Derrière l’acquittement de Dupond-Moretti, la lancinante question de l’irresponsabilité des magistrats français <!-- --> | Atlantico.fr
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Justice
Eric Dupond-Moretti a été relaxé par la Cour de justice de la République.
Eric Dupond-Moretti a été relaxé par la Cour de justice de la République.
©BERTRAND GUAY / AFP

CJR

Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a été relaxé par la Cour de justice de la République (CJR) ce mercredi. Il était soupçonné d’avoir usé de ses fonctions pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il était en conflit lorsqu’il était encore avocat. Cette affaire permet de s'interroger sur la responsabilité des magistrats, sur la politisation d’une partie d’entre eux et sur le contrôle démocratique de la politique pénale déployée dans le pays.

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet est professeur émérite de droit public.

 

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Olivier Pardo

Olivier Pardo

Olivier Pardo est avocat. Son cabinet est spécialisé dans le contentieux commercial et civil, le droit pénal des affaires et les procédures collectives. Olivier Pardo conseille et assiste des Etats, des entreprises françaises et étrangères, leurs dirigeants ainsi que des groupes familiaux dans les opérations et les contentieux les plus complexes. Olivier Pardo est un ancien magistrat, il a exercé les fonctions de juge d’instruction et de président de chambres correctionnelles et civiles.

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Jérôme Pauzat

Jérôme Pauzat

Jérôme Pauzat est magistrat, 1e vice-président en charge de l’application des peines au tribunal judiciaire de Nancy et président de l’association A.M.O.U.R de la Justice.

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Laurent Sebag

Laurent Sebag

Laurent Sebag est magistrat, conseiller à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, enseignant associé à l’université de Toulon et vice-président de l’association A.M.O.U.R de la Justice.

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Atlantico : Derrière le procès d'Eric Dupond-Moretti, c'est un autre conflit qui se jouait. Revient-il aux magistrats de choisir leur ministre de la justice ou de faire passer l'envie à un gouvernement de nommer un avocat comme garde des Sceaux ?

Olivier Pardo : La grande affaire qui a été au cœur de ce dossier concerne l’infraction extrêmement large, la prise illégale d'intérêts. C’est devenu une construction intellectuelle. Auparavant, la prise illégale d’intérêts consistait à recevoir des prébendes lors d’une position de fonction en échange d’une action. Aujourd'hui, cela concerne le fait de faire une démarche pour quelqu’un qui pourrait être un proche ou un ami. Cette infraction ouvre les vannes à toutes les possibilités et à toutes les constructions.

Il est quand même paradoxal que tous les syndicats de magistrats et que les plus hautes autorités judiciaires, notamment le procureur Molins, se soient impliqués et jetés sur cette affaire, alors même que l'infraction ne tenait pas puisqu'il y a eu une relaxe. Il s’agit donc d’une tentative pour empêcher qu'un magistrat ou qu’un avocat puisse devenir garde des Sceaux. L’avocat sera toujours confronté à des juges et à des situations de conflit. C'est la nature même de son métier d'avocat. 

Jérôme Pauzat : On peut dire que vous n’y allez pas par quatre chemins ! Nous en ferons donc de même pour remettre de l’ordre dans l’amalgame que sous-tend votre question car elle repose sur plusieurs postulats erronés. 

Le premier semble vous amener à confondre le réel travail de justice qu’a été le procès du ministre achevé hier et les actions syndicales de magistrats qui pouvaient trouver des ressorts politiques certes, mais parce que c’est leur terrain d’action. L’action judiciaire menée entre autres par deux syndicats de magistrats a été assimilée par le monde politico-médiatique à une revanche du monde judiciaire contre l’ancien avocat devenu ministre, étant précisé que la sémantique utilisée par la représentante de l’USM (« déclaration de guerre ») a pu contribuer à cette interprétation. Les syndicats feraient de la politique ?! Ce n’est pas un scoop. Mais jusqu’à preuve du contraire ce ne sont pas les syndicats qui ont mis en examen le ministre de la justice, mais bien des juges d’instruction professionnels. Ils n’ont pas motivé leur mise en examen sur des considérations politiques, mais bien sur une motivation en droit et en fait de ce qu’ils pensaient être des indices graves et concordants d’une possible culpabilité. Hier, la CJR a estimé que ces indices graves et concordants laissaient tout de même planer un doute sur l’intention délictuelle du ministre dans la commission des prises illégales d’intérêt dont il devait répondre. A telle enseigne d’ailleurs, que la CJR a estimé que la matérialité des faits supportant un « conflit d’intérêt » était, elle, avérée. 

