Déboulonnage de statues : Colbert, un coupable idéal pour les adeptes de la cancel culture ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dimitri Casali publie « Ces statues que l’on abat ! » aux éditions Plon.
Dimitri Casali publie « Ces statues que l’on abat ! » aux éditions Plon.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Dimitri Casali publie « Ces statues que l’on abat ! » aux éditions Plon. Notre Histoire est accusée d'être à l'origine de tous les maux de notre société actuelle. La dégradation des statues de personnalités historiques, telles celles de Colbert ou de Napoléon, est devenue une pratique courante. Ce phénomène, appelé cancel culture, culture de l'effacement, nous vient des États-Unis. Extrait 1/2.

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

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Mais qu’a fait Colbert pour mériter un tel déshonneur ? Accusé de crime contre l’humanité, il a vu sa statue sise devant l’Assemblée nationale être souillée le 23 juin 2020, recouverte de peinture rouge et d’une inscription, «Négrophobie d’État», par le porte-parole de la Brigade anti-négrophobie, qui, sur la vidéo de son méfait, exprime sa haine envers «ce gros fils de p… ».

Chef-d’œuvre du sculpteur Jacques-Edme Dumont, cette statue trône devant le Parlement en compagnie de trois des plus grands ministres que la France ait connus : Sully, Michel de L’Hospital et Henri-François d’Aguesseau. Napoléon Ier les a choisis en 1808.

Sommes-nous en train de revivre une nouvelle Terreur, comme en 1793, dont le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) ou le Parti des indigènes de la République seraient les nouveaux Fouquier-Tinville, des accusateurs publics instrumentalisant l’histoire ? Collectifs, associations ou groupuscules, tous épaulés par des personnalités médiatisées, réclament à cris d’orfraie que l’on déboulonne les statues du ministre Jean-Baptiste Colbert et que l’on débaptise les collèges et lycées portant son nom. Déjà, à Thionville, en Moselle, feu le lycée Colbert se nomme désormais «Rosa-Parks», du nom d’une militante afro-américaine. Quel est donc le crime de Colbert ? Avoir rédigé en 1685 le fameux Code noir qui, selon la formule de ces groupuscules militants, aurait «légalisé l’esclavage». Cette triste polémique est l’illustration de la vague d’ignorance qui submerge notre société au nom de la repentance et du politiquement correct. 

Colbert a accompli le travail de six ministres

Jean-Baptiste Colbert est un rouage essentiel de la culture française et de son histoire. Il fut l’homme clé de Louis XIV, gérant à la fois les finances, l’agriculture, le commerce, la marine, cumulant ainsi les portefeuilles de six ministres. Son seul et unique crime est d’avoir réussi à faire de la France la première puissance européenne, point à la ligne. Colbert réforma les finances, développa le commerce et dota la France de la première marine de guerre du monde. Il lui permit de devenir le pays le plus puissant, le plus riche et le plus peuplé d’Europe en développant l’économie, le commerce, l’agriculture et les premières industries avec les manufactures royales des Gobelins, de Saint-Gobain ou de Beauvais. Colbert, c’est le bâtisseur des ports de Rochefort, de Dunkerque et de Lorient, le créateur de la Compagnie des Indes occidentales, qui n’était pas «une compagnie négrière de sinistre mémoire», comme l’affirme le Cran, mais la tentative légitime d’égaler la puissance commerciale de ses homologues anglais et hollandais.

Il est aussi l’artisan d’une véritable politique culturelle qui permit de faire éclore les plus grands talents et d’encourager la fondation des académies de peinture, de sculpture et d’architecture, des sciences et de musique. Soucieux de poursuivre l’œuvre de contrôle du royaume par l’État, commencée sous Richelieu et Mazarin, Colbert met en chantier de nombreux codes et ordonnances. En 1669, qu’il s’agisse des lois, des finances ou de l’administration, des Eaux et Forêts ou des sciences et des arts, il n’est pas un domaine qui lui ait échappé. Il fait rédiger une série d’ordonnances pour réformer la législation : dès 1667, le Code Louis sur la justice et la procédure civile est achevé. Limpide et bien construit, il servira de modèle au Code civil de Napoléon, à l’exemple du Code des Eaux et Forêts de 1669, ou de celui de la marine de 1668, qui servira de modèle à l’Amirauté anglaise, mais aussi du Code Savary de 1673 qui régule les opérations commerciales. Et bien sûr du Code noir, commencé avant sa mort, en 1683, à l’âge de soixante-quatre ans.

