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Contrats de génération : les secteurs dans lesquels ils peuvent fonctionner et ceux où ils n'ont aucune utilité
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Espoir

Le Parlement devrait adopter définitivement ce jeudi le projet de loi instaurant le contrat de génération, promesse de campagne du candidat Hollande.

Marc Raynaud

Marc Raynaud

Marc Raynaud : Canadien et Français, expert de l’interculturel et de l’intergénérationnel depuis 20 ans dans 20 pays, Marc Raynaud est le président-fondateur de l’Observatoire du Management InterGénérationnel www.omig.fr . S’appuyant sur leur étude ‘le Management InterGénérationnel’ , réalisée auprès de 200 entreprises pour Les Echos Etudes, Marc et son équipe de consultants d’InterGenerationnel  forment les managers, les seniors et les jeunes à travailler en équipe multi-générationnelle en adaptant leur fonctionnement.

 

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Atlantico : Le contrat de génération prévoit d'accorder une aide forfaitaire de 4000 euros par an aux entreprises de moins de 300 salariés qui embauchent en CDI un jeune de moins de 26 ans, à condition de maintenir en emploi un salarié de plus de 57 ans. Mais il est reproché à ce dispositif de méconnaitre la réalité des entreprises. En dehors des entreprises qui ont de gros volumes de départs à la retraite à gérer, ou de celles qui prévoyaient déjà d'embaucher, le contrat de génération concernerait trop peu de sociétés. Ces critiques sont-elles justifiées ?

Marc Raynaud : Je ne sais pas si j’ai lu un seul article positif sur le contrat de génération depuis que son idée a été présentée par le candidat Hollande il y a un an. Parfois, j’ai l’impression que la seule opinion valable dans ce pays est une opinion contre et que seules les mauvaises nouvelles sont dignes d’être appelées ‘nouvelles’.

La situation du pays ne devrait pourtant pas permettre que tout sujet, quel qu’il soit, se transforme en conflit gauche-droite. Le projet de contrat de génération a déjà montré, et c’est une première, que tous les partenaires sociaux, quel que soit leur bord pouvaient se mettre d’accord sur un projet innovant qui vise à combiner l’approche de 2 problèmes majeurs de ce pays : le chômage élevé des jeunes et le maintien en activité des seniors. Curieusement, les élus ne sont pas parvenus à un tel consensus.

Bien sûr, personne ne croit qu’une prime de 2000 euros va déclencher un recrutement de jeune dans une PME si l’entreprise n’a pas le carnet de commande qui va bien. Mais le dispositif de contrat de génération peut encourager la décision d’embauche.

De la même manière, il sera difficile de prouver qu’un senior sera maintenu dans l’emploi grâce au contrat de génération. Mais le dispositif peut soutenir la décision de le maintenir.

Un projet du type contrat de génération contribue à faire bouger les lignes et les représentations dans le temps. Ses premiers effets sont d’abord qualitatifs. Chacun reconnaîtra qu’on peut mieux faire dans l’entreprise en combinant les atouts spécifiques des différentes générations. Il y a beaucoup de performance à gagner en utilisant mieux chaque génération. Trop de jeunes salariés sentent leurs compétences mal ou sous–utilisées et trop travaillent seuls sans profiter suffisamment des apports de leurs collègues expérimentés dans l’entreprise. Trop nombreux sont les seniors qui considèrent que leur longue expérience n’intéresse plus grand monde. Ils sont parfois très surpris, à la fin de leur carrière quand l’entreprise leur demande soudain de formaliser et de transmettre ce qu’ils ont appris. Plusieurs m’ont avoué récemment « c’est la première fois qu’on reconnaît que j’ai quelque chose de valable à transmettre. C’est un peu tard mais cela fait du bien ». En effet, seulement 13 % d’entre eux ont connaissance d’un programme de tutorat formalisé dans leur entreprise (2). C’est maigre au regard de l’ambition affichée dans les dispositifs seniors mis en place depuis trois ans.

Il y a donc un gisement de compétitivité important à mobiliser, ne serait-ce qu’en favorisant la créativité et l’innovation dans les entreprises. L’innovation sociale, et managériale en particulier, doit être reconnue comme une véritable innovation, porteuse de fruits pour tous.

Quand on me demande si le contrat de génération peut marcher, c’est cela qui me parait le plus important : Mettre les entreprises sur le chemin du management intergénérationnel, c’est-à-dire l’art de faire travailler ensemble toutes les générations de manière efficace, en tirant le meilleur parti de ce que chacune d’elles peut apporter de particulier.

