Comment les réseaux sociaux vous trahissent et comment banques, justice et administrations s'en servent de plus en plus<!-- --> | Atlantico.fr
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Des photos publiées sur les réseaux sociaux Instagram ou Twitter ont trahi Johnny Haliday.
Des photos publiées sur les réseaux sociaux Instagram ou Twitter ont trahi Johnny Haliday.
©Reuters

Your bank is watching you

Suspecter un citoyen d'évasion fiscale par les photos postées sur son compte Instagram soulève de sérieuses questions quant à la légitimité des banques, tribunaux et administrations à utiliser les réseaux sociaux pour se renseigner sur nous.

Erwan le Nagard

Erwan le Nagard

Erwan le Nagard est spécialiste des réseaux sociaux. Il est l'auteur du livre "Twitter" publié aux éditions Pearson et, Social Media Marketer. Il intervient au CELSA pour initier les étudiants aux médias numériques et à leur utilisation.

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Atlantico : Johnny Hallyday a été accusé d'évasion fiscale après que des journalistes ont suivi ses déplacements sur près de deux ans via des photos géolocalisées et datées qu'il avait  publiées sur les réseaux sociaux Instagram ou Twitter. En quoi ces réseaux sociaux l'ont trahi ?

Erwan Le Nagard : Les réseaux sociaux ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables des publications faites par Johnny Hallyday. Il s’est trahi lui-même en publiant des informations à propos de sa vie privée. Il faut partir du principe qu’en ligne, tous vos contenus et toutes vos interactions sont publics et, qu’il est relativement simple de les collecter pour les analyser. Par ailleurs, le contenu d’un tweet, la photo ou la vidéo publiée n’est pas forcément ce qui apporte le plus d’informations à propos de votre activité. Il faudrait des outils avec d’une très grande intelligence ou des moyens humains conséquents pour décoder le sens des messages publiés par un utilisateur sur ces réseaux. En revanche, les « métadonnées » associées au contenu du message sont plus simples à traiter et apportent des informations plus intéressantes : qui est l’auteur du message, quelle est sa date de création, à partir de quelle source, est-ce une réponse à un autre utilisateur, etc. On comprend bien que Johnny Hallyday n’a jamais dit explicitement qu’il ne résidait pas en Suisse, mais l’analyse des métadonnées de ses messages a permis aux journalistes de savoir où il se trouvait, à quel moment.

Quelle est la légitimité des réseaux sociaux pour prouver des actes illégaux ? La justice peut-elle se servir des comptes sociaux pour réaliser une enquête ? Et pour une éventuelle condamnation ?

Il n’y a pas de différence théorique entre la responsabilité qui incombe aux utilisateurs lorsqu’ils publient sur un réseau social (comme Twitter ou Facebook), et celle des éditeurs de presse. L’utilisateur est considéré comme responsable de ses publications et peut donc être sanctionné, dans certains cas, pénalement par des peines d’emprisonnement ou d’amende. Les limites prévues par la loi à la liberté d’expression sont classiques : diffamation, injure à caractère discriminatoire, provocation à un crime ou délit, négation de crime contre l’humanité, violation des droits de propriété intellectuelle, violation du secret de l’instruction, etc. En revanche, dans la pratique, on observe de nombreuses complications liées à l’identification d’utilisateurs cachés derrière l’anonymat, présents en-dehors du territoire français ou l’implication de très nombreuses personnes dans les faits illicites. On ne peut donc pas tenir n’importe quel propos en ligne, ni en toute immunité, ni en toute impunité. Par exemple, en juillet 2013, Twitter a livré à la justice française les données d’identifications d’auteurs de tweets racistes.

Les défenseurs des consommateurs s'inquiètent du fait que certains emprunteurs pourraient se voir refuser un crédit ou devoir payer des taux d'intérêt plus élevés car la banque serait allée voir leurs profils. En quoi les banques, la justice et les administrations se servent de plus en plus des réseaux sociaux ? A quelle échelle ?

Les réseaux sociaux ne représentent finalement que d’immenses bases de données mises à jour constamment par leurs utilisateurs. Ce sont des médias « heuristiques », c’est-à-dire qu’ils peuvent nous permettre de « voir plus loin », un peu comme la radiologie nous permet de révéler la forme de nos os. A partir du moment où l’on dispose de la capacité de collecte et de traitement d’un grand nombre d’informations, on peut apprendre beaucoup de choses à l’aide de ces réseaux. Les pratiques d’analyse de données issues des réseaux sociaux peuvent être très utiles pour les entreprises, la justice ou les administrations. Par exemple, pour détecter les premiers signes d’une épidémie de grippe, pour améliorer le trafic routier, pour identifier des sujets d’intérêts, pour comprendre l’efficacité d’une publicité à la télévision ou l’attractivité d’un programme, etc. Ces données peuvent aussi permettre d’identifier des profils bien spécifiques, comme des fraudeurs fréquents ou des personnes présentant des tendances suicidaires. Il peut y avoir des dérives dans l’usage de ces données, et il faut bien évidemment encadrer ces pratiques à l’aide de pare-feu techniques et juridiques (l’utilisateur doit contrôler l’accès à ses données, doit être tenu informé des traitements, etc.) et établir un cadre de bonnes pratiques, sans tomber dans la paranoïa. 

Cet usage tend-il à se développer ? Nos comptes sociaux sont-ils devenus nos propres traîtres ?

On peut dire que cet usage tend à se développer dans différents champs de l’entreprise : la communication, le marketing, la recherche et l’intelligence de marché, la relation client, etc.  Cela résulte de la rencontre de nouvelles technologies et de pratiques devenues communes chez le consommateur. D’un côté, les nouvelles technologies permettent désormais la collecte, le stockage et l’analyse de données très variées, en grand volumes et en temps-réel, c’est ce que l’on appelle le" Big data" ou le "Fast data". Et, de l’autre, les individus dévoilent leurs identités plurielles sur des espaces digitaux qui ne se limitent pas seulement aux réseaux sociaux en partageant, par exemple, des éléments de leur identité civile (nom, prénom, lieu de vie…), de leur profession (CV, réalisations…), de leurs passions (« like », photos, vidéos, playlists…) ou même des éléments introspectifs (posts de blogs, récit de voyage, journal intime…). L’analyse de ces informations peut être créateur d’une très grande valeur, d’autant plus si elle permettent l’amélioration de l’expérience du consommateur. L’accès aux données personnelles du consommateur se présente souvent sous la forme d’un échange gagnant-gagnant. Le consommateur offre une partie de ses données personnelles à l’entreprise pour que celle-ci lui fournisse un service en échange : une gratuité d’accès, une meilleure recommandation de produits, une meilleure analyse de ses besoins, la détection automatique des problèmes qu’il peut rencontrer… Par exemple, American Express a intégré cette mécanique de « paiement social » en proposant aux détenteurs d’une carte AMEX de synchroniser leurs comptes sociaux avec leur carte. Lorsque le client effectue un achat dans une boutique affilié, un tweet ou un message est publié sur son compte de réseau social, et il obtient immédiatement une réduction sur le produit qu’il vient d’acheter. C’est donc un véritable bénéfice pour le consommateur. Nos comptes sociaux sont avant tout nos meilleurs amis !

Propos recueillis par Marianne Murat

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