(…)

À la suite des événements de Charlottesville, en Virginie, le 12 août 2017, le Cran comprend le bon usage de l’énorme écho médiatique venu d’outre-Atlantique. Son président, Louis-Georges Tin, se lance dans une vaste opération de manipulation de l’histoire. Il est soutenu par de nombreuses personnalités, comme l’ancien footballeur Lilian Thuram, les journalistes Rokhaya Diallo et Harry Roselmack, l’ex-ministre socialiste des Outre-mer Victorin Lurel. Immédiatement, la plupart de nos médias nationaux reprennent en chœur cette triste polémique.

Réducteur, Louis-Georges Tin feint de s’interroger dans une pétition publiée par le quotidien Le Monde le 17 septembre 2017 : «Comment peut-on sur un même fronton inscrire le nom de “Colbert”, et juste au-dessous, “Liberté, Égalité, Fraternité” ? Comment peut-on enseigner le vivre-ensemble et les valeurs républicaines à l’ombre de Colbert ? » Puis, il somme le peuple français de procéder à son examen de conscience. Enfin, pour encore souffler sur les braises, Louis-Georges Tin exige que l’on débaptise les collèges et les lycées Colbert «parce que le ministre de Louis XIV est celui qui jeta les fondements du Code noir, monstre juridique qui légalisa ce crime contre l’humanité». Il est relayé sur les ondes de France Inter par Nicolas Demorand, le 29 août 2017, qui, dans son éditorial, approuve un « examen de conscience nécessaire de ce côté de l’Atlantique». Dans une autre tribune parue dans le quotidien Libération le 28 août 2017, le président du Cran compare la France aux «suprémacistes blancs américains» de la tuerie de Charlottesville, aux États-Unis, et écrit : «Vos héros sont nos bourreaux. » Pour lui, louer la qualité du ministre de Louis XIV en oubliant que Colbert a aussi légiféré en posant les fondements du Code noir, c’est « un peu comme ces gens d’extrême droite qui affirment qu’ils célèbrent en Hitler non pas l’auteur de la Shoah, mais celui qui a redressé l’économie allemande ». Sans commentaire!

Enfin, Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre et président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, a demandé sur France Info, le 25 juin 2020, qu’on débaptise la salle Colbert de l’Assemblée nationale. Et Louis-Georges Tin d’ajouter que «Colbert est aussi le fondateur de la Compagnie des Indes occidentales, [compagnie négrière] de sinistre mémoire», et de réclamer le remplacement de ce qu’il appelle les «statues de la honte», ou celui des noms de rues faisant référence à des armateurs – comme Balguerie et Gradis à Bordeaux, Grou et Leroy à Nantes, ou encore Masurier et Lecouvreur au Havre – par ceux de personnalités ayant lutté contre l’esclavage et le racisme.

Rappelons que les collèges et les lycées Colbert existent dans de nombreuses villes de France : à Paris, Lyon, Marseille, Reims, Thionville, Tourcoing, Lorient, Rouen, et tant d’autres encore. Son œuvre colossale s’inscrit à travers tout le territoire, comment s’en étonner ? Ce grand serviteur de l’État concentre sur sa personne les tirs groupés de notre intelligentsia. On lui reproche d’être l’inventeur du «colbertisme», ce système économique honni, prétendument négatif, mais qui a tout de même permis à la France de devenir le pays le plus riche de son époque. Colbert a changé, construit la France. Le renier serait nous renier.

Extrait du livre de Dimitri Casali, « Ces statues que l’on abat ! », publié aux éditions Plon

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