Les faits reprochés à EDM étaient intrinsèquement graves, surtout de là où il se trouvait, c’est-à-dire à la tête du ministère même au sein duquel la justice est rendue. La conduite d’un tel procès n’était donc pas une hérésie. Il en est ressorti blanchi. Justice est donc passée. C’est pourquoi, considérer ce procès uniquement comme le moyen pour les magistrats de se débarrasser d’un ministre embarrassant est un raccourci sans doute un peu simpliste. 

Le second postulat erroné vous amène à penser que les magistrats sont à ce point hostiles aux avocats qu’ils se seraient saisis de ce procès pour faire limoger EDM de son poste. Cela n’a pas de sens. Si l’on peut concéder que la nomination d’EDM a été mal vécue par la majorité de la magistrature judiciaire française, ce n’est absolument pas parce que c’était un avocat. Combien de chancelleries ont été conduites par des avocats et fort bien ? N’est-ce pas à Robert Badinter que l’on doit de formidables avancées de la justice ? N’est-ce pas lui qui a pris la défense des magistrats quand ils étaient vilipendés sous les fenêtres de son ministère par quelques centaines de policiers furieux ? N’est-ce pas sous l’impulsion de Georges Kiejman qu’a été bâti notre code pénal actuel ?  Vous souvenez-vous qu’un seul de ces deux illustres avocats devenus garde des Sceaux ait fait l’objet d’un quelconque procès en illégitimité ? La réaction vive du corps s’explique avant tout par l’aversion déclamée et assumée tout au long de sa carrière de grand avocat pénaliste pour les magistrats, ainsi que par son discours redondant sur le corporatisme judiciaire et l’entre-soi supposé des juges. Il ne s’agit pas de justifier la réaction des magistrats, mais de l’expliquer. 

Le conflit sous-jacent au procès, tel que pointé par votre question, a été déclenché en réalité par l’ancien avocat Dupond-Moretti lorsqu’il honnissait dans les prétoires, dans les médias et dans ses livres, les magistrats. Ensuite, les éléments de langage subtilement distillés par le pouvoir politique et repris par plusieurs médias ont assimilé cette action pénale à une volonté du monde judiciaire de choisir son Garde des Sceaux. Nous ne partageons pas cette analyse qui relève du procès d’intention communément fait aux juges dès lors que des poursuites sont engagées à l’encontre d’un politique, alors que dans une démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs, la seule qualité de ministre ne saurait en elle-même et à elle seule, constituer une cause d’irresponsabilité pénale.   

Enfin, considérer que l’action en justice des syndicats de magistrats est une manière pour l’autorité judiciaire d’empiéter sur le domaine de l’exécutif en forçant la décision de nomination ou d’éviction du ministre de la justice relève du pur imaginaire : non ce ne sont pas les syndicats de magistrats qui rendent les décisions judiciaires, mais les magistrats eux-mêmes, 70% d’entre eux n’étant pas syndiqués. Le pouvoir exécutif reste le seul maître en la matière et l’autorité judiciaire lui est totalement soumise dans la Vème République. Ce n’est pas nous qui le disons. C’est la Constitution de 1958.

La justice est-elle laxiste ? Certains magistrats sont-ils trop politisés ? Est-ce un pouvoir irresponsable que personne ne contrôle ? 

Olivier Pardo : Il est possible de considérer que la justice est laxiste pour les atteintes aux personnes et qu'elle devient de plus en plus redoutable pour les atteintes aux biens ou les infractions politico financières. Or, les Français sont très sensibles aux atteintes aux personnes, aux violences. La justice laisse beaucoup de sursis. En revanche, elle est devenue extraordinairement violente à l'égard de toute personne qui a un peu réussi dans la vie.

Laurent Sebag : Tous les indicateurs pénaux prouvent que la France a une justice sévère avec un taux carcéral des plus élevés en Europe. Le temps moyen d’une peine d’emprisonnement s’est allongé depuis dix ans et la France ne cesse d’être condamnée par les instances européennes pour sa surpopulation carcérale.

Il n’y a pas à proprement parler de politisation de la justice. 

