Corinne Lhaïk : « Le volontarisme porte parfois Emmanuel Macron au déni de réalité »<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron président cambrioleur Elysée corinne lhaïk lrem chef de l'état
Emmanuel Macron président cambrioleur Elysée corinne lhaïk lrem chef de l'état
©ludovic MARIN / POOL / AFP

« Président cambrioleur »

Corinne Lhaïk vient de publier "Président cambrioleur" aux éditions Fayard. La journaliste retrace, dans ce livre enquête, les trois années d’exercice du président de la République Emmanuel Macron. Elle dévoile une présidence aux multiples facettes.

Corinne Lhaïk

Corinne Lhaïk

Corinne Lhaïk est journaliste. Après avoir dirigé le service politique du magazine L’Express, elle rejoint la rédaction de L’Opinion en janvier 2020. Elle suit le parcours d’Emmanuel Macron depuis 2011.

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Atlantico.fr : Le livre que vous publiez chez Fayard sur Emmanuel Macron est unanimement salué par la critique comme l'un des meilleurs écrits sur le Président, qu'avez-vous découvert dans cette enquête dont vous n'auriez pas déjà eu l'idée ou l'intuition avant de l'entamer ?

Corinne Lhaïk : Je confirme des traits de caractère d’Emmanuel Macron bien connus, comme sa capacité de séduction, et je les documente, en décrivant sa manière de faire et les relations qu’il entretient avec les plus de 6 000 personnes qui figurent dans son répertoire téléphonique. Mais j’ai découvert des aspects inattendus de sa personnalité. Le plus frappant, parce que le plus lourd de conséquences, me paraît sa difficulté à faire. La transformation du pays est le moteur de son quinquennat et il ne se donne pas les moyens de la mener à bien. Elle supposait une reprise en mains de l’administration. Il en connaît parfaitement le fonctionnement, les vices et les vertus, il a pu l’observer de près durant sa carrière. Il a promis une forme de révolution managériale. Et il ne se passe rien ou pas grand-chose. La scène la plus révélatrice de cette impuissance est sa visite de l’hôpital de Mulhouse, le 25 mars 2020 : il dit qu’il a volontairement annoncé la réforme de l’hôpital avec beaucoup d’insistance car il redoute que le système administratif ne se mette en position de résistance, comme c’est souvent le cas, pour affadir ses intentions. Lui-même reconnaît qu’il n’a pas réussi la réforme de l’Etat (décentralisation, déconcentration, réformes de l’hôpital, du logement, politique des banlieues, etc). Et il se fait son propre procureur : dans ses prises de parole, lors de la crise des gilets jaunes puis de celle de la Covid-19, il dresse l’inventaire de tout ce qu’il faut faire. Et qu’il n’a pas fait.

J’ai aussi découvert un président qui, à force de volontarisme, peut se trouver du côté du déni de la réalité. Ainsi la réforme des retraites est lancée sans préparation et sans anticipation de sa complexité technique, donc politique. Autre exemple : Emmanuel Macron désigne Sylvie Goulard comme candidate  à un poste de commissaire européen en sous-estimant la fragilité de cette candidature. Et c’est le même ressort qui joue dans la pénurie de masques : Macron a beaucoup de mal à dire qu’ils manquent et utilise des détours de vocabulaire pour ne pas avouer l’évidence.

Dans le même ordre d’idée _ce défaut est assez largement partagé par les gens de pouvoir, il pratique la post-rationalisation, sur le thème : puisque ces mouvements nous échappent, feignons d’en être les organisateurs. Quand la crise des gilets jaunes explose, il dit que lui-même a mis à jour cette demande de démocratie participative, lors de la grande marche qu’il a organisée en 2016, avant même l’annonce de sa candidature.

Le président cambrioleur est celui qui a su "voler" un destin qui paraissait promis à d'autres pour le faire sien. Il faut une sacrée dose de narcissisme pour devenir président -et Emmanuel Macron s'inscrit de ce point de vue dans la lignée de beaucoup de responsables politiques de premier plan- mais vous soulignez une tendance à l'exaltation qui lui est peut-être plus spécifique. Diriez-vous qu'en plus d'être narcissique, il souffre aussi d'une certaine immaturité, propre à son âge comme probablement à la société française dans son ensemble ?

Je n’emploierais pas ce terme concernant Emmanuel Macron. C’est vrai que certains de ses comportements, comme le goût pour le déguisement, font remonter sa part d’enfance. Mais on prend souvent pour de l’immaturité ce qui relève de son âge, encore jeune, cumulé à son manque d’expérience politique. Ce président est en apprentissage permanent : il découvre la fonction d’élu au premier niveau, celui de chef d’Etat, sans avoir eu l’expérience du suffrage universel. Il est confronté à la gestion d’un pays et à deux crises inédites, par leur nature et leur violence, les gilets jaunes, puis la crise sanitaire. Et il refuse de déléguer autant qu’il le devrait, il veut tout faire seul. Cela correspond à son tempérament et à sa lecture des institutions : il estime qu’en France, tout revient au président de la République, quoiqu’il fasse. Autant s’impliquer personnellement. Du coup, il est en première ligne, c’est son choix et il aime cela. Cela s’accompagne de cette propension à l’exaltation, que vous pointez. Elle relève d’un besoin de story telling, de mise en scène pour parler français. C’est une caractéristique de la politique d’aujourd’hui et probablement une nécessité, mais dans le cas d’Emmanuel Macron, elle est particulièrement exacerbée, car elle rencontre son goût personnel du théâtre.

Le président a aussi de grands moments de doute et une difficulté récurrente à trancher sur les dossiers difficiles, Entre les moments d'exaltation et les moments de doute voire de quasi découragement, quels sont les moments où Emmanuel Macron est apparu à son meilleur ?

Je parle de doute et d’exaltation, mais pas de découragement : au contraire, Macron a un tempérament optimiste. C’est pour cela que, paradoxalement, il aime les crises : elles lui permettent, pense-t-il, de faire valoir ses qualités d’audace et de courage. Cela se voit  pendant le mouvement des gilets jaunes : le Président parvient à remettre sur pied son quinquennat. En revanche, durant la crise sanitaire, il promet des lendemains qui chantent trop tôt et de manière trop lyrique. Depuis, il a corrigé cette expression, l’a rendue plus sobre.  Il faut noter que cette crise sanitaire lui permet d’être davantage en phase avec les Français parce qu’il développe le rôle protecteur de l’Etat. Mais elle est aux antipodes de son logiciel d’origine qui faisait appel à la responsabilité individuelle.

Corinne Lhaïk vient de publier "Président cambrioleur" aux éditions Fayard

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A lire aussi, deux extraits de son ouvrage : 

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