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De 1915 à 2015 : la tragédie des chrétiens d'Orient continue
©Reuters

Persécutions

2015 a été l’année de la commémoration du centenaire des génocides arménien et assyro-chaldéen perpétrés par l’Empire ottoman en 1915 mais également l’année des massacres des minorités chrétiennes en Irak et en Syrie par des terroristes djihadistes. Hier dans l’Empire ottoman, aujourd’hui en l’Irak et en Syrie, où s’arrêtera cette tragédie?

Joseph  Yacoub

Joseph Yacoub

Joseph Yacoub est professeur honoraire de l’Université catholique de Lyon, ancien titulaire de la chaire UNESCO « Mémoire, cultures et interculturalité ». Spécialiste  des minorités et des chrétiens d’Orient, il est l’auteur de : Qui s’en souviendra ? 1915, le génocide » assyro-chaldéo-syriaque, Ed. du Cerf, Paris, 2014,  à paraître  traduit en anglais : Year of the Sword, Hurst, Londres, juillet 2016, et : Oubliés de tous. Les Assyro-Chaldéens du Caucase (co-écrit avec son épouse Claire Yacoub), Cerf,  octobre 2015.

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Sous nos yeux, une nouvelle tragédie se déroule en Irak et  en Syrie. Elle touche l’ensemble des composantes de la population, toutes obédiences ethniques et religieuses confondues. Nous voulons ici insister sur les minorités  chrétiennes de ces pays.

Deux régions en particulier, celle de Ninive (province de Mossoul) en Irak, depuis le 10 juin 2014, et  celle du Khabour (la Djézireh)  en Syrie, depuis le 23  février 2015, ont été victimes d’attaques  criminelles, d’enlèvements d’innocents et d’exil massif et forcé de milliers de personnes, par les groupes terroristes  djihadistes et takfiristes du prétendu « Etat islamique ». Des villages entiers ont été pillés et vidés de leur population. Les réfugiés, démunis, sont nombreux dans les pays avoisinants (Liban, Turquie, Jordanie)  qui espèrent  partir pour les pays occidentaux. Le 25 juin 2015, les familles assyriennes du Khabour et de Hassaké (ma ville natale), ont connu un nouvel exode. En décembre, la situation continue à se dégrader.

Le choc est terrible sur tous les plans.  

Cette année 2015,  qui est celle de la commémoration du centenaire des génocides arménien et assyro-chaldéen perpétrés par l’Empire ottoman, restera-t-elle associée à l’extinction progressive de cette chrétienté en tant que  groupe ethnique et religieux, alors que son histoire est  consubstantielle à l’Irak et la Syrie? 

Population profondément autochtone, héritière d’un christianisme indigène et apostolique, qui parle l’araméen, la langue du Christ, ces chrétiens étaient connus autrefois pour leurs écoles et leurs académies, leurs traductions du grec en araméen (syriaque) et en arabe et leurs monastères. Dotés de leurs liturgies propres qui remontent aux premiers siècles, ils ont produit une littérature abondante dans maints domaines de la pensée, à la fois religieuse et profane et contribué à la renaissance arabe et à la modernité. 

Sur les rives  de ces fleuves bibliques  le Tigre, l’Euphrate et  le Khabour, entre l’Irak et la Syrie, ils ont écrit une page de l’histoire  qui reste à jamais incrustée.

Quelle est leur situation en cette année 2015 ?

Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, dont la  France avait saisi  le Conseil de Sécurité de l’ONU le 27 mars 2015  afin qu’il se penche sur leur sort, déclarait : « Les chrétiens d’Orient sont en train d’être éradiqués ».

Avec la destruction des monuments historiques en Irak, commencée, le 26 février 2015  par le saccage du musée de Mossoul, suivie par les attaques du site assyrien de Nimrod, le 5 mars, et par la suite de la ville de Hatra, le samedi 7 mars, et la démolition des églises et des sanctuaires par  des nihilistes obscurantistes, on est en train d’effacer la mémoire d’un peuple et les traces d’une civilisation, celle de la Mésopotamie, un des berceaux majeurs de l’humanité. Et les dévastations  de Palmyre (Tadmor) en Syrie et de lieux de culte dans le Khabour, le 23 août 2015, s’inscrivent dans la même visée destructrice  opérée à Ninive.

Ces actes de vandalisme ont été vigoureusement dénoncés par la Directrice Générale de l’UNESCO, Madame Irina Bokova, qui les qualifie de « crime de guerrecontre la civilisation», et par le secrétaire général de l’ONU, Monsieur Ban Ki Moon qui parle de « crime contre l’humanité ».