Le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif tel que dessiné par les bâtisseurs de notre Vème République, le fait majoritaire et la pratique présidentialiste de la Constitution ont affaibli considérablement le parlement et ont conduit, au fil du temps, à une judiciarisation de la vie politique voulue par le pouvoir législatif pour lutter contre les excès de l’exécutif.

Les parlementaires ont voté depuis les années 90 un arsenal de mesures destinées à moraliser la vie publique et les magistrats, chargés d’appliquer la loi, ont eu à les mettre en œuvre. 

Même si nous restons, bien malgré nous, otages aujourd’hui du « mur des cons », qui a contribué à essentialiser la magistrature en la réduisant à un repaire de gauchistes, la grande majorité de notre corps est apolitique, soucieuse de respecter son office, et le devoir d’impartialité qui fonde sa légitimité. Cette image qui nous colle la peau est d’autant moins représentative que le syndicat décrié n’est pas majoritaire et que les syndiqués ne représentent déjà pas plus de 30% des magistrats. C’est dire le décalage abyssal dans la représentativité de ce symbole lourd à porter.  

Anne-Marie Le Pourhiet :Certains magistrats sont laxistes par idéologie et voient dans les délinquants des victimes de leur statut social, des inégalités, des discriminations qu’il ne faut donc pas punir puisqu’ils ont des excuses. Mais tous les magistrats ne sont quand même pas des SJW (combattants de la justice sociale). Il faudrait connaître la proportion exacte de magistrats idéologues, notamment par le biais de l’adhésion aux différentes syndicats et associations.

Les magistrats souffrent surtout d'un manque de moyens. Si vous voulez attirer des gens de qualité et rigoureux dans la magistrature, il faut les rémunérer convenablement. Pour résoudre le problème de la détention, des mesures d’urgence sont aussi nécessaires afin de remédier à l’état désastreux des prisons françaises. Les magistrats doivent être en mesure d’appliquer la loi et de s’assurer que les condamnations soient exécutées et effectives. Or, le manque de place et la surpopulation sont tels que l’on doit faire écourter les peines de prison pour réduire le nombre de détenus.

La classe politique doit aussi s’attaquer aux causes premières de la violence et de la délinquance dans notre société. Une politique globale et éducative, via la famille et l’Education nationale, est la clé. Les problèmes majeurs se trouvent en réalité en amont de la justice qui ne peut pas à elle seule régler les conséquences d'une société et d’un Etat complètement laxistes sur tous les sujets. Les magistrats sont au bout de la chaîne pour punir, mais ils ne peuvent pas prévenir, sinon par l’exemplarité de la peine. 

Qui contrôle les magistrats ?

Jérôme Pauzat : Les syndicats de magistrats ont une liberté d’expression qui est consacrée par tous les grands textes nationaux et internationaux. Ils portent une parole qui leur appartient mais qui est à distinguer de leur office juridictionnel. La décision d’un magistrat, qu’il soit syndiqué ou non, doit être motivée et peut-être contrôlée par les parties. Elle peut faire l’objet de voies de recours par ces mêmes parties qui vont faire contrôler qu’elle a bien été rendue sur la base de critères légaux et non politiques ou idéologiques.

Au surplus, le magistrat n’est pas irresponsable comme on l’entend à longueur de temps. C’est un pur fantasme. Il est comme tout citoyen justiciable civilement, pénalement et disciplinairement. Le citoyen peut former un recours contre sa façon d’exercer, de se comporter s’il estime que l’exercice de son office est contraire aux règles déontologiques auxquelles il est astreint. Et le Conseil Supérieur de la magistrature en charge de contrôler une partie de cette responsabilité n’est pas composé que de magistrats contrairement aux croyances mystiques d’une culture de « l’entre soi ». 

Mais pour conclure sur ce point, nous devons concéder que le soupçon de politisation de la magistrature continue à peser dans les esprits du fait d’une culture multiséculaire de soumission au politique, qui habite les hautes sphères de l’institution judiciaire.

La persistance de cet héritage issu des années post-révolutionnaires et des traditions du patronage politique des magistrats sous les 3ème et 4ème Républiques, amène des connexions politiques avec le pouvoir exécutif qui tient dans ses mains la carrière des magistrats (cf « Le procès d’Eric Dupond-Moretti ou les maux de (la) tête de la magistrature »). Le procès d’EDM devant la CJR a mis en lumière ces coulisses de la haute magistrature qui font le ravissement des contempteurs de la Justice et les confortent dans leur thèse d’une magistrature politique.  

