Délinquance et sécurité : la gauche est-elle en train de revenir à l'angélisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"On a du côté du Parti socialiste une prise de conscience qui jure avec l’angélisme de 1981."
"On a du côté du Parti socialiste une prise de conscience qui jure avec l’angélisme de 1981."
©Reuters

Aimez-vous les uns les autres !

En annonçant sa volonté de revenir sur la loi sur la correctionnelle pour les mineurs récidivistes, Christiane Taubira risque de sonner le retour à l'angélisme des années 1980. Le gouvernement semblait pourtant avoir les cartes pour affronter la réalité sécuritaire et pour ne pas décevoir toute une partie de l'électorat français, inquiet de la situation.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : La gauche fait-elle preuve d’angélisme lorsqu'il s’agit de parler de sécurité ? Est-il difficile pour elle de proposer des réponsesfermes à ce type de questions ?

Xavier Raufer : Justement non. Contrairement à ce qui s’est passé en 1980, on remarque une grande différence. En 1981, on est en plein dans l’angélisme de gauche : on avait affaire à des gens qui n’ont jamais exercé de responsabilités gouvernementales depuis une vingtaine d’années. Ils évoluaient vraiment dans une atmosphère digne du pays des bisounous. Naturellement le résultat ne tarde pas : les mesures qui sont prises aboutissent très vite à une forte augmentation, non seulement de la délinquance, mais aussi de la criminalité. On voit alors l’apparition de ce qui va devenir peu à peu des bandes criminelles dans les quartiers sensibles qui deviendront des zones de non-droit.

Aujourd'hui, la situation est très différente. Depuis le début de la campagne de François Hollande, les personnalités qui prenaient la parole sur ces sujets, animaient les colloques et qui sont finalement devenus, comme dans le cas de Manuel Valls, ministres, sont des maires de grandes villes. Ce ne sont pas des penseurs ou des sociologues mais des gens qui savent que la criminalité existe, qui savent que le monde n’est pas le Palais de Madame Martine. On a du côté du Parti socialiste une prise de conscience qui jure avec l’angélisme de 1981. On est dans une situation où François Hollande dirige une armée de ministères.

Pour eux, le front est triple : le ministère de l’Intérieur, qui détient désormais tous les éléments de la répression avec la police et la gendarmerie puis la Justice et enfin le ministère de la Ville. Une politique de sécurité ne peut réussir en France que si ces trois éléments fonctionnent en harmonie et en co-fonction les uns avec  les autres. Cela n’a jamais été facile, même dans les présidences précédentes, que ce soit Giscard, Chirac ou encore Sarkozy pour parler uniquement des présidences de droite et là encore cela va être pratiquement mission impossible.

D’un côté, on a des hommes politiques réalistes qui voient clairement l’action des bandes criminelles. Le score élevé du Front National s’explique aussi par l’exaspération de la population à trente ou quarante kilomètres aux alentours de ces cités sensibles car il y a – pour employer un terme commercial – une zone de chalandise puisque les malfaiteurs rayonnent en dehors de leurs sièges et vont importuner les populations  dans les kilomètres aux alentours.

Lorsque vous étudiez l’électorat du Front National, vous y superposez la carte des 100 cités les plus sensibles de France telles que les Pyramides à Evry ou le Clos à Stains et vous faites un cercle à trente kilomètres autour : vous voyez que cette fois, le FN est représenté de façon énorme voire même majoritaire en terme d’électorat. Voilà la situation dans laquelle on est.

Il faut savoir ce qu’on fait. Fait-on de l’angélisme ou de la culture de l’excuse comme  semble vouloir le faire Christiane Taubira et on en a vu les résultats. Continue-t-on à gérer de façon inefficace les politiques de la ville en gaspillant des millions d’euros dans des projets inutiles ou essaie-t-on de faire une politique efficace en associant les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Ville.

Vous confirmez que Christiane Taubira a fait sa première erreur en avançant une telle proposition ?

