Covid : pourquoi le pire de la pandémie pourrait bien être encore devant nous<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Covid : pourquoi le pire de la pandémie pourrait bien être encore devant nous
©JEFF PACHOUD / AFP

Pas de retour à la normale en vue ?

Malgré l'espoir de la vaccination, l'épidémie de Covid-19 est loin d'être sous contrôle et l'apparition de variants du virus inquiète. 2021 risque fort d'être une année très difficile, tant au niveau sanitaire qu'économique.

Samuel Alizon

Samuel Alizon

Samuel Alizon est directeur de Recherche au CNRS, affecté au laboratoire MIVEGEC à Montpellier. Il travaille en écologie évolutive, plus précisément sur la modélisation des maladies infectieuses. Ses recherches portent en particulier sur les parasites humains (HPV, VIH, VHC, paludisme).

Voir la bio »
Marie Ségur

Marie Ségur

Marie Ségur est chargée d’étude et rédactrice pour Futuribles. Elle a piloté et rédigé l’étude sur les scénarios d’évolution du Covid avec François Bourse et François de Jouvenel.

Voir la bio »

Atlantico : Dispose-t-on d’éléments de scénarios qui permettent de déterminer comment va évoluer l’épidémie de Covid-19 sur l’année 2021 ?

Samuel Alizon : Il y a énormément d’inconnues. Ce que vont beaucoup dire les classiques en épidémiologie, c’est que tant qu’il n’y a pas une proportion suffisamment haute de la population qui est immunisée, les virus peuvent se propager.

La première question, c’est quelle va être l’immunisation dans la population. C’est une moyenne car s’il y a une disparité sur le territoire il peut y avoir des pics épidémiques. C’est le cas avec la rougeole. La question c’est de savoir si on va avoir cette couverture immunitaire. Il y a deux moyens : avoir l’infection et en être guéri ; et la vaccination, l’exposition artificielle. On pensait que l’immunisation naturelle pourrait être une solution mais le virus est trop virulent pour que cela soit envisageable. On l’a vu à Manaus au Brésil, ça a été une catastrophe. L’immunisation naturelle n’est pas jouable. Reste donc le vaccin. On en a trouvé dans un laps de temps extrêmement court avec des protections vaccinales impressionnantes sur trois mois, ce qui n’était pas si évident que ça. Mais il reste des interrogations sur la durée de la protection conférée. On a du recul sur trois mois, pas sur un an, ce qui rend difficile une projection sur la fin de l’année pour la durée de l’immunité.

La deuxième question, c’est de savoir l’effet du vaccin sur le virus : est-ce que ça empêche toutes les contaminations ou seulement les formes graves, sans empêcher la transmission ? Il y a des hypothèses mais pas de certitudes. Après, il faut traduire concrètement les avancées scientifiques et sur ce point les choses semblent assez compliquées en France. Le défi logistique est important. Certains pays vaccinent de manière importante, c’est le cas d’Israël, et la France se distingue par sa lenteur. On ne comprend pas pourquoi c’est aussi lent alors que ce sont les mêmes équipes qui ont réagi rapidement face à la première vague. Selon moi, l’explication c’est qu’au niveau local il y a eu une auto-organisation des soignants et des chercheurs dans l’urgence. Mais pour mettre en place une campagne de vaccination, le niveau local ne peut plus compenser la pénurie entretenue depuis 20 ans. La santé publique est le parent pauvre du ministère de la Santé qui n’est déjà pas très riche.

Marie Ségur, vous avez piloté et rédigé l’étude sur les scénarios d’évolution du Covid avec François Bourse et François de Jouvenel. Vous y avez dressé en juin 2020, puis réactualisé en octobre, 11 scénarios d’évolution de la pandémie de coronavirus. Quels scénarios apparaissent aujourd'hui comme les plus probables pour l’année 2021 ?

