Comment reconstruire Gaza sans réarmer le Hamas ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une image des frappes aériennes menées sur Gaza en mai 2021.
Une image des frappes aériennes menées sur Gaza en mai 2021.
©Bashar TALEB / AFP

Dilemme

Depuis les derniers conflits de mai entre les forces israéliennes et le Hamas, la bande de Gaza a subi de nombreux dégâts graves qui concernent tant les infrastructures collectives que les biens privés. La reconstruction s'annonce toutefois difficile dans la mesure où l'aide internationale doit réussir à aider la population sans financer le réarmement du Hamas.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Quelle est la politique actuelle de l'aide internationale et des puissances mondiales pour aider les populations victimes du conflit israélo-palestinien ?

Roland Lombardi : Les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza – soit près de 4,5 millions de personnes – font partie des plus importants bénéficiaires des aides internationales par habitant dans le monde.

En 2016, ce sont 1,146 milliards de dollars d’assistance humanitaire qui ont été affectés aux Territoires palestiniens, soit le 4e bénéficiaire dans le monde.

Dans les détails, l’Union européenne (UE) a alloué directement 20 millions d’euros de fonds humanitaires à la Palestine en 2017 dont 4,9 millions aux familles de Jérusalem-Est et de la zone C en Cisjordanie et 13,5 millions à Gaza, ainsi que 1,6 millions d’euros pour soutenir l’éducation et la protection des enfants et financer la coordination humanitaire.

L’UE est par ailleurs le second plus gros contributeur au budget de l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) avec 137 millions de dollars versés en 2015. Soit un total depuis 2000, de plus 700 millions d’euros d’aides humanitaires.

Pour la France, c’est par exemple une aide de 40 millions d’euros en 2015 (soit plus de 500 millions d’euros sur la période 2008-2017) consacré à la Palestine, premier bénéficiaire des aides humanitaires de Paris.

Les États-Unis allouent, eux, en moyenne 400 millions de dollars d’aides par an à l’Autorité palestinienne (AP) depuis 2008. Washington étant également le premier contributeur au budget de l’UNRWA jusqu’en 2017.

Quant aux ONG internationales et notamment l’UNRWA, cela représente par exemple en 2017, un peu plus d’un milliard de dollars.

En 2017, l’OCHA (le Bureau de la coordination des affaires humanitaires) a fourni une aide s’élevant à 159,7 millions de dollars. A la mi-2018, elle a versé 104,6 millions de dollars (sur un besoin de 539,7 millions au total sur l’année 2018).

Cette politique est-elle détournée par le Hamas pour se consolider ? Le Hamas s'est-il renforcé depuis 2014 ? Pourquoi ?

Ceux qui se sont déjà rendus dans la zone C de Cisjordanie ou à Gaza – car beaucoup donnent leur avis sans avoir mis un jour un pied dans ces territoires ! – savent pertinemment que la majorité de ces aides sont massivement détournées par l’Autorité palestinienne et bien évidemment le Hamas.

Je rappelle que selon les sources, la fortune personnelle de Yasser Arafat, placée à l’étranger, était estimée entre de 300 millions à 5 milliards de dollars. Si Mahmoud Abbas, l’actuel président de l’AP, est lui connu pour son intégrité, il n’en demeure pas moins que lorsqu’on se promène notamment à Ramallah par exemple, on ne peut qu’être frappé par le décalage entre l’extrême pauvreté de certains quartiers palestiniens et les luxueux appartements et villas des responsables politiques ou encore les grosses berlines allemandes dernier cri et flambant neuves des enfants des notables du Fatah…

Idem pour les responsables du Hamas, branche terroriste des Frères musulmans palestiniens et maître de Gaza depuis 2007, qui sont des virtuoses de cette pratique.

Lors des dernières tensions avec l’État hébreu, Tsahal a déclaré que durant ses frappes sur Gaza, elle avait détruit plus de 100 km de tunnels souterrains du Hamas, le fameux « métro », qui permet à l’organisation de lancer des attaques et des infiltrations sur le territoire israélien. Le coût de la construction de ce vaste réseau est estimé à plusieurs millions de dollars. Quant aux roquettes et missiles des terroristes du Hamas et du jihad islamique, ils coûtent entre 1 000 dollars pour les plus basiques à plus de 10 000 voire 20 000 dollars pour les plus sophistiqués. Même si l’armée israélienne a sa propre estimation des stocks de missiles de l’organisation – qu’elle ne communique pas – , on estime les réserves entre 5 000 et 10 000 projectiles. Lors du dernier round de 11 jours, ce serait plus de 4 300 roquettes qui auraient été tirées depuis Gaza. Je vous laisse faire le calcul…

Tout ceci est de notoriété publique mais les responsables occidentaux préfèrent détourner le regard depuis des décennies…

Sauf Trump ! En janvier 2018, l’administration de Donald Trump a divisé par 2 l’aide financière des États-Unis prévue pour l’UNRWA (la plus importante). Comme je l’expliquais dans vos colonnes dernièrement, lorsque le Hamas et l’AP rejettent le « plan Trump », vaste plan de paix israélo-palestinien présenté en janvier 2020, le locataire de la Maison-Blanche annonce qu’il supprime la totalité des fonds américains dévolus à l’UNRWA et va aussi limiter drastiquement les aides des autres donateurs étrangers par des mesures de pressions ou de sanctions.

Pour répondre à votre seconde question, non le Hamas ne s’est pas considérablement renforcé depuis 2014. Il était même en grande difficulté jusqu’à janvier dernier. Au-delà de la pression israélienne, le Hamas à Gaza (mouvement interdit et considéré comme terroriste par Le Caire depuis 2013) a été régulièrement frappé par l’Égypte, comme en 2016, qui participe, par ailleurs, au blocus maritime de l’enclave en coordination avec l’État hébreu et qui a fermé régulièrement le point de contrôle de Rafah ou noyé les tunnels de contrebande de l’organisation palestinienne.

Or depuis ces coups de semonce, le Hamas, qui avait perdu le soutien de l’Iran entre 2012 et 2017 suite à son soutien aux rebelles syriens, s’était résolu à se rapprocher du Caire pour l’aider à combattre l’État islamique présent au Sinaï (et menaçant son leadership à Gaza même) et avec lequel il était soupçonné de collusion par les Égyptiens. Et en 2017, le mouvement palestinien annonçait qu'il prenait ses distances avec la confrérie des Frères musulmans, considérée elle aussi comme « terroriste » par l'Égypte.

Néanmoins, la situation était toujours très compliquée pour le Hamas, de plus en plus isolé diplomatiquement et surtout, depuis 2018 et 2020 avec les coupes puis l’arrêt des aides américaines aux Palestiniens. On en parle peu mais ces dernières années, la colère des Gazaouis envers l’organisation islamistes était prégnante et il y a eu de nombreuses manifestations à Gaza réprimées par le Hamas…

La situation socio-économique était chroniquement problématique et du cash devait alors être envoyé directement par le Qatar (avec l’autorisation d’Israël !) pour payer les fonctionnaires ou acheter les denrées de premières nécessités.

Ainsi, en avril, Biden a relancé l’aide humanitaire américaine à l’UNRWA et a autorisé de nouveau les aides internationales, suspendues par son prédécesseur, en direction de l’Autorité Palestinienne mais aussi de Gaza. Si ce geste a permis à Mahmoud Abbas de déclarer être prêt à revenir dans les négociations de paix, le Hamas lui, assuré d’un retour financier conséquent dans l’enclave palestinienne (pour renouveler ses stocks de roquettes), en a profité pour s’engager dans un nouvel épisode de violence avec l’État hébreu afin d’imposer son leadership politique à la population palestinienne au prisme des incidents de Jérusalem et du report des élections (où le Hamas était donné favori) par le président de l’AP.

Quelles solutions peut-on mettre en place pour limiter les forces militaires du Hamas sans pour autant précariser les populations civiles ?

La nouvelle administration américaine, où de nombreux pro-palestiniens sont présents, s’est très vite retrouvée dépassée et incapable d’imposer quoi que ce soit, ni au Hamas et ni à Israël, vexé par les premières déclarations timides de l’allié américain et déterminé à user de la force. Pour mettre fin au conflit de 11 jours, il a donc fallu, se tourner vers le président égyptien, « le dictateur préféré de Trump » pourtant si critiqué par Biden depuis janvier…

Sissi a sûrement monnayé sa médiation dans le dernier conflit de Gaza en échange de son retour en grâce à Washington.

Ainsi, le raïs égyptien a pu imposer l’arrêt des tirs de roquettes du Hamas avec un message assez clair : « Si vous n’arrêtez pas immédiatement, nous laisserons les Israéliens intensifier les éliminations ciblées de vos chefs et surtout, n’oubliez pas que les inévitables aides humanitaires qui suivront la fin du conflit passeront pour la plupart, par nos banques… »

Ce dernier point étant sûrement une partie du « deal » entre Le Caire et Washington.

Car depuis les USA ont promis de fournir une aide de plus de 360 millions de dollars (293 millions d'euros) aux Palestiniens, dont 38 millions d'aide humanitaire (31 millions d'euros), et la reconstruction à Gaza.

Or les Américains comme les autres donateurs étrangers insistent sur le fait que l'Autorité palestinienne internationalement acceptée (alors que le Hamas est considéré par les États-Unis, l'UE, Israël et d'autres comme un groupe terroriste) doit continuer à être leur partenaire dans la reconstruction de Gaza. L'ONU est à présent sous pression pour réformer le mécanisme élaboré et mis en place – mais qui a depuis démontré ses failles – pour superviser l'entrée de matériaux de construction à Gaza après le conflit de 2014. Certains demandent également que les fonds qataris soient acheminés via l’AP - ce à quoi le Hamas s'oppose avec véhémence. Et c’est ici que l’Égypte tire son épingle du jeu et va s’imposer. Outre consolider son influence politique à Gaza (en attendant peut-être un jour d’y installer Mohammed Dahlan, l’ancien responsable de la Sécurité de l’Autorité Palestinienne, l’homme d’Abou Dhabi depuis 2013), les 500 millions proposés pour la reconstruction par Le Caire vont lui permettre d’avoir un droit de regard et de contrôle plus grand sur l’enclave gazaouie et les aides internationales par le biais de ses institutions bancaires.

C’est également un investissement pour Sissi car cela sera aussi très bénéfique pour l'économie égyptienne, surtout pour les entreprises appartenant à son armée, fortement représentées dans le secteur du BTP, un des principaux moteurs de la croissance égyptienne.

C’est pourquoi, même si l’organisation terroriste palestinienne sort aujourd’hui « victorieuse » sur le plan politique après la flambée de violence de mai dernier, elle devrait se faire du souci. Car les Égyptiens seront plus aptes pour surveiller que le Hamas ne se serve au passage. Même si je ne m’inquiète pas une minute pour lui, vu son talent légendaire dans les détournements de fonds…

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