Anne-Marie Le Pourhiet : Depuis 2008, il est possible pour le justiciable de se plaindre du comportement d'un magistrat par exemple. Il y a des cas où des erreurs sont commises. Par exemple, il y a eu un autrefois le cas à Quimper d’un juge aux affaires matrimoniales qui avait décidé, en l'absence du père et d’audience contradictoire, de changer le mode de garde et de remettre l'enfant à la garde de sa mère qui sortait d'un hôpital psychiatrique. La mère a tué l’enfant quelques jours plus tard. Dans ce cas précis, la responsabilité du magistrat est évidente.

Mais de façon générale, il est cependant difficile de faire porter à des magistrats la responsabilité personnelle des dysfonctionnements de la justice qui sont liés à des manques de moyens et à des procédures entravées. La question du de la justice pénale, de la lutte contre la délinquance est une affaire politique et cela doit émaner du gouvernement, du garde des Sceaux et de la politique pénale. La formation, la sélection et le recrutement des magistrats sont également essentiels, or, comme partout, le niveau baisse dans les Facultés de droit puis à l’ENM. . Le budget de la Justice est reste insuffisant. Il est urgent de construire des prisons convenables.

Mais les gardes des Sceaux qui se sont succédés n’ont pas été très bons ni efficaces. Les ministres de la Justice ont souvent peur des syndicats de magistrats comme les ministres de l'Education nationale ont peur des syndicats d'enseignants.  Le gouvernement et le ministre de la Justice devraient se donner les moyens d’agir et de revoir l’intendance de la Justice qui “ne suit pas” l’évolution de la société.

Quelle est la place des juges dans la démocratie ?

Olivier Pardo : Les juges occupent une place éminente. Aujourd'hui, ils ont largement gagné leur indépendance. Mais la vraie question concerne leur impartialité. Lorsque des justiciables sont jugés par des magistrats alors même qu'ils ont été épinglés sur le mur des cons, ils peuvent avoir quelques doutes sur leur impartialité. Cela nuit à la démocratie.

Laurent Sebag : Ils sont l’un des piliers de cette démocratie de par leur rôle de gardien des libertés individuelles et d’ingénieur social garant de la bonne régulation des rapports sociaux. Les juges sont un rouage essentiel de tout régime démocratique basé sur l’Etat de droit car ils assurent l’égalité de tous devant la loi et le droit de chaque individu à un procès équitable. 

Ils apportent une réponse aux litiges ayant pour but de pacifier les rapports entre les membres de la collectivité et d’éviter le recours à la vengeance privée. 

Mais aujourd’hui une frange importante de la population, sous le joug du tribunal médiatique et l’influence intéressée de certains politiques, ne voit plus le juge comme un garant du contrat social et comme celui qui a légitimité pour trancher les conflits. C’est un véritable danger pour la démocratie car cette tendance augure un retour vers des mécanismes de justice privée.

Au-delà de cette place sociologique assignée aux juges, la Constitution de 1958 en fait une « autorité », là ou Montesquieu aurait voulu qu’elle soit un « pouvoir ». Mais la réalité du mécanisme républicain est qu’elle doit assurer un contre-pouvoir au législatif et à l’exécutif pour que chacun n’empiète pas sur le pré-carré de l’autre. Et pour pouvoir jouer ce rôle, la justice doit être indépendante pour éviter l’arbitraire du pouvoir politique. C’est bien cela la démocratie. Force est de constater que nous avons beaucoup de progrès encore à faire pour que cette Constitution de 1958 soit appliquée à la lettre en ce sens, ne serait-ce que pour son article 64, qui fait du président de la République le garant de cette indépendance, voire même que la justice s’émancipe du cordon ombilical qui la lie, elle indéfectiblement, au garde des Sceaux. 

Dans de nombreuses affaires, les peines prononcées sont parfois incompréhensibles. L'exemple à Nantes au printemps dernier où un jeune a été condamné à 35h de travaux d'intérêt général pour avoir refusé un contrôle et avoir trainé sur le bitume un policier alors qu'il circulait à bord d'une voiture volée. Pourquoi les juges sont aussi éloignés de ce qu'attendent les français ? 