Dans quelles entreprises ce dispositif pourrait-il s’adapter de façon privilégiée ? L'idée du contrat de génération est d'inciter les entreprises à embaucher des jeunes qui y seront formés par des salariés seniors. Dans quels secteurs peut-il exister un lien privilégié entre les jeunes et les séniors formateurs ?

Ne nous voilons pas la face, le contrat de génération marchera d’abord là où les entreprises ont déjà prévu de recruter et non pas dans des petites entreprises, tétanisées par la crise, qui ne vont probablement pas recruter en 2013. Et c’est très bien d’encourager les entreprises qui marchent et se développent. Le contrat de génération n’a pas vocation à soigner les entreprises fragilisées.

Le contrat de génération marchera aussi là où les patrons y verront un avantage. Le Ministère doit faire œuvre de pédagogie en la matière.

Ne parlons pas de entreprises de plus de 300 personnes dont la priorité première –non avouée- sera évidemment d’éviter la pénalité, qui pourrait s’élever jusqu’à 1 % de la masse salariale comme avec les accords et les plans seniors précédents. Eviter la pénalité, c’est un but modeste mais c’est déjà laisser l’argent dans l’entreprise ! Et toutes les entreprises de 300 + sont concernées même si toutes ne l’ont pas encore complètement réalisé, comme peut en témoigner l’OMIG (2) qui en réunit chaque mois.

Les entreprises de plus de 300 salariés peuvent mieux faire qu’avec les plans seniors passés. Selon une récente étude de l’APEC, 83 % des entreprises n’ont appliqué aucune des mesures indiquées dans leur accord ou plan senior précédent. Ceci signifie qu’elles ont pu éviter la pénalité sans rien faire d’autre qu’un accord ou un plan déposé à l’Administration. Aujourd’hui, les entreprises ont bien appris à faire cela, avec ou sans l’accord des partenaires sociaux.

Il s’agit donc d’aller plus loin et, d’ailleurs, la nouvelle loi impose de réaliser un diagnostic générationnel qui inclut le bilan des plans seniors passés.  Commencer par tirer les leçons du passé récent, c’est bien, négocier des accords générationnels avec un contenu réellement appliqué, ce sera mieux.

Le contrat de génération marchera aussi là où les entreprises de moins de 300 salariés chercheront à profiter de la prime à moindre coût. Encore une évidence inavouable… mais si le résultat final est l’embauche de jeunes et le maintien dans l’emploi de seniors plus longtemps, est-ce si dramatique ? Et si cela ne marchait pas, alors arrêtons de crier aux effets d’aubaine et de demander qui financera le milliard du Contrat Génération. Car si cela ne marche pas, c’est-à-dire s’il n’y a pas 500 000 embauches au bout du compte, cela ne coûtera pas un milliard !

L’enjeu est culturel, c’est celui de la place des générations dans l’entreprise et de la capacité du management à utiliser et à développer les compétences des jeunes comme des seniors. Un  dialogue renforcé, en connectant les générations, favorisera progressivement le changement de mentalités. En dépassant les idées reçues et les stéréotypes, de nouvelles façons de travailler pourront être inventées, stimulant la créativité et pouvant déboucher parfois sur des innovations. Dans une nation qui se voit comme ayant des idées, c’est un levier culturel important pour changer. Le dialogue intergénérationnel, stimulé par la loi, peut permettre de créer les conditions d’une performance globale, économique et sociale, accrue dans beaucoup d’entreprises.

Les études de l’Observatoire du Management InterGénérationnel montrent que lorsqu’on parvient à faire travailler ensemble des personnes de générations différentes, les équipes multi-générationnelles produisent de meilleurs résultats dans la durée. C’est une pratique délicate que les managers doivent apprendre aujourd’hui. Lorsqu’ils maîtriseront cet art nouveau du management, comme dans d’autres pays, leurs résultats seront spectaculaires. Je salue donc l’esprit d’un dispositif qui incite les entreprises à avancer dans ce sens.

Quels sont les secteurs où le contrat de génération pourrait fonctionner efficacement ? Pour quel type d’entreprises la transmission des savoirs et des savoir-faire est-elle un enjeu particulièrement important ? L'artisanat, l'hôtellerie-restauration, le bâtiment, où une tradition de transmission des savoirs préexiste, seront-ils particulièrement intéressés ? Dans l’industrie, quels métiers pourraient être concernés, et pourquoi ?

