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Déconfinement : solide plan sanitaire, grandes interrogations sur l'exécution
©David NIVIERE / POOL / AFP

Levée du confinement

Le Dr. Guy-André Pelouze revient sur les annonces du Premier ministre Edouard Philippe sur le plan du déconfinement et décrypte la stratégie du gouvernement.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Après la présentation du plan du premier ministre sommes nous comme nation sur la voie d’une réponse plus efficace à l’épidémie? Compte tenu des dégâts humains et économiques c’est à peu près la seule question d’importance. Après la conférence de presse du 19 avril j’avais noté le demi-tour sur plusieurs sujets, tout en relevant l’écart entre le conceptuel et l’opérationnel. Il semble que la donne soit aujourd’hui différente.

Confinement/Déconfinement le faux débat et les cinquante nuances de Grey 

Le discours officiel était devenu intenable. Tout le monde a compris que le confinement indifférencié ne pouvait être ni efficace ni soutenable. Le Président en le prolongeant jusqu’au 11 mai a simplement enregistré l’incapacité de son gouvernement à se mettre en marche pour une réponse sélective à l’épidémie. Tout ce temps pour uniquement confiner? Malgré les affirmations péremptoires il est possible de détailler ce qui a marché pour casser la transmission. Le confinement indifférencié comprend plusieurs mesures qui n’ont pas la même efficacité vis à vis de la transmission. 

L’arrêt des rassemblements et des transports en commun ou leur réduction drastique est le frein non sélectif mais efficace sur la transmission. 

Car c’est bien par exemple le transport aérien qui a créé l'importation massive du virus depuis la Chine et ce dans un laps de temps court. Ce sont les rassemblements qui ont accéléré la transmission entre les personnes à Paris, dans le Rhin, et à Lyon… De même que diffusément lors de ce tour avorté des municipales.

Les mesures de prévention comportementale ont peu joué.

En effet elles ont été mal expliquées, sont peu appliquées et pas uniquement parce qu’en France il est compliqué d’acheter des masques ou d’autres produits de base pour se protéger. Le défi à ce niveau est immense. En premier lieu l’éloignement interpersonnel curieusement traduit mot à mot de l’anglais par une presse acculturée en distanciation sociale! Comment peut on encore rester dans cette affirmation de la distance d’un mètre alors que tout nous incite à être beaucoup plus précis?  Il faut séparer ce qui se passe à l'extérieur où compte tenu des mouvements et de l’émission de particules de taille et de vitesse variable c’est bien deux mètres qui sont nécessaires entre les individus.  À l’intérieur par contre sans masque et sans système de filtration de l’air la transmission est active. Avec masque elle diminue mais nous avons peu de travaux concluants sur ce sujet compte tenu de la diversité des systèmes de masque. Car la classification des masques est une chose et le port en est une autre. Avec un masque non étanche sur le visage toute surpression entraîne l’émission de particules légères au niveau de toutes les zones de fuite. Une grande respiration, une toux, un éternuement créent des sur-pressions suffisantes pour produire ces émissions. Ensuite ces particules voyagent dans la pièce pendant plusieurs heures. Voilà pourquoi les rassemblements dans des lieux clos resteront des foyers potentiels de transmission. C’est ce qui a contribué à l’extrême gravité des contaminations en EHPAD et ce partout dans le monde. C’est aussi ce que nous observons nous mêmes quand nous tombons malades après avoir séjourné dans une pièce alimentée par un système d’air conditionné non filtré qui redistribue les virus ou les bactéries émises dans un autre endroit de la pièce ou dans une autre pièce faisant partie du même système.

Le "restez chez vous" est un slogan particulièrement inefficace.

En effet la circulation des personnes à l'extérieur et sans rassemblement ne peut pas créer une transmission. En revanche cette sédentarisation a des effets très délétères sur l’organisme, au niveau cardiovasculaire, locomoteur et psychique. C’est une externalité négative du dispositif qui a été largement sous estimée. 

L’indifférenciation géographique a nui à l’efficacité

Le constat est inquiétant, les mesures liberticides sont inutiles pour trois français sur quatre en raison de la très grande disparité géographique de la diffusion du virus (Figure N°1).

De quoi parlons-nous ? 

Confinement ou déconfinement, ce n’est pas la bonne méthode pour faire comprendre les impératifs sanitaires aux français. 

Ce n’est pas noir et blanc, et en particulier il n’y aura pas déconfinement le 11 mai. Simplement nous allons changer (il faut l’espérer) de régime de confinement: du tous à la maison, indistinctement, un régime insoutenable nous allons passer à la vie réelle c’est à dire vivre avec des contraintes adaptées et surtout des comportements volontaires. Imposer le remplissage d’une attestation dérogatoire est aussi inefficace qu’insupportable. Imposer un arrêt de l’activité économique est pire car c’est handicaper la France. De ce point de vue le premier ministre a été assez clair. 

Tester, tracer et traiter. 

La conversion au consensus mondial sur le sujet est actée. Ce n’est pas une mince affaire car l’exécutif avait jusque là justifié la pénurie de test par une doctrine qu’il vient d’écarter… reste à organiser la logistique de l’isolement (qui n’est pas un confinement) des nombreux français testés positifs et encore porteurs du virus.