Olivier Pardo : Cela s’explique car ils n’appartiennent pas au même monde. La justice est un monde fermé qui fonctionne énormément dans l'entre soi. Mais il y a également des choses beaucoup plus graves. 

Avant, vous étiez mis en examen sur des indices graves ou concordants et vous étiez condamné sur des preuves. Aujourd'hui, les condamnations sont faites sur des faisceaux d'indices, c’est-à-dire sur une construction intellectuelle. La condamnation est généralement lourde car il y a souvent une leçon de morale qui est adressée, notamment aux hommes politiques. Leurs actes sont pointés du doigt et critiqués. 

Il existe aussi une explication plus structurelle. Jadis, la chambre criminelle de la Cour de cassation était composée de civilistes, de juges issus du droit civil, très attachés au droit pénal. Puis, elle a été confiée à d'anciens juges d'instruction des années 80 – 90 qui ont davantage une logique de juge d'instruction que de juriste. La chambre criminelle a évolué et ne garantit plus le droit des justiciables mais plutôt l'efficacité du juge d'instruction. Dès lors que la chambre criminelle n'est plus protectrice, on assiste au triomphe du véritable pouvoir des juges et tout particulièrement des juges d'instruction. 

Anne-Marie Le Pourhiet : Les Français attendent une répression plus efficace et plus effective contre la délinquance du quotidien. Mais le pénal n'est qu'un minuscule aspect de la justice. Il y a aussi la justice civile, commerciale, administrative…

Au sein de la justice, il y a bien sûr des magistrats laxistes et idéologues qui considèrent qu'il ne faut pas réprimer et que la répression n'est pas une bonne chose.  En revanche, la politique pénale vient du gouvernement. Des instructions générales sont données. Une plus grande fermeté pourrait permettre de gagner en efficacité.  Les juges ne doivent pas trembler ou hésiter dans leur décision de justice et dans l’application des lois. Face à la délinquance, il est important d’appliquer les peines de prison, mais il faut des places.

Malgré les efforts des policiers, on voit bien que certains délinquants ne sont pas poursuivis après avoir été arrêtés.

Il faudrait peut-être une politique de “tolérance zéro” comme celle que le maire de New-York, Rudy Giuliani, avait mise en place. Mais pour cela, il faut, une fois de plus, des places de prison en nombre suffisant.

Les magistrats ne sont pas les seuls responsables. Certains d’entre eux ne sont pas bons et ont sans doute l’habitude d’expédier leurs dossiers répétitifs tandis que d’autres sont idéologiquement laxistes. Il est légitime de s’interroger sur ce qu’on leur apprend à l'École nationale de la magistrature, sur la formation qu'ils reçoivent. Dès la Faculté et l'école, il est essentiel  de leur rappeler ce que sont l’Etat et la justice et les principes qui les gouvernent.  Respecter la loi, expression de la volonté générale, est la première condition de l'Etat de droit.

Jérôme Pauzat : Il est impossible de commenter de manière pertinente une décision judiciaire sur la seule base de la peine prononcée sans connaître l’intégralité des éléments de faits et de personnalité d’une procédure. Il ne faut jamais oublier que la loi impose au juge de statuer en fonction des circonstances et de la personnalité de l’auteur des faits, étant précisé que ladite personnalité ne se résume pas seulement à un casier judiciaire. 

En outre, le jugement du tribunal pour enfants de Nantes auquel vous faîtes référence, concerne un mineur et donc renvoie à des textes de pénalité spécifiques, imposés aux juges par le législateur qui imposent au juge de faire primer des mesures éducatives sur des peines, dont l’emprisonnement d’ailleurs doit être le dernier ressort. Cela ne relève pas d’un choix pour le juge, mais d’une obligation que lui impose la loi de la République votée au nom du peuple par ses représentants élus. Le tribunal pour enfants, composé d’un juge professionnel et de deux assesseurs citoyens a choisi parmi un éventail de peines fixées par la loi et sur la base de rapports rendus par des services spécialisés de la protection de la jeunesse. 

Tout cela est ignoré du grand public qui réagit spontanément et instinctivement sur la base de l’émotion légitime (que nous pouvons partager parfois) générée par de tels faits commis à l’encontre d’un dépositaire de l’autorité publique. Mais juger, ce n’est pas forcément satisfaire à l’attente de l’opinion et ce n’est jamais se placer sur le plan strict de la morale. 

