Cora symbolique de ces entreprises qui oublient que mépriser l'humain est économiquement contre-productif<!-- --> | Atlantico.fr
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La grande distribution a-t-elle un management à côté de la plaque ?
La grande distribution a-t-elle un management à côté de la plaque ?
©DR

The office

Une procédure de licenciement a été lancée contre une caissière pour "vol d'un coupon de réduction sur un ticket de caisse", puis abandonnée face à la mobilisation d'internautes choqués. La grande distribution a-t-elle un management à côté de la plaque ?

Norbert  Alter

Norbert Alter

Norbert Alter est docteur en sociologie et professeur à l'université Paris-Dauphine. 

Il a passé treize années à France Telecom, d'abord comme cadre administratif puis comme sociologue.

Il est également Co-directeur du master "Management, travail et développement social" à l'université Paris-Dauphine. 

Spécialiste du monde du travail, il est l'auteur de nombreux livres, dont Donner et prendre : la coopération en entreprise (La Découverte, 2010).

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Atlantico : A l'aune de l'affaire Cora, soit la tentative de licenciement avortée d'une caissière pour "vol" d'un coupon de réduction d'un ticket de caisse abandonné, pensez-vous que l'humain est oublié dans le monde de la grande distribution ? 

Norbert Alter : La décision prise par la direction de Cora est assez logique. Je ne dis pas qu’elle est légitime, je dis qu’elleest cohérente par rapport à une politique de gestionqui correspond malheureusement assez souvent à ce type d’univers.

Ce que ne comprennent pas ces entreprises c’est que la caissière donne beaucoup plus que ce que stipule son contrat de travail. Elle donne son ingéniosité pour que le travail soit fait et de la flexibilité de son temps de travail, elle accepte de changer de magasin, voire de se déplacer dans des banlieues lointaines.

Ils négligent tellement le facteur humain, qu’ils ont inventé, pour cause d’ignorance, le « SBAM », sourire, bonjour, au revoir, merci. Tout ça dans un temps court selon une procédure bien précise, afin qu’elles ne perdent pas de temps. L'entreprise oublie tout ce que donne la personne et rationalise son travail à l’extrême.

Pourquoi un tel décalage entre la décision de la direction de Cora et la perception de celle-ci par l’opinion publique ?

L’opinion publique n’a pas supporté la décision extrêmement cruelle qui a été prise par l’entreprise. Aujourd’hui, il semble que ce type de management soit devenu absolument illégitime pour la plus grande partie des citoyens et que seules, de manière complètement isolée, quelques directions aient le sentiment que ces méthodes sont bonnes.

Malheureusement ce n’est pas le cas, ni au plan humain, ni au plan commercial. Le manque de lien social peut générer de grandes souffrances ainsi que des risques psycho-sociaux, et en outre, ce genre d’affaire entache l’image de l’entreprise. S’y ajoute, ces dernières années, beaucoup d’affaires d’enrichissement personnel sur l’engagement collectif des salariés par des patrons de grandes entreprises. Et la plupart du temps, si elles ont été médiatisées, l’argent n’a pourtant pas été rendu.

Il y a des phénomènes qui, aujourd’hui, pénètrent les consciences collectives et qui font que ce type de circonstances est de moins en moins bien accepté. Cela pose un problème aux entreprises qui continuent à manager de cette manière. Il est impératif qu’elles s’en rendent compte pour des raisons humaines mais également pour des raisons économiques, sinon les affaires vont mal aller pour elles.

Comment expliquer la négligence managériale à l'égard du facteur humain ?

C’est un problème de management qui n’est pas spécifique à la France. La formation des managers les amène à penser que plus on est cohérent, rationnel et économe dans l’organisation du travail et plus on limite la place du lien social, plus l’entreprise sera performante. Ce qui est une erreur complète en matière de connaissance des réalités managériales.

Une entreprise qui se porte bien est une entreprise qui laisse de la place pour le lien social, même pour la flânerie, pour que les caissières puissent dire bonjour et au revoir spontanément et dans tous les cas, ce n’est pas le résultat d’un management qui contrôle tout. Il faut que les directeurs de ces entreprises comprennent que l’humain dans l’entreprise n’est pas un problème mais une ressource, que c’est en l’accompagnant, en le fortifiant que l’entreprise sera performante et que cela évite des scandales de ce type.

Quelles solutions pour remédier à cette négligence ? 

Il faut que les managers soient mieux formés à la valeur du lien social dans les entreprises et à la question des risques psycho-sociaux. C’est un problème de formation et d’expérience sociale car souvent ils ne connaissent pas le terrain. S’ils passaient quelques mois dans une position de caissier ou de caissière, ils comprendraient mieux la réalité du travail et l’intérêt du lien social, l’intérêt économique et humain dans ces circonstances.

Le problème général est que l’on n’accepte pas l’idée que si les organisations fonctionnent bien, c’est parce que les gens donnent plus que ce qui est prévu par le contrat de travail. Il est nécessaire, pour que les choses soient un peu plus agréables à vivre, qu’il existe du contre-don dans l’autre sens au lieu d’appliquer une règle étroitement économique.

La tendance se traduit avec les jeunes diplômés, qui sont considérés comme moins engagés que la génération précédente car ils comprennent que la prédominance du contrat rend l’entreprise ingrate et que par conséquent, pour se protéger de son ingratitude, il ne faut pas trop donner.

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