Dans les tréfonds de l’opinion, Emmanuel Macron un président toujours aussi clivant<!-- --> | Atlantico.fr
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L'image d'Emmanuel Macron reste toujours autant clivée auprès de l'opinion.
L'image d'Emmanuel Macron reste toujours autant clivée auprès de l'opinion.
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Nouveau mandat

Quelles que soient les hésitation et options du chef de l’Etat, il devra gouverner en surmontant une réalité très solidement ancrée dans l’opinion : son image reste toujours autant clivée auprès des Français.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Échec aux élections législatives (majorité relative pour gouverner), popularité en baisse (61% d’opinions négatives, +3 points), flottements sur la ligne politique à suivre, message politique confus malgré plusieurs interventions dans les médias, accusations graves visant un ministre issu des LR : tout semble bien mal commencer pour Emmanuel Macron et pour le gouvernement d’Elisabeth Borne. Seuls les sympathisants de la majorité font bloc derrière le chef de l’Etat (ils sont toutefois deux fois moins nombreux qu’au début de son premier quinquennat) et seuls les sympathisants LR maintiennent un jugement relativement positif sur son action. En ce début de second mandat, Emmanuel Macron ne parvient pas à casser la loi implacable de ce que l’on nomme « la malédiction du second mandat ». Une malédiction qu’ont connue avant lui François Mitterrand et Jacques Chirac dont le second mandat partait pourtant sur des bases bien différentes, à l’issue de périodes de cohabitation.

Cette « malédiction du second mandat » touche bien souvent les responsables et les dirigeants et pas seulement en politique.  Mais alors que dans le monde de l’entreprise ou de l’associatif le second mandat est souvent une reconduction après un premier mandat réussi (il y a des exceptions), en politique il faut bien avouer que cela n’est pas toujours le cas : parfois, celui ou celle qui est réélu, renommé ou reconduit dans ses fonctions donne le sentiment que c’est seulement par un glissement que le second mandat a été sollicité ou voulu. La difficulté dans laquelle se retrouvent nombre de dirigeants dans leur second mandat illustre un terrible paradoxe du pouvoir et de l’exercice du pouvoir : l’impulsion et l’énergie initiales semblent avoir été épuisées dans le premier mandat et la prolonger semble presque impossible. Il y a peut-être là une antinomie indépassable : comment muter le discours initial sur la modernité et l’innovation dont on se dit porteur en discours de gestion de cet acquis ? Cet oxymore est redoutable dans ses effets car il met le bénéficiaire du second mandat dans l’obligation de donner un sens différent du premier mandat à son second mandat. Non seulement cela demande au bénéficiaire d’un second mandat un effort pour théoriser et rendre crédible cette mutation, mais l’oxymore devient diabolique : si le second mandat est celui de l’apaisement et du compromis, pourquoi n’avoir pas commencé par cela 5 ans avant afin de créer le climat de confiance propice aux réformes ardemment défendues lors du premier mandat ?

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Le statisticien et spécialiste des sondages électoraux Nate Silver a essayé de comprendre si cette « malédiction » était confirmée empiriquement ou si elle n’était qu’une illusion rétrospective de notre mémoire qui ne retient que les scandales et les échecs et oublie le reste. Il conclut, dans une intéressante analyse du New York Times que si la « malédiction » semble bien conduire les présidents américains à être moins populaires dans le second mandat que dans le premier, de nombreux facteurs peuvent également rendre compte de cette dynamique négative. Il compare la situation du président réélu à celle d’un athlète de haut niveau qui, au faîte de sa gloire, a fait la couverture des magazines et revient ensuite au statut de très bon athlète mais plus de « star ». Il ne peut que décliner et décevoir ensuite. Le statisticien théorise ce phénomène comme un exemple de « régression vers la moyenne » : le premier mandat est un point extrême et la popularité de l’exécutif se rapproche de la moyenne lors du second mandat.

