent transporter par les courant marins) et peuvent ainsi, selon leur temps de vie dans la colonne d'eau avant ce qu'on appelle le recrutement, c'est-à dire le moment où les larves se fixent sur un substrat pour commencer leur vie fixée, franchir de très longues distances. Souvent, ces larves sont flottantes et vivent leur phase planctonique près de la surface. Or, dans le cas qui nous occupe, la surface n'est pas praticable à cause de la glace. Il faut donc imaginer que les larves de ces organismes n'atteignent pas la surface et ont peut-être une densité telle qui leur permet de rester entre deux eaux. Cependant, on sait que certaines éponges sont capables de se reproduire par bourgeonnement, ce qui leur évite de produire des larves dont les chances de recruter sont minces. D'autres organismes sont capables de conserver leurs larves près du corps des adultes, les protégeant ainsi des prédateurs et des aléas de la phase planctonique, tout en s'assurant que ces larves trouveront un habitat idoine pour se développer. Il est donc possible d'imaginer plusieurs scénarios non exclusifs les uns des autres, scénarios qu'il conviendrait de tester par l'observation in situ de ces animaux.

Atlantico.fr : Pourquoi cette découverte est-elle surprenante ? La vie est-elle si rare à ces profondeurs ? 

Marc Eleaume : Il est vrai que la vie est plus rare a 900m qu'elle ne l'est dans la zone photique, moins profonde et où la lumière pénètre et permet la production primaire. Mais la vie existe a toutes les profondeurs, et ce que l'on voit sur les images n'est pas surprenant de ce point de vue. Non, ce qui surprend, ou plutôt éveille l’intérêt, c'est de voir les formes de vie qui existent sous la banquise permanente. Il est très rare de pouvoir observer cette vie directement.

Il est vrai que des observations ont été réalisées il y a quelques années, notamment par les allemands, dans la zone des Larsen (A, B et C), de l'autre côté de la mer de Weddell, à l'est de la Péninsule Antarctique. Les Larsen sont des plaques immenses de banquise permanente. Certaines d'entre elles se sont détachées du continent Antarctique, libérant des zones qui avaient été protégées par la banquise pendant des milliers d'années. Les faunes observées étaient assez diverses et pour certaines d'affinité profondes, un peu comme ce que l'on voit sur les images présentées ici. Par exemple, deux crinoïdes, Dumetocrinus antarcticus et Bathycrinus australis, tous deux appartenant a des groupes d'animaux connus pour vivre a grande profondeur, ont été observés dans des habitats dont la surface avait été occupée par de la banquise permanente, dans la zone dite Larsen C.

Atlantico.fr : Que sait-on à ce jour des conditions de vie dans ces conditions extrêmes ? 

Marc Eleaume : On sait peu de choses sur les conditions de vie dans ces milieux profonds protégés par la glace permanente. Il faut imaginer que la nourriture y est amené par advection des courants et que les larves qui recrutent sur les rochers que l'on voit sur les images sont aussi transportées par advection des courants. On imagine aussi que ces écosystèmes sont très stables. La température y varie peu, non plus que la salinité, ou les autres paramètres physico-chimique de l'océan. La lumière ne joue pas de rôle direct non plus. Il est donc imaginable que la perte de la banquise permanente constituera, si cela arrive, un événement perturbateur majeur pour ces écosystèmes. il y sera introduit notamment une variation accrue des paramètres donnés ci-dessous. Nous ne savons pas a priori quelle serait la capacité d'adaptation des faunes a ces nouveaux paramètres, mais il y a fort a parier qu'elles seront assez limitées, mettant en danger l'existence même de ces écosystèmes et des communautés qui y vivent.

Atlantico.fr : A-t-on déjà eu des découvertes de ce genre par le passé ?

Marc Eleaume : Ce qui me semble intéressant ici, c'est qu'il existe tout autour de l'Antarctique des propositions de mise en place d'Aires Marines Protégées (AMP) qui permettraient d'augmenter le niveau de protection de l'océan Austral (l'AMP de la Région de la mer de Ross est déjà acceptée depuis 2016, une autre est en discussion qui concerne l'est Antarctique et qui inclut la Terre Adélie et une autre encore concerne la Péninsule Antarctique, cette zone de l'océan Austral qui subit le plus fortement les effets des changements climatiques). Il existe deux propositions à l'étude par la CCAMLR (Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique) concernant la mer de Weddell. Ces AMP incluent les zones occupées par la banquise permanente. Les images qui sont montrées ici démontrent l'existence d'une faune particulière, que l'on peut imaginer plus diverse encore, qu'il faut se donner les moyens de protéger et d'étudier. Les AMP sont des outils puissants qui peuvent permettre de soutenir la résilience des écosystèmes fragiles de l'antarctique, et notamment les écosystèmes peu connus qui existent sous la banquise permanente. 

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