On parle beaucoup du contrat indien du Rafale ces jours-ci. On en parle depuis des années et, s’il se concrétisait, ce contrat changerait non seulement les perspectives de l’industrie aéronautique & défense française mais aussi toute l’industrie européenne du secteur. Pour des entreprises qui travaillent sur des programmes à cycles longs comme celui-ci, ou dans le nucléaire par exemple, le contrat de génération peut s’avérer très intéressant. Dans certains métiers techniques, la transmission des compétences prend en effet beaucoup du temps. Elle peut nécessiter dix ans chez un spécialiste avant de bien maîtriser un savoir-faire. Donc des embauches massives de jeunes combinées avec le maintien dans la durée de seniors ayant des compétences précieuses à transmettre, peuvent être envisagées dans ces domaines. Et ceci profitera aux PME qui travaillent dans le sillage des Safran, Dassault, Thales, Cassidian, EDF ou Areva.

En dehors de ces domaines à cycle long où la France dispose de nombreux champions, il y a le champ des entreprises vieillissantes qui ont l’obligation de recruter des jeunes pour recevoir les savoir-faire à pérenniser dans l’entreprise. Trop d’entreprises disparaissent faute d’avoir su et pu transmettre leur savoir-faire à temps. Dans certaines localités un peu reculées, et dans certaines spécialités, de nombreuses entreprises ont du mal à attirer des jeunes recrues. Elles doivent adapter leur offre aux attentes de la génération Y pour y arriver, quitte à casser parfois certains dogmes (niveau de salaire à l’entrée, diplôme, temps de travail, avantages divers). Les collectivités locales peuvent aider ces entreprises à devenir plus attractives sur leur territoire.

Enfin, il y a des secteurs ou la combinaison d’un jeune et d’un senior est un atout évident. Que ce soit dans le domaine des services à la personne ou dans certains commerces, le senior peut mieux « passer » auprès d’interlocuteurs seniors qui ont parfois du mal à parler de leurs petits problèmes de seniors (santé, physique). De leur côté, des jeunes peuvent aider leur binôme senior avec leur force et leur énergie. D’autres jeunes peuvent eux aider les anciens à rester connectés et actifs dans la société numérique. Avec ses programmes de ‘Silver Learning’, la Corée du Sud a montré combien cette activité de tutorat inversé –où les jeunes sont les tuteurs- pouvait bénéficier à la collectivité, non seulement en matière de cohésion sociale et de fierté nationale mais aussi à la croissance du PIB.  

Quels sont les freins à desserrer ?

Beaucoup de freins restent à desserrer et des blocages à surmonter, à commencer par la représentation que nous avons des jeunes et des seniors dans le pays. Le changement culturel national passera nécessairement par le changement de représentation que nous avons des autres générations et de la représentation que nous avons de la nôtre. Changer notre  conception du travail, de la carrière, de la retraite et de l’évolution de notre rémunération dans le temps constitue autant de points de passage obligés pour la transformation à opérer dans le pays. Ce virage idéologique, entamé avec le contrat de génération, reste à négocier dans l’entreprise. Beaucoup d’entre elles s’efforcent déjà à redéfinir le contrat social. Sans cela, des championnes aussi belles qu’Air France pourraient disparaître.

Quelles pourraient être les clés de la réussite ?

Un changement culturel de cette envergure nécessite un plan et de la méthode.  Un accompagnement externe des petites entreprises ne sera pas superflu non plus pour diffuser l’esprit et mettre en place le contrat de génération. Un fonds d’accompagnement-conseil financé par l’Etat me paraît indispensable en appui.

Et au niveau des entreprises ?

Pour éviter le choc et favoriser l’intégration des jeunes, l’entreprise a intérêt à les former d’entrée à ce qu’est une entreprise, comment elle fonctionne et avec quelles règles. Ça peut d’ailleurs se faire dès le collège comme au Lycée Airbus que nous avons étudié. En complément, les seniors doivent se préparer à fonctionner avec la nouvelle génération Y : en 2014, la population des entreprises sera constituée à 40 % de cette fameuse génération Y. C’est demain. Ces formations (3) permettront d’éviter de nombreux malentendus, des tensions voire des conflits… et donc des coûts significatifs et des départs prématurés.

Pour terminer, rappelons que, de même que l’intergénérationnel n’est pas inné, l’art de la transmission lui aussi doit s’apprendre. Comme c’est au manager qu’il revient le rôle stratégique de préserver le savoir-faire de l’entreprise, c’est donc à lui d’apprendre la méthode et les outils de la transmission intergénérationnelle.

Propos recueillis par Julie Mangematin

(1)  Marc Raynaud préside l’Observatoire du Management InterGenerationnel www.OMIG.fr

(2)  Sondage Notre Temps Juillet 2012

(3)  Pour plus d’information voir www.intergenerationnel.fr

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