Je crois qu’il ne faut pas d’emblée blâmer Christiane Taubira : ce n’est qu'une bévue. Je pense qu’elle croit sincèrement, peut-être est-elle d’ailleurs mal-informée, qu’elle a affaire à des anges qu’il faudrait juste remettre dans le droit chemin. D’ailleurs c’est l’esprit de l’ordonnance de 1945 : on a affaire à d’innocentes victimes du racisme, de l’exclusion et de tout ce qui va mal dans la société. Il suffit de les cajoler pour les faire revenir dans le droit chemin. Elle s’apercevra très vite que ces anges ont désormais des kalachnikovs entre les mains et soit elle se soumettra à la réalité soit elle s'en ira.

Qu’est-ce-qui permettra à la gauche au pouvoir de ne pas tomber dans ce piège ? Quels outils pourraient leur permettre de trouver les bonnes solutions ?

C’est assez simple, ils doivent sortir de la pensée enfantine et cela dans leur propre intérêt. Je serais un stratège du Parti socialiste à l’heure actuelle, je me dirais qu’après avoir été écarté du pouvoir pendant 17 ans, il faut maintenant y rester. Pour ce faire, il faut arriver à recréer une gauche de l’ordre. Je m’explique : ce n’est pas la peine de sortir de Polytechnique pour comprendre qu’on ne peut plus distribuer de l’argent pour s’attirer la bonne grâce des gens et désormais pour satisfaire la population il faut faire en sorte que le pouvoir soit mené correctement sans magouilles. C’est l’assurance de gagner les élections pendant un moment. Mais pour cela, il faut faire ce que jusqu’à présent la gauche ne savait pas faire : rétablir l’ordre.

Si la gauche évoque des questions policières et pénales, ne risque-t-elle pas de s’éloigner de sa base électorale ?

Ce sont les domaines dans lesquels elle peut réussir à convaincre un nouvel électorat.  Regardez Hénin-Beaumont : Marine Le Pen est créditée de 34% des voix, pourtant il n’y a pas 34% de gens de droite dans cette circonscription. Définitivement, la question de la sécurité enrage et exaspère ceux qui vivent autour des zones sensibles. Si ce problème disparaît demain, et si les gens qui vivent dans les zones pauvres sont un peu moins délaissés – car la misère la plus tragique est bien plus dans la Creuse ou dans le Cantal qu’en Seine-Saint-Denis car si on inclut l’économie souterraine, c’est l’un des cinq départements les plus riches de France -.  

La Gauche est soumise à des contradictions. Le rapport de Terra Nova estime que l’avenir de la gauche c’est le vote des immigrés devenus désormais citoyens français et non plus les prolétaires qui se sont tournés vers l’UMP et le Front National. Certains pensent qu’il faut faire du Taubira, d’autres estiment que la méthode Valls est la meilleure. Le défi qui attend le Premier ministre et le président de la République sera de mettre ses idées en ordre de bataille et que les contradictions qui sont aujourd’hui palpables entre ses deux tendances ne fassent pas éclater le système.

Vous avez cité trois ministères et en fait il y a en a un qui a toujours été évoqué par la gauche pour répondre à ces problématiques : l'Education. Ne fait-il plus partie de la solution ?

Il est devenu secondaire, dans la mesure où l’éducation ne peut se faire que dans la mesure où le calme règne. A partir du moment où il y a manifestement dans les bassins de criminalité et de délinquance de trop fortes activités illégales, c’est un problème. A l’heure actuelle, un bassin de délinquance est de la taille d’une grande ville et de son système de transport. Le bassin de la délinquance et de la criminalité dans la région parisienne rayonne aux limites du RER et des grandes lignes de bus. Les grands bassins urbains ont chacun des formes de délinquance spécifiques. Il y a trois front : celui des cités, des réseaux de transport et le front de l’école. A proximité d’une cité à risques, l’école est le seul endroit où ceux qui appartiennent à deux bandes rivales se rencontrent. Je ne dis pas que l’éducation est inutile, mais son rôle n’est pas prioritaire. Car si vous avez des situations de fort désordre civile, il faut bien entendu le redémarrage de l’économie mais la priorité est de ramener la paix sociale. Car, le travail crucial de sociabilisation de l’école ne peut se faire que dans un environnement apaisé.  Et pour ce faire il ne faut pas avoir un Manuel Valls qui tire d’un côté et une Christiane Taubira qui va de l’autre.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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