Cette loi statistique s’applique-t-elle à Emmanuel Macron ? Son premier mandat a sans doute connu trop de crises et trop de rebondissements pour que l’on puisse en juger.  Une analyse statistique de série temporelle pourra mieux nous le dire lorsque nous disposerons de plus de « data points » concernant sa popularité de second mandat. Pour le moment, remarquons que si une personnalité politique était destinée à connaître quelques tourments de second mandat, c’était bien Emmanuel Macron. A la fois tactique et stratège, porteur de convictions et flexible, visionnaire et adepte du changement de pied, le chef de l’Etat semble aujourd’hui hésiter entre deux options : s’adapter aux conditions du moment, qui ne lui sont pas très favorables, et leur donner du sens ? Conserver son avantage issu de la présidentielle et attendre le retour de meilleurs jours ? Les Françaises et les Français perçoivent ces hésitations et attendent que le chef de l’Etat abatte davantage son jeu : de quelle manière celui qui semblait tout dominer, se sortir des difficultés par une capacité à rebondir, celui qui est presque devenu « le Président des crises » va-t-il gérer la situation issue des élections législatives ?

Quelles que soient les hésitation et options du chef de l’Etat, il devra faire avec une donnée qui reste très solidement ancrée dans l’opinion : son image, qui reste toujours autant clivée. Si la Première ministre continue de susciter des réactions mitigées, beaucoup considérant ne pas la connaître et s’interrogeant sur qui est Elisabeth Borne, tel n’est pas le cas du chef de l’Etat. C’est ce que montrent bien les résultats de la dernière vague de l’Observatoire de la politique nationale réalisé par BVA pour Orange et RTL. BVA prolonge sa mesure mensuelle d’opinions sur le chef de l’Etat à travers une question ouverte à laquelle répondent les 1000 personnes interrogées une fois qu’elles ont indiqué si elles avaient une opinion positive ou négative sur l’action d’Emmanuel Macron.

Dans la dernière vague de cette enquête (réalisée les 22 et 23 juin), les personnes interrogées ont utilisé près de 6000 mots pour exprimer ce qu’elles pensent d’Emmanuel Macron, dont près de 2000 mots différents. Le répertoire de ces mots semble congelé dans celui du premier mandat : c’est toujours le quatuor des mots « fait », « rien », « riches » et « bien » qui sortent en tête des fréquences d’utilisation. Tout se passe comme si ni sa réélection, ni la promesse d’un second mandat différent du premier, ni la recherche de « compromis » avec d’autres formations politiques n’avaient modifié en quoi que ce soit l’image du chef de l’Etat construite dès le début du premier mandat ! Là encore il est trop tôt pour savoir si Emmanuel Macron, un peu réélu « par défaut », parviendra à desserrer la tenaille des représentations mentales qui se sont construites au cours de son premier mandat et à refonder son image.

Du côté des sympathisants de la majorité, Emmanuel Macron est toujours vu comme un réformateur courageux : « il dit ce qu’il pense, malgré tout ce qu’il a eu à gérer depuis qu’il est président (gilets jaunes, Covid et guerre) il garde ses objectifs, il fait front là où la majorité de ses opposants auraient abandonné » nous dit un sympathisant de Renaissance. Du côté des oppositions, l’image d’Emmanuel Macron est toujours celle du « président des riches », « hautain » et « méprisant » qui ne peut comprendre la France : « il fait tout pour les riches, il nous donne 50 centimes d’un côté et nous reprend 500 euros de l’autre. Il est hautain et prend les ouvriers pour des imbéciles » nous dit un sympathisant de la FI ; « aucune parole, très imbu de sa personne et n’aime pas la France pour nous traiter comme il le fait » ajoute un sympathisant du RN. De manière évocatrice des hésitations stratégiques qui traversent les débats de leur parti, les sympathisants LR hésitent entre deux images : « à force de se montrer jupitérien, il s’est mis une majorité de français à dos. Bien qu’il ait plusieurs bonnes idées, il ne réussit pas à les faire passer » déclare un sympathisant LR tandis qu’un autre ajoute : « Il a passé une crise Covid où il a quand même assuré, personne n’aurait fait mieux. J’attends de voir le deuxième mandat, mais il a tenu certaines promesses notamment sur la santé ».

Voici donc Emmanuel Macron devant un nouveau défi de taille : rebattre les cartes politiques alors que les joueurs autour de la table de jeu sont presque les mêmes qu’il y a 5 ans, que ses principaux adversaires sont ressortis renforcés de la séquence électorale de 2022 avec de nouvelles cartes dans leurs mains. L’été est propice au jeu et au jeu de cartes notamment. Retrouvons-nous en septembre et voyons qui a abattu les siennes et qui ouvre son jeu…

Cet article a été publié initialement sur le site de BVA : cliquez ICI

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