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Nuages sur la croissance et le chômage : pourquoi l’effet confiance et l’optimisme du gouvernement commencent à être démentis par la réalité
©Dimitar DILKOFF / AFP

L’erreur de diagnostic

Selon l'institut Markit, qui mesure mois après mois le niveau d'activité de nombreux pays à travers le monde, la France aurait atteint un plus bas niveau de 16 mois dans le courant de ce mois de mai 2018.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Selon l'institut Markit, qui mesure mois après mois le niveau d'activité de nombreux pays à travers le monde, la France aurait atteint un plus bas niveau de 16 mois dans le courant de ce mois de mai 2018. La zone euro, pour sa part, atteint un plus bas niveau de 18 mois. Des chiffres à mettre en relation avec la hausse du chômage constatée par l'INSEE pour ce premier trimestre 2018, avec une hausse de 0.2 point, à 9.2% pour la France. Ne peut-on pas voir en l'espèce, une sous-estimation de l'impact de la macroéconomie par le gouvernement et Emmanuel Macron ? Faut-il voir ici une erreur de diagnostic ?

Nicolas Goetzmann : L'évolution du niveau de l'activité économique -et donc de celui du chômage- est avant le résultat des politiques macroéconomiques, c’est-à-dire des politiques monétaires et budgétaires. Dans la zone euro, puisqu'il existe une contrainte institutionnelle importante sur les variations budgétaires, c'est le monétaire qui prime. C'est ce qui explique cette concordance importante entre ce qu'il se passe en France (plus bas de 16 mois) et dans la zone euro (plus bas de 18 mois). C'est l'action de la BCE qui est ici le déterminant principal, et non les "réformes" d'Emmanuel Macron. Ce n'est évidemment pas très agréable à entendre, mais l'impact de ces réformes structurelles est marginal, voir inexistant, sur le niveau d'activité.

La cause de ce ralentissement économique est donc à regarder du côté de la BCE. Et là, on peut se rendre compte que le programme d'assouplissement quantitatif qui avait été initié en 2015 va se terminer, avec une annonce d'un clap de fin prévu pour le mois de septembre 2018. Les acteurs économiques, de façon rationnelle, se méfient donc de la suite, et pourraient retirer progressivement leur confiance à l'économie européenne. D'autant plus que la BCE entre dans une période de turbulences institutionnelles pour la prochaine année, avec le début du mercato des banquiers centraux, et notamment le départ de Mario Draghi. Il est dès lors envisageable que la fenêtre de cette période Draghi, qui a quand même permis d'éviter l'explosion de la zone euro, se referme rapidement, et que la BCE retombe dans ses travers habituels. C’est-à-dire une obsession austéritaire et une volonté de maitriser des risques inflationnistes pourtant inexistants.

C'est effectivement cette dimension qui semble échapper aussi bien au gouvernement qu'à Emmanuel Macron. Rien n'est dit sur ce sujet, rien ne semble être remis en cause. On pourrait alors penser que la volonté du gouvernement est de respecter l'indépendance de la BCE, mais il est à noter que l'Allemagne ne rate pas une occasion de livrer son commentaire sur ce point. Se taire est donc une action en soit, c'est une acceptation de la trajectoire qui se dessine.  

D'un point de vue plus général, il est bien sur curieux de constater qu'Emmanuel Macron concentre l'intégralité de ses propositions à des réformes dont le potentiel économique n'est que marginal. Il est par exemple cocasse d'entendre des commentaires concernant la reprise économique de la zone euro, en se demandant si la paternité doit en être attribuée à François Hollande ou à Emmanuel Macron alors que dans le même temps, la BCE a injecté 2500 milliards d'euros dans l'économie de la zone depuis mars 2015, soit une relance équivalente à 25% du PIB de l'ensemble. La comparaison entre ces actions est dépourvue de sens.  

On navigue ici dans une vision curieuse de l'économie, qui peut s'expliquer par une approche centrée exclusivement sur les entreprises. C'est une vision qui est pourtant très datée, qui était par exemple dénoncée dès 1996 aux Etats-Unis par le prix Nobel Paul Krugman dans un article devenu référence "un pays n'est pas une entreprise". Effectivement, les entreprises ne sont pas confrontées à des problématiques de définition de politique monétaire, il y a donc quelque chose d'archaïque et de déraisonnable dans cette approche qui conduit à se préoccuper des acteurs avant de traiter la problématique de fond d'une économie ; c’est-à-dire la définition d'une activité économique conforme au potentiel du continent. Ce qui est loin d'être le cas.