Les citoyens doivent être en outre informés que la loi impose au juge de ne pas se placer sous le seul prisme punitif pour fixer une peine. Ainsi, l’article 130-1 du code pénal dispose-t-il que : « Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ;

2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ».

Encore une fois, les Français continuent à vivre avec la croyance que la sanction pure et dure est la solution à chaque acte qui percute nos valeurs collectives et notre vivre-ensemble. Or c’est faux et nous avons le devoir de le dire, à partir de notre expérience de terrain. En aucun cas il ne s’agit d’idéologie, mais simplement du pragmatisme avec l’objectif unique de prévenir la récidive.

Il ne s’agit pas de dénier ici le sentiment de beaucoup de Français mais de leur présenter les dessous complexes du décor qui leur saute aux yeux. Et puis si juger devait se limiter à distribuer automatiquement des peines de prison, la société aurait-elle besoin de juges ? Un simple fonctionnaire ferait l’affaire. Il lui suffirait de consulter un tableau pour savoir quelle peine automatique conviendrait à tel acte. Mais, serait-ce juste alors de condamner identiquement le même acte commis par un adolescent immature et repentant et celui perpétré par un adulte pervers multirécidiviste trouvant sa satisfaction dans la souffrance de l’autre ? On voit bien que l’on parlerait ici de deux histoires différentes et que chacune ne put se solder par la même fin…

Enfin, dirons-nous qu’une réponse nuancée et réfléchie des juges n’est pas toujours éloignée des attentes des Français. Elle peut l’être de certains Français. Mais pas de tous. Et savez-vous pourquoi ? Parce que généralement, le même Français qui décrie la justice la taxant pour son laxisme quand il est choqué par une réponse clémente à un acte de délinquance lambda, est le même que celui qui se révolte contre sa sévérité quand l’auteur condamné est son fils, son frère, son père…C’est la nature humaine que d’avoir du mal à se mettre à la place de l’autre et dans une société devenue profondément individualiste, l’aptitude à l’altérité devient une qualité rare. Le juge se doit de la mettre en œuvre tous les jours. Vous savez, nous avons l’habitude de siéger dans les Cours d’assises aux côtés de jurés populaires et, à la fin des procès, les jurés comprennent mieux la difficulté de juger. Ce qui leur en donne conscience, c’est assez souvent de penser avoir vu et jugé le pire, alors qu’en réalité, il y a encore pire le lendemain. Et à ce moment-là, ils nous rétorquent souvent : comment bien répondre au cas de demain en étant juste si j’avais choisi la peine maximale pour l’accusé d’hier ? Se mettre à la place de l’autre, cela aide parfois à le comprendre.

Moins de la moitié des français font confiance à la justice française ? Comment expliquer ce désamour ?

Laurent Sebag : Cette question est en grande partie traitée dans notre dernier ouvrage récemment paru « Justice partout, Justice nulle part ? » (éditions Enrick B., octobre 2023).

Pour synthétiser, il existe trois facteurs principaux d’explication à ce désamour qui a tendance à se transformer en détestation :

- Une culture judiciaire déconnectée du réel, parce que les Français sont biberonnés aux séries américaines alors que le système judiciaire y est radicalement différent. 

- Un facteur externe qui correspond à une méconnaissance crasse de la Justice chez nos concitoyens, corrélée à la présentation dépréciative de cette même justice qui est faite et entretenue par le tribunal médiatico-politique. Dans la version de cette juridiction d’opinion, le magistrat judiciaire est un bobo-gauchiste, laxiste, corporatiste emmuré dans sa tour d’ivoire bourgeoise, et qui baigne dans un entre-soi déconnecté du réel. 

L’évolution sociologique de notre corps démontre pourtant le contraire avec une représentation majoritaire des classes moyennes et un brassage professionnel résultant de l’intégration de plus d’un tiers des effectifs en provenance d’autres univers professionnels.  

Les statistiques montrent encore que la justice française est parmi les plus sévères en Europe et que nous sommes sur le podium des pays qui « embastillent ».

-  Un facteur interne : l’opacité du corps de la magistrature et le manque de transparence de l’institution judiciaire sur son fonctionnement.

Nous devons balayer devant notre porte, ce que certains, tels les magistrats membres de l’association A.M.O.U.R de la Justice, font.