Marie Ségur : Nous avons publié onze scénarios, quatre à l’échelle mondiale, trois à celle de l’UE et quatre pour la France. Au regard des évènements, les scénarios les plus sombres que nous avions fixé pour la fin 2021 nous apparaissent comme les moins probables car on ne constate pas de grands mouvements insurrectionnels ou de tensions entre les États. De plus certains secteurs économiques sortent toujours la tête de l’eau. Mais les trajectoires possibles et la possibilité ou non de la reprise des échanges pré-crise vont continuer à être très fortement déterminées par les situations économiques, les choix politiques et évidemment l’incertitude sur l’évolution de la pandémie à l’échelle mondiale. Toutes les anticipations économiques de 2021 peuvent être revues à la baisse en cas de nouvelles flambées de Covid-19. La trajectoire à l’échelle internationale serait un mix entre nos scénarios de « monde multipolaire » et de « nouvelle guerre froide » dans laquelle la régionalisation des échanges commerciaux, des conflits et l’évolution des relations sino-américaines seront des facteurs décisifs. Des zones déjà fragilisées pourraient l’être encore plus avec des conflits ou des crises écosystémiques ou humanitaires. A l’échelle européenne on a régulièrement tiré la sonnette d’alarme sur l’absence de stratégie homogène de gestion du virus et l’on considère qu’en l’absence de mesures coordonnées il apparait difficile de contrôler sa propagation et donc de favoriser la reprise. Pour la France, on est sur un scénario qui est celui intitulé « Sur le fil du rasoir », assez instable avec un fort soutien de l’économie grâce aux amortisseurs mis en place par l’Etat. Le scénario de « dislocation », quasi-insurrectionnel, le plus pessimiste que nous envisagions est peu probable à l’horizon 2021. Un scénario de « Grandes dépressions » reste toutefois possible. Ce scénario envisage une crise économique qui va prendre de l’ampleur avec de plus en plus de faillites d’entreprises, une activité au ralenti. A cela s’ajoute la question de la santé mentale et psychologique de la population qui est assez importante et dans ce scénario pourrait se matérialiser par la multiplication des dépressions. On a tout un système d’analyse autour de variables strictement sanitaires sur l’évolution du virus lui-même, de l’immunité collective, des vaccins. Chacun de nos scénarios est une combinaison de ces hypothèses. Ce qu’on peut dire, c’est que nous sommes face à une incertitude majeure en termes d’évolution de la situation sanitaire. Ce qu’on voit c’est que la stratégie vaccinale est difficile à mettre en œuvre, que la vaccination a été présentée comme LA solution à la crise. Mais outre les problèmes de production et de logistique le fait que le vaccin cible le virus apparu en première vague pourrait amener à sélectionner les variants du Covid résistants au vaccin actuel. La question de l’immunité collective deviendrait alors décisive. Toutefois Pfizer a indiqué ce matin que son vaccin était capable de neutraliser les variants anglais et sud-africain. L’évolution actuelle du virus peut avoir un impact très lourd.

Sans vaccin, l’épidémie est donc amenée à se poursuivre ?

Samuel Alizon : Il y a un débat sur la couverture vaccinale qu’il faut pour empêcher le virus de se maintenir dans une population. La théorie nous dit que ça dépend du R0. On l’estime en France à peu près à trois, ce qui voudrait dire qu’il faudrait qu’environ 2/3 des gens se fassent vacciner. Dans la pratique, il y a pas mal de choses qui peuvent se rajouter à cela : tout le monde n’est pas aussi contagieux, il y a une hétérogénéité, notamment géographique. Un modèle paru dans Science montre qu’avec différents types d’hétérogénéité on peut seulement avoir besoin de vacciner 60 voire 50 ou même 45 % de la population. Pour faire des simulations plus fines, il manque des résultats. Ce seuil que j’évoque est celui qui permet de retrouver une vie normale, sans gestes barrières. Si on maintient ces gestes, le télétravail, l’aération, alors à ce moment-là la population à vacciner est beaucoup plus faible. Si l’on prend le taux de reproduction du virus lors du pic, qui était de 1,5, alors à ce taux, pour avoir l’épidémie sous contrôle, il faut vacciner un tiers de la population en maintenant les gestes barrières. C’est deux fois moins de monde. Plus on atteindra une immunisation rapidement plus on pourra alléger les mesures. Le gouvernement veut vacciner 14 millions de personnes d’ici avril, ça fait un peu plus de 20 % de la population. On pourrait donc potentiellement mieux contrôler l’épidémie d’ici l’été.

