Conjuguer croissance économique et réduction des émissions de CO2, c’est possible et 32 pays l’ont fait depuis 2005 (dont... la France)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Conjuguer croissance économique et baisse des émissions, c'est possible !
Conjuguer croissance économique et baisse des émissions, c'est possible !
©Fabrice COFFRINI / AFP

Data pour Loi climat

Une étude américaine montre que 32 pays dont la France sont parvenus à un découplage total entre croissance économique et émissions de CO2 depuis 2005 : leur PIB a augmenté tandis que leurs émissions ont diminué.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

Voir la bio »
Zeke Hausfather

Zeke Hausfather

Zeke Hausfather est climatologue. Il travaille sur les relevés de température et les modèles de systèmes climatiques et énergétiques. Il est directeur Climat et Energie au Breakthrough Institute.

Voir la bio »

Atlantico : Zeke Hausfather, vous publiez une étude avec Breakthrough Institute qui montre que depuis 2005, 32 pays dont la France sont parvenus à un découplage total entre croissance économique et émissions de CO2. Ce résultat est-il surprenant ?

Zeke Hausfather : Un découplage absolu des émissions de CO2 signifie que le PIB augmente alors que les émissions de CO2 diminuent. Dans notre étude, nous limitons notre analyse aux pays où les émissions territoriales (celles du pays) et les émissions de consommation (y compris le CO2 inclus dans les biens échangés) diminuent. Nous avons identifié 32 pays sur les 114 pays qui disposent de données nous permettant d'évaluer le PIB, les émissions territoriales et les émissions de consommation.

Nos résultats montrent qu'il est possible pour les pays de réduire leurs émissions tout en se développant, mais aussi qu'ils ne réduisent pas leurs émissions assez rapidement pour respecter les engagements de l'Accord de Paris. Le découplage absolu signifie simplement que les émissions ont atteint un pic, alors que la limitation du réchauffement à un niveau bien inférieur à 2 °C exige que les émissions atteignent un niveau net nul. Parmi les pays que nous avons évalués, seuls le Danemark et le Royaume-Uni sont en passe d'atteindre les objectifs de 2050 avec les taux actuels de réduction des émissions.

Vos conclusions doivent-elles rejeter l'argument selon lequel la lutte contre le réchauffement climatique ne peut être gagnée que par une croissance réduite ? Cela signifie-t-il que les pays riches sont les meilleurs dans la lutte contre le changement climatique ?

Zeke Hausfather : La position dominante de la communauté qui mène des modélisation dans le domaine de l'énergie est depuis longtemps que nous pouvons atteindre des émissions nettes nulles tout en construisant un monde plus prospère. Tous les scénarios d'émissions évalués par le GIEC, qui limitent le réchauffement à un niveau bien inférieur à 2°C, prévoient une croissance spectaculaire de l'économie mondiale d'ici la fin du siècle, et une grande partie de la population mondiale vivant dans des pays pauvres ou à revenu intermédiaire atteindra le niveau de vie que nous considérons comme acquis dans les pays riches.

À Lire Aussi

Loi climat : ce que font -ou pas- les pays les plus investis dans la lutte contre le dérèglement climatique

Les pays riches ont mieux réussi à réduire leurs émissions ces dernières années, bien que cela soit en grande partie rendu possible par des taux de croissance économique plus faibles dans les pays riches et une dématérialisation plus large de l'activité économique. Toutefois, à mesure que nous parvenons à rendre les énergies propres moins chères, cette situation commence à changer. Les émissions chinoises devraient atteindre un pic aux alentours de 2025, par exemple, et les émissions par habitant en Chine ont peut-être déjà atteint ce pic.

Pierre Bentata, vous êtes économiste, que vous inspire cette étude ?

Pierre Bentata : Cela vient confirmer quelque chose qui fait pourtant toujours l'objet d'un débat parmi les économistes : c'est la courbe de Kuznets. En dessinant cette courbe croissante puis décroissante, Simon Kuznets prédisait qu'à partir d'un certain niveau de développement s'opérait un découplage entre les niveaux de pollution et le niveau de richesse des populations. Il expliquait cela par un changement d'attitude de consommation, par des développement technologiques et par un changement social dans les entreprises et chez les consommateurs. L'idée est que l'environnement est considéré comme un bien de luxe dont la consommation s'apprécie uniquement avec le niveau de richesse. Il conjecturait que l'objectif premier d'un pays pauvre est avant tout de nourrir sa population. Il utilise donc pour y parvenir les méthodes de consommation les moins coûteuses mais potentiellement les plus sales. Arrivés à un certain niveau de richesse, les consommateurs intègrent la protection de l'environnement dans leur mode de consommation et sont prêts à y mettre le prix. Cela incite les entreprises à moins polluer. C'est particulièrement vrai aux Etats-Unis avec les émissions polluantes de l'industrie automobile qui suit bien la courbe de Kuznets. 

À Lire Aussi

Les enfants ne doivent plus rêver d'être pilotes ou hôtesses de l'air...

Par ailleurs, on voit bien que même sans intervention gouvernementale, il y a une forte corrélation entre protection de l'environnement et développement technologique, croissance et hausse du niveau de revenu des individus. D'ailleurs, les 32 pays cités qui ont déjà opéré ce découplage sont pratiquement tous des pays riches. Tout cela n'est évidemment pas qu'un effet de consommation, il y a aussi des réglementations environnementales dans ces pays. Mais il n'empêche que ces réglementations environnementales ne sont réellement efficaces qu'à partir d'un certain niveau de richesse. Sinon elles ne viennent que pénaliser les classes les plus pauvres. 

On peut par contre légitimement se demander si cela est vrai pour tous les types de pollution. Par exemple, il faut reconnaître que la protection de la biodiversité ne suit pas cette courbe ni la pollution au dioxyde de soufre. N'a-t-on pas un niveau de richesse/technologique suffisant ou est-ce que d'autres facteurs affaiblissent cette corrélation positive puis négative entre richesse et protection de l'environnement ? C'est difficile de savoir.

Et qu'en est-il de la France ?

Pierre Bentata : Cela confirme ce qu'on retrouve chez d'autres indicateurs, notamment du côté de l'indice de performance environnementale qui déjà classe tous les ans la France parmi les bons élèves. On voit d'ailleurs que le découplage de la France est beaucoup plus fort que celui de l'Allemagne. Chez nous, le critère déterminant c'est le nucléaire. Si la France est un pays aussi propre, c'est aussi parce qu'elle a eu une stratégie cohérente avec une priorité au nucléaire. 

Mais certains de ces 32 pays n'ont-ils pas délocalisé une partie de leurs émissions ?

À Lire Aussi

Voiture électrique : attention fiasco industriel français en vue

Pierre Bentata : C'est un reproche qu'on entend souvent. Lorsqu'on réintégre les pollutions qui viennent des importations on a des résultats très contradictoires qui ne donnent pas un consensus parmi les chercheurs. Naturellement si on intégrait ces données les pays riches pollueraient davantage. Mais même en les intégrant on se retrouverait avec des niveaux d'efficacité qui sont plus importants pour les pays riches. 

Zeke Hausfather : Dans l'étude, nous incluons explicitement la délocalisation des émissions, en définissant le découplage absolu comme exigeant que les émissions territoriales et les émissions de consommation (qui incluent la délocalisation) aient diminué depuis 2005.

Au prisme de cette étude, que nous doit inspirer les différentes lois française et européennes qui entendent nous mener vers une France plus "propre" ?

Pierre Bentata : Parmi les 5 scénarii présentés dans l'étude, le plus catastrophique (qui ne parvient pas à remplir les objectifs de réduction de CO2 à horizon 100 ans) est celui du repli sur soi et d'un ralentissement des échanges. Si vous avez des consommateurs dans les pays riches qui sont désireux de payer plus chers pour avoir des produits plus propres et que vous faites jeu la concurrence internationale, vous incitez les pays plus pauvres à eux-mêmes investir dans les technologies les plus propres pour toucher le marché des consommateurs qui ont les moyens. Si vous fermez aux pays plus pauvres l'accès au marché des pays plus riches, face à des consommateurs qui n'ont pas les moyens de payer plus cher, les pays pauvres n'auront aucun intérêt à produire plus de façon plus propre. 

La stratégie européenne du green deal pour essayer d'inciter les pays européens à être plus propres ne fonctionne pas. On voit bien que ça ne sert à rien de faire une transition à marche forcée vers des technologies propres dans des pays qui le sont déjà. Le gain incrémental (marginal) est quasiment nul. La seule chose que ça va donner c'est une baisse de la croissance. Dans une phase de récession, on risque simplement d'appauvrir une population qui n'aura plus les moyens d'acheter les biens qu'elle désire.

À Lire Aussi

"Climat, comment éviter un désastre ?" de Bill Gates : les solutions actuelles, les innovations nécessaires

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !