Geopolitico Scanner
Niger : le regain terroriste après le putsch
La junte n'hésite pas à mentir au sujet de la France.
Trois semaines se sont écoulées depuis le putsch militaire fomenté par le général Abdourahamane Tchiani contre le président Mohamed Bazoum, élu en avril 2021. Un rude coup pour toute la région et tous ceux qui s’engagent depuis désormais dix ans au maintien de la paix au Sahel. Les conséquences du coup d’Etat sont déjà inquiétantes, tant pour les Nigériens que pour son voisinage.
Une montée en puissance des groupes armés et terroristes
Depuis le 26 juillet dernier, date de la prise de contrôle du Niger par les hommes de Tchiani, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader. Ciblée par les propagandes locales comme étrangères, notamment russes et turques, la France avait noué une relation de confiance avec l’exécutif de Mohamed Bazoum qui s’accompagnait d’une architecture militaire qualitative. L’arrêt contraint des opérations conjointes avec Niamey a entrainé une diminution immédiate de la pression opérationnelle constante que subissaient les groupes armés locaux, tant criminels que terroristes.
Pas moins de cinq attaques ont pu déjà être recensées. Le 3 août, un village situé près d’Anzourou à quelques encablures des frontières maliennes a été visé par une attaque qui a causé au moins cinq morts. Le lendemain, les villages de Wabila et Hondobon subissaient un assaut, avec douze morts à la clé. Dans les jours qui ont suivi, trois autres attaques encore plus meurtrières ont ensanglanté la région de Tillabéri près de la frontière avec le Burkina-Faso, autre pays « émancipé » de la tutelle française pour mieux rejoindre l’impérialisme russe. L’attaque de Koutougou fut la plus lourde. Après que le ministère de la défense nigérien a annoncé avoir neutralisé plus d’une centaine de terroristes - chiffre probablement largement exagéré -, dix-sept soldats nigériens ont été tués et vingt autres blessés. Peu après, la CEDEAO a publié un communiqué invitant le Comité national pour la sauvegarde de la patrie « à rétablir l’ordre constitutionnel au Niger afin de pouvoir concentrer leur attention sur la sécurité dans le pays ».
Un vœu pieux pour l’heure, le renversement du pouvoir légalement élu et l’absence de l’armée française renforçant l’incertitude et les dangers pour les civils nigériens vivant dans les zones reculées aux frontières où agissent les bandes terroristes. On notera d’ailleurs un triste paradoxe : la junte a justifié son putsch en mettant en avant la « dégradation sécuritaire », alors que sa prise de pouvoir coïncide avec une accélération de l’activité des groupes armés et islamistes… Depuis deux ans, les choses semblaient pourtant s’améliorer avec l’engagement des forces françaises sur le terrain … à la demande des autorités nigériennes après une succession d’attaques fin 2019 et 2020 qui s’étaient conclues par le massacre de Chinédogar (89 morts).
Zone avec la plus forte démographie au monde, pauvre et minée par les conflits ethniques et religieux, le Sahel contribue très fortement à la crise migratoire. Il est à craindre que l’instabilité et le manque de savoir-faire sécuritaire des putschistes nigériens ne renforcent encore ce problème, pouvant même potentiellement entrainer une nouvelle crise humanitaire qui se solderait par d’importants déplacements de populations à destination des pays du Maghreb et des côtes européennes.
La France est clairement visée
Le 4 août, la junte a dénoncé les accords de coopération qui liaient le Niger à la France. Quelques jours plus tard, elle montait encore d’un cran en diffusant un communiqué purement mensonger nous accusant d’avoir violé l’espace nigérien, de libérer des chefs terroristes et d’avoir carrément attaqué un poste de la garde nationale… Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage. Est donc en train de se former un groupement d’Etats sahéliens mus par un inquiétant revanchisme visant l’ancienne puissance coloniale française, sentiment se basant non pas sur des faits établis mais sur une impression que des puissances ennemies ou concurrentes alimentent au quotidien par divers canaux de désinformation.
Particulièrement suivi sur Twitter, le « journaliste » américain Jackson Hinkle est exemplaire de cette cohorte informelle anti-française. Entre deux messages à la gloire de Vladimir Poutine ou de la Corée-du-Nord, cet Américain déjà passé sur Fox News au micro du célèbre Tucker Carlson ne cesse de vanter la figure du capitaine Traoré (Burkina-faso), de critiquer le Franc CFA, de fustiger les entreprises françaises présentes en Afrique, de vanter les putschs, ou encore de propager des mensonges infamants sur les agissements de notre armée. Cette propagande, qui n’a rien à envier à celle qu’avait pensée Andreï Jdanov du temps de l’URSS, fait de notre pays une puissance négative et prédatrice.
Le panafricanisme exerce aussi une influence en France, au travers de personnalités telles que Nathalie Yamb ou Kemi Seba, toutes deux reçues à plusieurs reprises en Russie. Cela servait notamment les intérêts de la Société Militaire Privée Wagner, anciennement dirigée par Evgeni Prigojine auteur d’un coup d’Etat manqué il y a quelques mois. Présenté après coup comme étant désormais un « terroriste », l’homme a été exilé en Biélorussie, base arrière qui ne l’empêchait pas de continuer ses opérations en Afrique où il jouait encore le Condotierre des intérêts du Kremlin. Son avion a été détruit hier, il voyageait aux côtés d'autres officiers wagnérites, dont le tristement célèbre Outkine. Tous les passagers sont morts.
Déjà présents au Mali et au Burkina-Faso, deux pays qu’ils n’ont pas contribué à rendre plus sûrs, bien au contraire, les hommes à louer de Wagner pensaient pouvoir profiter du chaos ambiant. Il se dit que le Kremlin comptait les remplacer par de nouvelles SMP créées opportunément, ou encore par le GRU. La disparition de Prigojine laissera quoi qu'il en soit un vide et est une bonne nouvelle. Pour l’heure, leur activité n’avait pas été détectée sur place, mais il semblerait qu’une campagne de désinformation avait été lancée par leurs soins depuis le Burkina-Faso voisin. Il est évidemment illusoire d’imaginer qu’un tel partenariat puisse combler le vide sécuritaire que provoquerait un désengagement français de long terme, ce que les pays membres du CEDEAO ont parfaitement compris.
Une dérive inquiétante
La prise de pouvoir par les putschistes envoie d’ailleurs d’inquiétants signaux à la communauté internationale. Des membres du gouvernement ont ainsi été arrêtés (notamment, le ministre de l’intérieur Hama Amadou Souley et la ministre des mines, Hadiza Ousseini). En outre, l’activité des différents partis politiques a été suspendue et les manifestations publiques interdites. Idrissa Kané, directeur général de la Poste du Niger, le fils de l’ambassadrice du Niger en France, Aïchatou Boulama Kané a été « mis aux arrêts » en réponse au refus catégorique de l’ambassadrice d’abandonner son poste.
Après la coupure des chaines d’information France 24 et RFI, des journalistes nigériens et français ont été emprisonnés puis libérés, signe d’une volonté d’intimidation de la libre expression par la junte et peut-être le reflet d’une fébrilité vis-à-vis des réactions de la population nigérienne. En plus d’une volonté de chantage, on sent bien que le Niger veut livrer une guerre informationnelle à la France, en coupant ses routes de communication locales.
RépondreRépondre à tousTransférer |
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !