De la liberté anarchique à la culture de la peur. Une analyse prophétique de notre temps par le Pape Jean-Paul II<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape Jean-Paul II s'adresse à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 5 octobre 1995, lors de sa visite aux États-Unis.
Le pape Jean-Paul II s'adresse à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 5 octobre 1995, lors de sa visite aux États-Unis.
©DON EMERT / AFP

Bilan 2021

En octobre 1995, le Pape Jean-Paul II avait prononcé un discours à l'occasion des célébrations du 50ème anniversaire de la fondation des Nations Unies. Il est possible d'y trouver un diagnostic du mal de notre époque. L'absence de boussole morale en Occident nous a plongé dans une convergence troublante avec la Chine.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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En octobre 1995, le Pape Jean-Paul II s'était rendu aux Etats-Unis et l'une des raisons de son voyage était le discours qu'il prononça lors de la cinquantième  Assemblée Générale des Nations Unies. Relire ce discours (que l'on trouvera sous le lien suivant Voyage Apostolique aux Etats-Unis d'Amérique: Message à l'Assemblée Générale des Nations Unies pour la célébration du 50ème anniversaire de sa fondation au siège des Nations unies à New York (USA, 5 octobre 1995) | Jean Paul II) est d'un effet saisissant. On y trouve en effet un diagnostic du mal de notre époque, cette culture de la peur qui s'est répandue, en particulier en Occident, à l'occasion de la crise du COVID-19. Relire le discours de Jean-Paul II est également important du point de vue de l'actuelle situation de l'Eglise, où l'on trouve d'un côté, le pape François, successeur de Jean-Paul II, qui a tendance à cautionner, sans plus, le "nouvel ordre mondial"; et, par contrecoup, une radicalisation opposée, qui fait comme si les pontificats de saint Paul VI, saint Jean-Paul II et Benoît XVI n'avaient pas existé, et se réfugie dans un rejet "lefebvriste" de certaines constitutions du Concile. Il est temps de redécouvrir le pontificat de Jean-Paul II, qui avait pensé la mondialisation et l'aspiration universelle à la liberté mais aussi leurs failles.   
Comme il le déclarait le 5 octobre 1995 devant l'Assemblée Générale de l'ONU :
"Mesdames, Messieurs, au seuil d'un nouveau millénaire, nous sommes témoins d'une accélération globale extraordinaire de la recherche de la liberté qui est l'un des grands dynamismes dans l'histoire de l'homme. Ce phénomène ne se limite pas à une partie du monde; il n'est pas non plus l'expression d'une seule culture. Au contraire, dans toutes les régions de la terre, malgré les menaces de violence, des hommes et des femmes ont pris le risque de la liberté, demandant que leur soit reconnue une place dans la vie sociale, politique et économique à la mesure de leur dignité de personnes libres. En vérité, cette recherche universelle de la liberté est l'une des caractéristiques de notre époque"

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Mais le Pape Jean-Paul II, à la différence de beaucoup de ses contemporains, ne se contentait pas de constater une espèce de loi immanente de l'histoire qui aurait été l'avènement naturel de la liberté. Il posait la question de la loi morale. Non pas une loi externe, imposée, telle un "surmoi" collectif mais interne à la personne et à l'action humaine. Le pape polonais posait explicitement la question qui occuperait aussi tout le pontificat de son successeur, celle du relativisme moral et de l'individualisme exacerbé. 
"Il est important pour nous de comprendre ce que nous pourrions appeler la structure intérieure de ce mouvement mondial. De fait, son caractère planétaire nous en présente une première "clé" fondamentale, confirmant qu'il y a réellement des droits humains universels, enracinés dans la nature de la personne, qui reflètent les exigences objectives et inaliénables d'une loi morale universelle. Loin d'être des affirmations abstraites, ces droits nous disent au contraire quelque chose d'important pour la vie concrète de tout homme et de tout groupe social. Ils nous rappellent aussi que nous ne vivons pas dans un monde irrationnel ou privé de sens, mais que, au contraire, il y a une logique morale qui éclaire l'existence humaine et qui rend possible le dialogue entre les hommes et entre les peuples. Si nous voulons qu'un siècle des contraintes fasse place à un siècle de la persuasion, il nous faut trouver le moyen de débattre sur l'avenir de l'homme dans un langage compréhensible et commun. La loi morale universelle, écrite dans le cœur de l'homme, est, en quelque sorte, la "grammaire" qui sert au monde pour aborder le débat sur son avenir même".