La France présente depuis le début deux foyers chauds l’Île-de-France et le Grand Est. 

Dans ces foyers le confinement indifférencié est moins efficace que l’isolement des porteurs. Avoir imposé un confinement indifférencié à tout le pays est une grave erreur. Même si la motivation réelle était de compenser l’absence de toute préparation et de tout moyen de tester les français. Il faut accepter cette très grande disparité géographique liée aux événements initiaux de la pandémie et laisser les français se déplacer, travailler, consommer dans toutes les régions où le virus est peu actif. Ce, à condition que les rassemblements soient interdits et les transports en commun soient pour le moment à l’arrêt ou en fonctionnement minimal car ce sont les rassemblements qui sont des moments de transmission. À charge pour les entreprises et les commerces de s’organiser pour garantir une sécurité minimale. En revanche dans les deux régions en question et plus particulièrement Paris, l’Oise, Mulhouse et quelques autres spots il faut (il n’est jamais trop tard) isoler les porteurs du virus. C’est à dire les tester et immédiatement les isoler. 

Figure N°1: Les hospitalisations au 27/04/2020, la ligne Fécamp Le Grau du Roi est évidente, à l’est des foyers encore actifs et à l’ouest une activité épidémique faible

Il y a des conséquences sérieuses aux mauvaises décisions. 

L’effondrement de l’économie. L’aléa moral du chômage partiel. L’impréparation de nombreux commerces 6 semaines après le début du confinement indifférencié en particulier sur le plan de l’adaptation des locaux à la circulation sécuritaire des consommateurs car pour faire des modifications il faut aussi que d’autres travaillent... 
L’arrêt des activités médicales programmées dans les régions peu touchées qui gonfle le nombre de patients non covid qui attendent un traitement. Car la deuxième vague c’est celle là. Pas encore celle du Covid. 

Le travail de reconstruction d’une économie Covid compatible est immense. 

Il faut l’envisager de manière progressive, différenciée, sélective, particulière avec “en même temps” une surveillance de toute activité de type “cluster” pour réduire la transmission à nouveau mais localement et très rapidement. Brandir la punition d’un nouveau confinement indifférencié comme à la maternelle est très irresponsable. Pour cela il faut régionaliser, s’adapter et déléguer. Enfin c’est accepté par le gouvernement contrairement d'ailleurs à ce qu’avait annoncé l’Élysée… Dans ce contexte le redémarrage des administrations va être un défi compliqué car vont s’y ajouter les tâches liées à l’épidémie et son contrôle. 

Les écoles, vraiment? 

Dans ce contexte où la parole politique est jusqu’au boutiste s’agissant d’interdire aux français d’aller à la plage, de faire du vélo ou de sortir plus d’une heure (un comble, rappelons le du point de vue de la santé) mais pas aux spreaders du virus d’aller contaminer les fruits et légumes ou les consommateurs dans les supermarchés ou les boulangeries, l’annonce de l’ouverture des écoles pour éviter le “creusement d’inégalités” a été irrationnelle. Cet argument visant à faire taire toute critique (en effet l’opposition dont le logiciel est hors d’usage ne sait pas quoi répondre) cache de la vieille politique: négociations avec les syndicats au sujet des “vacances” et avec le MEDEF au sujet de la grande garderie gratuite dont on ne peut pas se passer... Finalement le premier ministre fait marche arrière et dans ce domaine la confusion demeure. 

Les entreprises

Sur ce point le premier ministre a été plutôt en retrait. En dehors des “guides” mis à la disposition des entrepreneurs pour accélérer la sortie du confinement et dont ils n’ont absolument pas besoin le programme est plutôt flou. Par exemple va-t-il s’agir d’un contrôle a priori ou a posteriori pour l’ouverture des magasins? Quelle sera la responsabilité des employeurs vis à vis de des mesures de protection individuelle sur le lieu de travail? Là aussi un programme de tests paraît utile avant de reprendre et il faut le déléguer. N’avons nous pas des ressources importantes dans le cadre de la médecine du travail?

La conversion du premier ministre est achevée. Que l’on apprécie ou pas les petites phrases sur les donneurs de leçon ou bien la bataille dont il aurait été le héros ou le Caliméro contre la bureaucratie, ces détails sont à garder en mémoire. Il reste assez de temps dans le quinquennat pour supprimer des pans entiers totalement inutiles de cette technostructure créée par Alain Juppé. E. Philippe en aura-t-il le courage?

Mais ce qui pose problème c’est la transmission de la politique de l'exécutif aux régions et aux communes. Le défi est là et des interrogations légitimes surgissent. L’élan de la base se produira-t-il? Les brigades vont elles enfin protéger les français en isolant les porteurs du virus? Les exécutifs des collectivités locales vont ils réussir à remettre en marche leurs salariés? Et à les charger de nouvelles tâches? Les fanatiques de l’anti-tracking vont ils finir par priver le pays des outils intelligents de la réponse à l’épidémie? Alors qu’ils cliquent tous les jours des dizaines de fois pour être traqués par les “cookies”?

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