Notre communication inexistante avant, insuffisante et parfois défaillante aujourd’hui, nous dessert. La peur des médias, la culture de la servilité que nous dénonçons dans la Tribune parue dans Causeur le 27 novembre dernier (« Le procès d’Eric Dupond-Moretti ou les maux de (la) tête de la magistrature »), l’interprétation extensive du devoir de réserve maniée avec dextérité par le pouvoir exécutif et la hiérarchie judiciaire renforcent les citoyens dans le sentiment que nous sommes des gens de pouvoir qui tirons en quelque sorte les ficelles de la société alors que la réalité, celle de la justice du quotidien, est tellement misérable et aux antipodes de cette représentation idéalisée.

Il faut enfin rajouter la volonté politique de ne pas nous donner les moyens de remplir notre mission originelle, de travailler dans des conditions décentes, ce qui a pour conséquence de nous rendre moins accessibles, voire invisibles pour les justiciables qui, paradoxalement, ont un besoin énorme de justice.

Faut-il changer notre système judiciaire ? Vers quelle forme le faire évoluer pour qu'il réponde aux attentes des français ? Doit-on s’inspirer su système américain avec un procureur général élu ? Comment redresser la barre ?

Olivier Pardo : Deux choses doivent véritablement changer. La justice judiciaire doit sortir du système inquisitoire et créer un système basé sur le contradictoire, sans forcément aller jusqu’au système accusatoire américain. Le juge ne serait pas celui qui fait l'enquête. Le parquet, à égalité avec les avocats de la défense, viendrait demander des actes et des éléments. Le juge devrait trancher dans une grande transparence. En assistant à une audience de manière transparente, toute une série de dérives pourraient être évitées.

Jérôme Pauzat : Nous avons écrit l’an dernier un « Manifeste pour une justice humaine et indépendante – programme de refonte de la justice » (éditions Enrick.B., mai 2022) qui détaille nombre de propositions pour changer notre système judiciaire, avec au premier plan une césure complète du cordon ombilical entre le Ministère Public et le Ministre de la Justice. Ce dernier serait remplacé par le D.N.A.P (Directeur National de l’Action Publique), magistrat expérimenté, élu au sein du corps de la magistrature sous l’égide d’un Conseil Supérieur de la Magistrature réformé et dont la nomination pour un mandat unique de six ans, devrait être entérinée par un vote à une majorité qualifiée des parlementaires. 

Nous avons aussi émis nombre de propositions pour diminuer la surreprésentation syndicale dans nos instances professionnelles, accroître les exigences déontologiques qui pèsent sur les magistrats. 

Nous sommes toujours partisans d’une participation des français à leur justice et espérons toujours un abandon de la réforme de la justice criminelle avec la généralisation des cours criminelles départementales pour que les jurés citoyens participent encore au jugement des crimes de viols et de braquages qui détruisent la vie de milliers de familles chaque année.

Pour ce qui est de l’élection des juges, elle serait contraire à tous nos principes et tuerait l’exigence d’impartialité qui pèse sur le juge. Quand on est élu, on est obligé par les idées et les aspirations de ses électeurs qui peuvent être contraires au traitement égalitaire des procédures. Quand on doit sa présence au choix des citoyens et parmi eux, certains plus que d’autres, on doit leur renvoyer l’ascenseur. Cela s’appelle le clientélisme et cela s’accommode mal avec un métier dont l’une des missions consiste à assurer l’égalité entre les justiciables. Le système américain qui le pratique est le système le plus inégalitaire qui soit et le plus perméable aux velléités corruptives.

La France a choisi de pourvoir la magistrature principalement par le concours public. Quelle meilleure garantie que le sélectionneur soit aveugle aux origines sociales, ethniques, culturelles, communautaires que ce système où l’impétrant est d’abord seul face à sa feuille blanche ? 

Jérôme Pauzat, Laurent Sebag, Marie Bougnoux, Sophie Caïs et Laurent Chouette viennent de publier "Justice partout, justice nulle part ? Regards croisés de professionnels de justice sur un paradoxe français" chez Enrick B éditions 

Jérôme PauzatLaurent Sebag et Marie Bougnoux ont publié "Manifeste pour une justice humaine et indépendante: Programme de refonte de la justice" chez Enrick B éditions.

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