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En 1995, on était seulement au début de la vague de "mondialisation" actuelle. Mais le Pape de l'époque anticipait sur le risque qu'impliquait un oubli, voire une négation des frontières, des nations, des cultures, des identités : 
"Actuellement, le problème des nationalités se situe dans une perspective mondiale nouvelle, caractérisée par une forte "mobilité" qui rend les frontières ethniques et culturelles des différents peuples toujours moins nettement tracées, sous l'influence de nombreux facteurs comme les migrations, les moyens de communication sociale et la mondialisation de l'économie. Et pourtant, dans cette perspective d'universalité, nous voyons ressurgir avec force les requêtes des particularismes ethniques et culturels, presque comme une exigence impérieuse d'identité et de survie, comme une sorte de contrepoids aux tendances à l'uniformisation. C'est un fait qu'il ne faut pas sous-estimer, comme s'il ne s'agissait que d'une survivance du passé; cela demande plutôt à être analysé, dans une réflexion approfondie d'ordre anthropologique, éthique et juridique".
Au long de son discours, le pape insistait sur les risques d'une liberté qui ne soit pas ordonnée à un but supérieur : 
"La liberté n'est pas seulement l'absence de tyrannie ou d'oppression, ni la licence de faire tout ce que l'on veut. La liberté possède une "logique" interne qui la qualifie et l'ennoblit: elle est ordonnée à la vérité et elle se réalise dans la recherche et la mise en œuvre de la vérité. Séparée de la vérité de la personne humaine, elle se dégrade en licence dans la vie individuelle et, dans la vie politique, en arbitraire des plus forts ou en arrogance du pouvoir. C'est pourquoi, loin d'être une limitation ou une menace pour la liberté, la référence à la vérité de l'homme - vérité universellement connaissable par la loi morale inscrite dans le cœur de chacun - est réellement la garantie de l'avenir de la liberté".
Et il posait ensuite le diagnostic implacable de ce qui se passerait si la liberté reconquise à la fin des années 1980 n'était pas ordonnée à une finalité éthique et métaphysique:  "L'un des plus grands paradoxes de notre temps est que l'homme, qui est entré dans la période que nous appelons celle de la "modernité" par une affirmation confiante de sa "maturité" et de son "autonomie", approche de la fin du vingtième siècle avec une crainte de lui-même, avec la peur de ce qu'il est lui-même capable de faire, la peur de l'avenir. En réalité, la seconde moitié du vingtième siècle a connu le phénomène sans précédent de l'incertitude de l'humanité face à la possibilité même d'un avenir, en raison de la menace d'une guerre nucléaire. Ce danger, grâce à Dieu, semble s'être éloigné - et il faut fermement écarter, à l'échelle universelle, tout ce qui pourrait le rapprocher ou même le réactiver -, toutefois la peur pour l'avenir et de l'avenir demeure.

Pour que le millénaire désormais imminent puisse voir un nouvel épanouissement de l'esprit humain, grâce à la culture de la liberté, l'humanité doit apprendre à vaincre la peur. Nous devons apprendre à ne pas avoir peur et retrouver un esprit d'espérance et de confiance. L'espérance n'est pas un optimisme vain, dicté par la confiance naïve en un avenir nécessairement meilleur que le passé. L'espérance et la confiance sont les prémisses d'une activité responsable et trouvent leur source dans le sanctuaire intime de la conscience...."

Comment ne pas être frappé par son regard implacable, qui saisissait comme le peur était le plus grand ennemi de la liberté? Comment ne pas y voir des phrases prophétiques au moment où la tentation liberticide s'affirme de plus en plus au nom de la lutte contre le COVID? Comment ne pas voir que l'absence de boussole morale en Occident nous a plongé dans une convergence troublante avec une Chine, certes mondialisée, mais n'ayant pas abandonné ce qui la rattache, métaphysiquement, historiquement, politiquement, à ce totalitarisme contre lequel Jean-Paul II s'est tant battu. On a le sentiment, quand on regarde les dix-huit derniers mois, d'une solidarité internationale de la peur. Jean-Paul II, lui, prônait une solidarité des nations contre la peur: 
"Nous devons vaincre notre peur de l'avenir. Mais nous ne pourrons la vaincre entièrement qu'ensemble. La "réponse" à cette peur, ce n'est pas la coercition ni la répression, ni un "modèle" social unique imposé au monde entier. La réponse à la peur qui obscurcit l'existence humaine au terme du vingtième siècle, c'est l'effort commun pour édifier la civilisation de l'amour, fondée sur les valeurs universelles de la paix, de la solidarité, de la justice et de la liberté. Et l' "âme" de la civilisation de l'amour, c'est la culture de la liberté: la liberté des individus et des nations, vécue dans un esprit oblatif de solidarité et de responsabilité".
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