Doit-on craindre que le pire de l’épidémie soit devant nous ?

Samuel Alizon : Le problème, c’est l’état actuel de l’épidémie. On a déconfiné en décembre dans des circonstances qui n’étaient pas les mêmes qu’en mai dernier. Il y a une très grosse incertitude sur l’état de l’épidémie actuellement. Ça va jouer sur l’année 2021 car si l’épidémie reprend fort, ça va compliquer la vaccination. Quand on regarde les admissions en réanimation, avant Noël, on était sur un plateau. Elles ne diminuaient plus. C’est donc très compliqué de faire des prévisions. On s’attend à ce que la levée du confinement ait un effet de reprise de l’épidémie, mais ça a coïncide avec deux tendances contraires : les vacances scolaires, donc les gens qui arrêtent d’aller au travail, mais à l’inverse donnent lieu à un brassage familial. Le 5 janvier, qui correspond à l’évolution de l’épidémie deux semaines avant le taux de reproduction était de 1,05. Donc l’épidémie est en croissance lente.

On ne sera jamais sur un scénario comme on l’a vécu en mars. Les habitudes ont changé mais on a vu en octobre qu’un taux de reproduction qui même à 1,3 peut conduire rapidement à une saturation du système hospitalier. Il va être crucial de regarder les chiffres la semaine prochaine et que le gouvernement ne commette pas la même erreur que fin août. Si on réagit vite, on pourrait éviter une vague épidémique majeur. Les hospitalisations sont au niveau qu’on a connu aux alentours du 20 octobre. On ne part pas d’une situation optimale. L’espoir est que les autorités aient appris de leurs erreurs, contrairement à ce qui a été le cas après la première vague. On est sur une situation de plateau et il ne faut pas grand-chose de plus pour que ça reparte. Il y a de fortes chances que ça réaugmente et, si l’on ne fait rien, on aura un pic épidémique majeur. La rentrée scolaire qui s’est passée dans des conditions moins strictes n’incite pas à l’optimisme. Il est difficile de faire des prévisions et lorsqu’on les fait, c’est pour qu’elles ne se réalisent pas.

Lorsque l’on voit l’évolution des contaminations aux Royaume-Uni, où 1 habitant sur 50 a contracté le virus en une semaine, doit-on craindre la même chose en France ?

Samuel Alizon : Le virus qui se propage a acquis pas mal de mutations. Toutefois, des vérifications doivent encore être faites pour être certains que l’augmentation de la propagation soit due à la mutation. Je n’en suis pas encore totalement convaincu parce quand une épidémie est en croissance, la sélection naturelle est très faible et n’importe quel variant à sa chance. Donc il y a un problème de causalité. Est-ce que l’épidémie est en croissance à cause du variant ou est-ce qu’il y a le variant à cause de la croissance ? Ça, on ne le saura que si on voit le variant exploser ailleurs, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Les politiques de santé publique peuvent favoriser la propagation de certains variants sur le plus long terme. Le risque, c’est qu’il existe des variants moins sensibles à la réponse immunitaire générée par les vaccins. C’est une question qui se pose sur le variant sud-africain. Le virus évolue mais on voit relativement peu d’adaptation à l’homme, à l’exception de la mutation D614g qui permettrait qu’il se transmette mieux à l’homme. Ça devrait s’accélérer à mesure que des gens se feront vacciner. Certains chercheurs l’étudient en préventif.