Le 23 février 2015, la terreur de Daech s’est abattue  sur les villages  assyriens du Khabour, au nord-est de la Syrie. Plusieurs villages comme Tal Tamer, Tal Shamiram, Tal Tawil et Tal Hormuz  ont été attaqués par des djihadistes, équipés d’armement lourd. Tal Nasri, Tal Hafian et Tal Maghas se sont vidés de leur population qui s’est  réfugiée dans les villes de Hassaké et Qamichli. Des enlèvements ont eu lieu  et des exécutions ont été commises, et certains sont toujours détenus en otage,  dans l’indifférence générale. Onze églises et villages ont été détruits comme l’église de Mar Bishou  à Tal Shamiram  et celle de Mar Audisho à Tal Tal.

Le malheur s’est abattu sur cette communauté pacifique qui ne demande pourtant que sa part à la vie et son droit à la dignité et au respect.

L’ironie du sort fait que ces Assyriens endeuillés du Khabour  sont  les enfants des  déportés des massacres d'Irak de 1933, eux-mêmes des rescapés du génocide de 1915 sous l'Empire ottoman. 

Chassés en 1915 de leur Hakkari ancestral  -situé à l’extrême sud-est de la Turquie-la Syrie fut leur troisième pays de refuge après la Perse et l’Irak. Ils vivent  au nord-est du pays depuis ces massacres de 1933, sur les deux rives  du fleuve Khabour, dans 35 villages, entre les villes de Hassaké et Ras–al-Aïn.

En Syrie, ils  ont construit des villages, véritable  microcosme du Hakkari et mis en valeur des terres agricoles qui étaient en friche. Ils étaient cités comme modèle de réussite et de loyauté. 

Et en cette année 2015, la mémoire  de 1915 revient. 

En 1915  ils ont été victimes d’un génocide et d’un ethnocide, prélude à leur errance qui continue comme on le constate  aujourd’hui.  

De janvier 1915 à juillet 1918, les Assyro-Chaldéens-Syriaques  ont été persécutés sur un périmètre très large, en Anatolie orientale, au nord de la Perse et dans la province de Mossoul, dans les mêmes conditions et presque sur les mêmes lieux que les Arméniens, et dans un dessein  analogue, qui visait selon des objectifs arrêtés, à homogénéiser l’Empire et  turquifier le pays.  Il fallait les évacuer des zones géographiques, trop sensibles aux yeux des nationalistes turcs et se débarrasser d’eux, sous le prétexte fallacieux d’infidélité et de déloyauté. 

Sur tous ces faits, il existe une documentation considérable, qui émane de sources autorisées et dignes de foi, en une multitude de langues. 

Donnons-en quelques exemples.

Dès 1916, le Blue Book britannique : The Treatment of Armenians in the Ottoman Empire, rassemble des récits de témoins illustres, qui traite dans sa version  anglaise des massacres des Assyriens. Pour sa part, Joseph Naayem, témoin oculaire des massacres, a écrit un ouvrage en français, en 1920, dont le titre est, en lui-même, fort évocateur : Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs. En 1918, Eugène Griselle  intitulait le sien: Syriens et Chaldéens, leurs martyres, leurs espérances, 1914-1917. Isaac Armalé, un autre témoin oculaire à Mardin, a rédigé en arabe un ouvrage sur les massacres de 1915, Al-Qousara fi Nakabat Annasara (Les calamités des chrétiens). Juriste russe, francophone, André Mandelstam, évoque, quant à lui dès 1917, dans son livre : Le sort de l’Empire ottoman, le petit peuple nestorien qui « a souffert des mains des assassins jeunes-turcs un martyre approchant celui des Arméniens». Nous avons également sur cette question une documentation importante en langue araméenne et arabe.

La presse s’est fait aussi l’écho des massacres. Frédéric Masson, membre de l’Académie française, écrit le 25 juillet 1916, dans le journal  Le Gaulois: « Un peuple, petit par les débris, immense par les gloires qu’il assume ou qu’il rappelle, le peuple chaldéen a presque entièrement péri sans que l’Europe s’émût et sans que nul y prit intérêt». Le 24 mars 1923,  Gorek de Kerboran, intellectuel assyro-chaldéen de Tour Abdin (village de Kerboran), donne une description du caractère systématique et concerté des faits incriminés à l’Institut catholique de Paris, reproduite dans le quotidien La Croix,  le 28 mars 1923.

Toute cette année 2015, les descendants des rescapés du génocide de 1915 ont été actifs sur la scène mondiale. Ils ont pris  la parole et interpellé la conscience de l’humanité et la communauté internationale, couplant avec ce qui se passe aujourd’hui, reliant  ainsi 1915 et 2015.  

Hier l’Empire ottoman, aujourd’hui l’Irak et la Syrie, où s’arrêtera l’errance de ce peuple ?

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