Derrière la croissance russe, l’envolée des dépenses militaires de Moscou<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine visite Uralvagonzavod, la principale usine dans l'Oural, à Nizhny Tagil le 15 février 2024.
Le président russe Vladimir Poutine visite Uralvagonzavod, la principale usine dans l'Oural, à Nizhny Tagil le 15 février 2024.
©Ramil SITDIKOV / POOL / AFP

Guerre en Ukraine

En triplant ses dépenses militaires jusqu’à atteindre 8% de son PIB, Moscou retrouve les niveaux atteints du temps de l’URSS. Mais les autres secteurs de l’économie, eux, se contractent.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : La Russie affiche une forte croissance de son économie, assurée notamment par les dépenses militaires engagées dans le cadre du conflit avec l'Ukraine. D'après The Telegraph, les dépenses militaires auraient triplé et représenteraient maintenant 8 % du PIB total. Est-ce que pour autant l'économie russe se porte bien ?

Viatcheslav Avioutskii : En Russie, il y a actuellement un phénomène de fausse croissance car il s'agit des dépenses militaires liées au complexe militaro-industriel. Ces dépenses non productives injectées dans un secteur qui ne fonctionne pas selon les prix du marché. Les prix sont définis par les administrations. Cela donne une image plutôt déformée de la situation en Russie. Il y a bien une croissance mais elle est négative car c'est une croissance qui est en train de détruire l'économie. Aujourd'hui, l'industrie automobile russe est quasi inexistante avec le départ des grandes sociétés occidentales, parmi lesquelles Renault occupait une part assez importante.

Au lieu de créer sa propre industrie dans l’automobile, ce qui est physiquement impossible dans un laps de temps aussi court, l'offre manquante de cette production d'automobiles a été comblée par les Chinois dont les produits sont largement en dessous en termes de qualité par rapport aux équivalents occidentaux. La Russie a importé plus d’une centaine de milliers de voitures occidentales l'année dernière. Ces véhicules sont achetés par un pays tiers comme la Turquie ou le Kazakhstan, qui les revend ensuite à la Russie. Les emplois se sont déplacés vers le complexe militaro-industriel.

Selon la rédaction du Telegraph, la Russie se dirigerait vers l'épuisement économique. Est-ce qu’il faut y voir un réel enjeu pour le Kremlin ou est ce qu'il s'agit, dans une moindre mesure, d'une tentative de la part de l'Occident de diminuer, un potentiel adversaire à la fois économique et surtout militaire ?

Il y a aujourd'hui un grand débat parmi les économistes occidentaux sur l’efficacité des sanctions occidentales vis-à-vis de la Russie. Sur le court terme, on ne voit pas cet impact se traduire dans les statistiques. La Russie continue à se développer et a connu une augmentation de son PIB l'an dernier. L'économie russe est assez solide.

L’effondrement de l'économie russe ne devrait pas être considéré comme un scénario immédiat.

Cependant, les effets vont se faire sentir plus tard. Certaines grandes entreprises russes n’ont plus eu accès aux marchés financiers internationaux, ce qui empêche leur croissance. Mais ces entreprises ont continué à exister. Elles n’ont pas disparu.

La propagande russe, qui a infiltré les médias occidentaux, essaie de saper nos esprits et notre résilience face à la guerre en Ukraine. Cette propagande cherche à convaincre les Occidentaux que les sanctions économiques sont inutiles et endommagent plus les économies occidentales que l'économie russe. Or ce n’est pas vrai.

Un autre indicateur permet de découvrir la situation en Russie. L'inflation est largement au-dessus du niveau d’avant la guerre pour les prix sur le pouvoir d'achat des consommateurs russes.

Une partie de la population profite de la guerre indirectement de la guerre parce qu'ils sont mobilisés sur le front et ils touchent des salaires, des sommes très élevées. Leurs familles bénéficient de tout cela soit de manière indirecte car ils sont recrutés par le secteur militaro-industriel et ce secteur a été obligé d'augmenter les salaires. Mais une autre partie de la population voit ses revenus stagner alors que les prix augmentent d'une manière considérable.

Au mois de décembre dernier, il y a eu une vraie crise en Russie qui était liée à la production des œufs. Les prix des œufs ont augmenté considérablement. Le prix de la viande a aussi augmenté, ce qui explique une augmentation soudaine de la demande des œufs, une source importante de protéines. Suite à une couverture médiatique importante, Vladimir Poutine a été obligé de réagir. La Russie a été obligée d'importer de grandes quantités d'œufs, à partir de la Turquie.

Le coût des sanctions économiques pour la Russie, l'impact qu'elles ont pu avoir et la façon dont les autorités russes les contournent suscitent beaucoup d’interrogations. Selon vous, est-ce que l’on peut dire aujourd'hui que le contournement de ces sanctions par la Russie les rend inefficaces ?

Les sanctions sont assez efficaces. La croissance de l'économie russe est bien impactée par ces mesures.

La croissance enregistrée par la Russie est largement en dessous d'une situation normale. Elle a été amputée d'un développement normal. Les sanctions sont partiellement inefficaces car elles sont mal appliquées. Certains pays comme la Turquie, des pays d’Asie centrale et même la Biélorussie sont devenus des plateformes de réexportations de certains produits, y compris pour le complexe militaro-industriel.
Toutefois, les pays occidentaux ont lancé les sanctions secondaires, qui visent ceux qui aident la Russie à contourner les sanctions primaires.
A titre d'exemple, les Emirats arabes unis ont commencé à fermer des comptes des personnes physiques et morales russes dans certaines banques sous la pression des institutions bancaires américaines. Les oligarques, les hommes d’affaires russes et les élites politiques ont perdu l'accès à l'Europe et se tournent maintenant vers les Emirats, devenus une destination préférée des Russes fortunées.
Dans le même sens, certaines entreprises turques et des entreprises kazakhes commencent à ne plus participer à ce commerce. Ces entreprises sont menacées d'être exclues du marché américain ou du marché européen.

Est-ce que l'Occident doit poursuivre son mode de combat, via les sanctions économiques et espérer que face à son étouffement économique, la Russie va finir par s'arrêter ? Ou faut-il arrêter les sanctions ?

La Russie ne va pas s'arrêter car elle a un certain niveau de résilience si elle se retrouve coupée du monde extérieur, comme ce fut le cas à l'époque soviétique.

Ces sanctions occidentales vis-à-vis de la Russie sont une forme indirecte d'aide à l'Ukraine. Des sommes importantes sont dépensées par la Russie pour contourner les sanctions. Les entreprises ne peuvent plus se développer vite et devenir plus productives. Cela affaiblit l'économie russe.

Des sanctions intelligentes doivent être appliquées qui pourront progressivement à étouffer l’économie russe à travers des pressions sur les points sensibles.

Avec les sanctions économiques qui sont déployées, l'étau autour de la Russie commence à se resserrer.

Il ne faut pas oublier que les sanctions constituent un sujet d'intérêt majeur pour Vladimir Poutine qui souhaite l'incorporer dans les futures négociations sur l'issue de la guerre en Ukraine. 

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