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Crise humanitaire aiguë au Yémen : mais où sont les belles âmes françaises tellement promptes à boycotter Israël quand il ne s’agit plus de défendre les Palestiniens mais les Yéménites accablés par les Saoudiens ?
©Reuters

Deux poids deux mesures

Selon les prévisions de OXFAM, plus de 600 000 personnes pourraient être contaminées par le choléra et deux millions d'enfants souffrent de malnutrition au Yemen. Pourtant, bien peu de voix s'élèvent pour boycotter le pétrole saoudien.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Après deux ans de guerre la situation au Yémen n'a jamais été aussi déplorable. Dernier événement en date l'émergence d'une épidémie massive de choléra qui pourrait toucher jusqu'à 600 000 personnes fin 2017. Comment expliquer, au regard de la situation de crise et sanitaire sur place que presque aucune voix ne s'est levée en France pour boycotter le pétrole saoudien ?

Alain Rodier : Effectivement, une guerre civile a actuellement lieu au Yémen. Pour résumer, les al-Houthis, des tribus zaydites proches de l’islam chiite se sont alliées à l’ancien président Abdallah Saleh (viré suite au "printemps arabes") pour s’emparer de la partie ouest du pays (dont la capitale Sanaa) et contrôlent les rives de la mer Rouge et peuvent mettre en danger la circulation dans le détroit de Bab el Mandeb.

C’est une guerre par procuration qui oppose l’Iran à l’Arabie Saoudite qui emmène derrière elle une large coalition de pays arabo-sunnites.

La France n’a strictement aucun intérêt économique ou politique dans la zone en dehors du problème du contrôle possible du détroit de Bab el Manded par Téhéran (qui est aussi capable de bloquer le Détroit d’Ormuz si une crise internationale éclatait dans la région déjà très incendiaire).

Il convient aussi de souligner l’appui direct des États-Unis et des Britannique à cette coalition emmenée par l’Arabie saoudite qui s’est engagée à soutenir le gouvernement légal du Yémen. Sur le plan militaire, cette coalition est totalement ensablée et aucune des parties n’a espoir d’une cessation des hostilités à court ou moyen terme. Tout cela provoque un désastre humanitaire sans précédent, le Yémen étant déjà un des pays les plus pauvres de la planète.

Donc, pour Paris, il est difficile et délicat de prendre partie - surtout que Washington soutient Riyad dans la lutte sourde qui l’oppose à Téhéran -.

Mais, pourquoi ne pas boycotter le pétrole saoudien, telle est votre question. La réponse est simple : vous plaisantez ? Nos beaux penseurs sont trop avides de partir en week-end au bord de la mer à bord de leur belle automobile qui roule au pétrole.

A contrario, lorsque le moindre événement, phénomène de violence survient en Israël, les appels au boycott de produits israéliens sont légions. Comment expliquer ce deux poids deux mesure selon vous ?

Alain Rodier : Nous avons en France un lobby anti-sioniste qui est extrêmement actif bien que les « intellectuels » qui l’accompagnent tentent bien d’éviter tout débordement qui pourrait être assimilé à de l’anti-sémitisme. Ce n’est pas vraiment le cas sur le terrain lors de quelques manifestations « populaires » qui font dans le « hard ». Les autorités n'osent pas trop réagir par souci de maintien de l'ordre public.

Je ne suis pas un expert de la situation israélienne pour la simple raison que je pense que tout est bloqué pour des années. Aucune des parties n’est prête à la moindre concession donc il n’y a malheureusement rien à espérer à court ou moyen terme. En conséquence, j'ai cessé de l'étudier depuis des années.

Le boycott des produits israéliens est moins pénalisant que celui du pétrole saoudien (c/f plus avant). Cela dit, le problème changera quand Israël exploitera pleinement les ressources gazières découvertes au large de ses côtes et deviendra exportateur.

Benoît Rayski : Il y a deux explications. La première est un phénomène de fond. Si le moindre événement en Israël provoque des appels au boycott et des sanctions internationales c'est parce qu'il y a des juifs dans l'affaire, il y a une passion anti israélienne dans le monde et derrière elle cache une passion antisémite. Elle est entretenue par différents groupes, gouvernements, en grande partie par une religion qui considère que Jérusalem est sa capitale. Derrière cela vient encore se regrouper l'ultra gauche.

La deuxième explication est également passionnelle. Aujourd'hui le Palestinien en tant que tel dans l'imaginaire international, notamment dans l'imaginaire arabe (qui a de l'influence sur le nôtre) est devenu la personnification de l'être souffrant, il a remplacé pour l'ultra gauche ce qu'était le prolétaire de naguerre et pour les mouvements islamistes il est devenu une figure sainte et admirée.

Quant au Yémen, il ne soulève aucun type de protestation alors que là-bas, on se tue, on bombarde… Pourquoi ? Parce que les gens qui se tuent entre eux au Yémen, ils se tuent entre Arabes, sunnites et chiites et tant que c'est entre eux, tout est permis. Un soldat israélien qui va lui tuer un Palestinien, et ça arrive, malheureusement, devient le prototype du criminel de guerre.

En France il y a des centaines de milliers de gens qui sont de la même origine que ceux qui se tuent au Yémen pour qui ce conflit ne compte pas. En revanche il y a une forte pression de la communauté musulmane en France pour tous les sujets ayant trait à Israël. Il y a une réelle passion antijuive qui remonte à la surface.

Comment expliquer le peu d'intérêt porté à la guerre au Yémen, non seulement par les médias mais aussi les différentes instances internationales ? (complexité de la situation sur place, dépendance aux hydrocarbures, vente d'armes à l'Arabie Saoudite enjeux régionaux…)

Alain Rodier : Vous avez apporté les réponses dans votre question. Il faut se rappeler que la politique internationale n’est pas conduite par la "morale" mais par les "intérêts". En élargissant le problème, je suis extrêmement inquiet des développements de la politique américaine. Je ne savais pas ce que le président Trump allait faire. J’ai peur qu’il ne soit aujourd'hui coincé par les néoconservateurs qui le poussent à mener une politique anti-iranienne et anti-russe que je qualifie de "primaire" même si je mesure les problèmes sécuritaires que peuvent poser ces deux pays aujourd'hui. Cela dit, la situation internationale est extrêmement compliquée ( il serait intéressant de connaître les tenants et aboutissants de la situation interne en Arabie saoudite qui est certainement à la base de la fuite en avant que connaît actuellement le régime contre l'Iran) et il est difficile de la comprendre, même pour ceux qui la suivent au quotidien.

D'ailleurs, on peut s'étonner de l'alliance de fait qui existe actuellement entre Israël (très critiqué par les penseurs anti-sionistes) et l'Arabie Saoudite (elle-même très épargnée par ces mêmes personnalités).

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