Et il ne faut pas oublier le contexte politique, après le Brexit, la sécession progressive des pays de l'est de l'Europe, le vote italien ou la Catalogne, l'Europe se démembre sous nos yeux dans un processus rapide - tous ces événements ont moins de 3 ans - mais nous sommes captivés par l'instant qui détourne notre regard de cette tendance.

Philippe Crevel : L’écrivain, Milan Kundera, a écrit « être possédé par l'actualité, c'est être possédé par l'oubli ». Certains ont cru que quelques bons chiffres, quelques résultats statistiques avaient transformé la France d’un coup de baguette magique. La situation économique demeure fragile. La croissance ne tient qu’à un fil, le commerce extérieur se dégrade et la Cour des Compte a souligné que l’assainissement budgétaire constaté n’est qu’un trompe l’œil.

Le yoyo du chômage prouve que la France est toujours confrontée à un réel problème structurel. Ce n’est pas en soi une surprise. Ainsi, à la fin du premier trimestre, la France métropolitaine comptait 2,6 millions de personnes au chômage, soit une hausse de 83 000 en trois mois. Le taux de chômage a augmenté de 0,3 point par rapport au trimestre précédent en atteignant 8,9 % de la population active.

Cette dégradation est liée au ralentissement de l’activité et aux blocages inhérents au marché du travail français.  La croissance est passée de 0,7 à 0,3 % du 4e trimestre au 1er trimestre 2018. Le nombre de créations d’emploi s’est légèrement tassé, 57 900 créations nettes d’emploi, contre soit 81 500. Pour certains experts, cette légère détérioration serait la preuve que ‘économie française buterait sur le taux de chômage structurel que la Commission de Bruxelles évalue à 9,1 % quand en Allemagne il serait de 3,6 %. Plusieurs facteurs expliqueraient un tel écart de part et d’autre du Rhin : indemnisation des demandeurs d’emploi, inadaptation de l’offre à la demande de travail, rigidité du code du travail, coût élevé du travail au regard de la productivité. Confortant l’analyse de la Commission européenne, selon l'INSEE, 42 % des industriels français éprouveraient des difficultés à pourvoir à un nombre croissant de postes. 67 % des dirigeants dans le bâtiment sont dans le même cas.

Il ne faut pas oublier que le regain de l’activité, en France, est avant tout la conséquence de : trois facteurs :

  • L’accélération du commerce mondial ;
  • La baisse des taux d’intérêt ;
  • La contraction du prix du pétrole.

La croissance du commerce mondial a un effet rapide et élevé sur la croissance. Elle se traduit par une augmentation des exportations et des importations. Or, si le commerce extérieur a connu de 2013 à 2016 un repli, il est en nette progression depuis. La sortie de crise de la zone euro ainsi que du Brésil ont contribué au redémarrage du commerce extérieur. La remontée du prix du pétrole à partir de la fin de l’année 2016 a, en outre, relancé la consommation des pays exportateurs, surcroit de consommation se traduisant par une augmentation des importations.

Les exportations de la France qui étaient en quasi recul ont renoué avec la hausse fin 2016. Leur croissance a  atteint près de 4% à la fin de l’année dernière. Or, une augmentation de 1 % des exportations conduit à une progression de 0,49 % des importations. L’accélération du commerce mondial a, en France, permis, selon l’économiste de Natixis, Patrick Artus, au total à une hausse de 1,2 point de la croissance de la France entre 2016 et 2017.

La décision de la Banque centrale européenne de s’engager dans la mise en œuvre d’une politique monétaire non conventionnelle avait comme premier objectif, d’éviter la déflation. La BCE considérait à demi-mots que la baisse des taux contribuerait à relancer l’économie. Son effet fut plus long à se dessiner en Europe qu’aux Etats-Unis. La diminution des taux a amélioré sensiblement la situation budgétaire des Etats européens. Le poids du service de la dette est passé, en France de 3 % à 1,8 % du PIB de 2002 à 2017 quand dans le même temps la dette publique progressait de plus de 1000 milliards d’euros. La chute des taux a également réduit le coût de l’endettement des entreprises expliquant en grande partie la hausse de leur profitabilité. Le poids des intérêts payés par les entreprises représente 2 % du PIB en 2017 contre 5 % en 2002.. Les profits représentaient, en 2017, 10 % du PIB contre 8,5 % en 2015. Certes, la profitabilité des entreprises a été également améliorée par le pacte de responsabilité mis en œuvre par François Hollande et par notamment le CICE. L’amélioration des résultats des entreprises a facilité, par ailleurs, la reprise de l’investissement.

La baisse du prix du pétrole entre 2014 et 2016 a accru le pouvoir d’achat à hauteur de 1000 euros par ménage. Avec la baisse des taux d’intérêt, ce facteur a favorisé la reprise de la consommation. En 2015 et 2016, cette dernière a progressé respectivement de 1,5 et 2,1 %. En 2017, avec le retournement du prix du pétrole, la progression n’est plus que de 1 %. Le surcroît de croissance lié au pétrole bon marché est sans doute de 0,4 à 0,5 point.

Ces différents facteurs favorables à la croissance française peuvent se retourner assez rapidement et donc peser sur le niveau de l’activité. L’augmentation du prx du pétrole pourrait amputer la croissance de 0,4 à 0,5 point en 2018 et 2019 si elle se poursuivait. Les taux d’intérêt devraient remonter dans les prochains mois avec la sortie progressive de la politique monétaire non conventionnelle.

Au regard des réformes faites, notamment concernant la loi travail, ne peut on pas également estimer que le gouvernement aurait surestimé les effets de ses réformes, notamment en contrebalançant les conséquences économiques de la mobilisation sociale que celles ci ont pu entraîner ? N'est-on pas en présence, en l'espèce, d'un jeu à somme nulle ?

Philippe Crevel : Le pari du Gouvernement repose sur la montée en puissance des réformes dites structurelles pour compenser l’affaiblissement attendu des facteurs conjoncturels. Le pari peut échouer en raison des retards de calendrier pour les réformes et du fait qu’elles sont insuffisantes pour accroître la croissance potentielle du pays. Le Président de la République a ouvert de nombreux chantiers mais peu ont été refermés. La réforme de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, de la retraite sont toujours en instance d’élaboration

Si les ordonnances travail ont été publiées, leurs effets seront longs à se matérialiser. D’autre part, entre l’affichage volontariste et la réalité sur le terrain, l’écart est important. Le Gouvernement est assez prudent comme en témoigne l’abandon de la réforme du statut de la fonction publique. La promesse de revoir les modalités d’attribution des prestations sociales devra être traduite en actes et cela ne sera pas simple.

En 2018, le Gouvernement devra en outre supporter le coût des grèves et des jours fériés. Pour les grèves, le manque à gagner pourrait être de 0,1 à 0,2 point de croissance.

Concernant le ralentissement de l'activité du mois de mai, Markit évoque la possibilité d'un biais relatif au nombre de ponts et de jours fériés "de nombreuses entreprises interrogées attribuent la faiblesse de leur activité en mai à un nombre de jours fériés exceptionnellement élevé au cours du mois". Cette situation inhabituelle peut-elle être effectivement à l'origine de ce chiffre ?

Philippe Crevel : Les jours fériés du mois de mai 2018 pourraient coûter 0,06 à 0,1 point de croissance au pays. Il y aura un effet cumulé avec les grèves des transports (SNCF et Air France). Le surcroît de l’activité touristique attendu avec des ponts à répétition a été élimé par ces grèves. De nombreuses entreprises ont préféré fermer durant cette période. Les chefs d’entreprise ont demandé à leurs salariés de prendre les reliquats de congés payés ou de purger leurs RTT. Par ailleurs, de nombreuses entreprises sont confrontées à des goulets d’étranglement. Les sous-traitants tardent à livrer des commandes surtout en ce qui concerne les biens d’équipement ce qui empêche l’augmentation des capacités de production. En outre, avec la multiplication des tensions internationales (protectionnisme américain, Iran, Italie), les chefs d’entreprise sont de plus en plus prudents. Les ménages sont également plus attentistes comme en témoigne la stagnation de la consommation depuis le début d’année.

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