Marie Ségur : Cette question est importante à court terme. On a une situation particulière en France car on a un gradient territorial assez impressionnant avec une forte disparité des contaminations en fonction des régions. Ce n’est pas forcément le cas au Royaume-Uni ou en Allemagne. Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de raisons pour que la France échappe à la trajectoire sanitaire de ses voisins. Au Royaume-Uni, le développement du variant très contagieux a mis près de deux mois à exploser. Si on applique ce schéma, une troisième vague très forte pourrait avoir lieu mais peut être en mars si des mesures plus fortement restrictives n’étaient pas remises en place assez rapidement. Il est tout à fait possible que dans les semaines à venir on soit confronté à la mise en place d’un reconfinement sévère sur le modèle de celui de mars dernier. Ce reconfinement serait un critère décisif sur les scénarios que l’on a pu tracer et il orienterait vraiment la France vers un scénario de « Grandes dépressions ». En effet, cela serait un choc supplémentaire sur l’économie et sur la psychologie des Français. Il ne faut pas réitérer les erreurs de la première vague en pensant que ce qui arrive à nos voisins ne va pas nous arriver. Le gouvernement s’est félicité de la situation sanitaire relativement stable début janvier grâce à son action rapide fin octobre 2020, mais il ne faut pas perdre cette leçon et agir vite.

Est-il possible qu’à l’hiver prochain la France, et plus largement le reste du monde soit encore soumis à des restrictions ? Une persistance durable de l’épidémie, sur plusieurs années, est-elle un scénario plausible ?

Samuel Alizon : Comme je le dis dans mon livre, on a cru longtemps que l’homme allait éradiquer les maladies infectieuses, notamment après l’éradication de la variole. Le VIH a vraiment ébranlé cette théorie et le Covid-19 est un peu le coup de grâce. Les maladies infectieuses font partie de la vie. La question c’est : comment on empêche qu’elles développent des formes virulentes ? On n’a éradiqué que la variole, qui avait un R0 bien plus faible. La rapidité de l’évolution du coronavirus et la durée de l’immunité naturelle chez l’homme restent de fortes inconnues. Si elle est durable, qu’on vaccine vite et que le virus évolue lentement on pourrait arriver à s’en débarrasser mais ça parait compliqué.

Marie Ségur : Il est évident que l’épidémie n’est pas du tout sous contrôle. L’OMS avait déjà dit il y a plusieurs mois qu’elle ne voyait pas de sortie de crise mondiale avant la fin 2022. On voit bien que l’horizon 2021 n’est pas celui d’une amélioration significative. Ce qui est certain, c’est qu’il y a une meilleure prise en charge des malades, des traitements plus efficaces, etc. Mais il est évident que nous allons rester dans une situation assez troublée au niveau sanitaire. Certains pays comme le Brésil et l’Inde restent des zones réservoirs du virus. Ils favorisent la propagation du virus car il est toujours présent sur leur territoire de manière massive. Les incertitudes restent très importantes. On peut toujours espérer que le virus perte en viralité et en force et que les pays s’adaptent. Pour nous ce qui est évident, c’est que l’on n’a peut-être pas ancré suffisamment l’idée qu’il faut adopter une vision de plus long terme, sans se concentrer sur un objectif de retour à la normale immédiat. Cela, afin de développer des stratégies plus adaptées à la nouvelle réalité. C’est important pour le maintien des activités quotidiennes, du monde de la culture. Vouloir fixer à tout prix un horizon à court terme de normalisation, c’est se priver de réfléchir à des solutions innovantes pour faire face à cette nouvelle réalité qui a l’air de devoir perdurer. Il faut apprendre à vivre avec le virus et à innover. Il y a déjà des innovations dans le domaine de la culture par exemple, mais elles ne sont pas accompagnées par les institutions, car le gouvernement continue de donner un calendrier de réouverture mois par mois, qui provoque des désillusions en chaîne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !