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Le journaliste allemand Frederik Obermaier co-auteur de l'enquête des "Panama Papers", en avril 2016 à Munich, à son bureau du quotidien allemand "Sueddeutsche Zeitung".
Le journaliste allemand Frederik Obermaier co-auteur de l'enquête des "Panama Papers", en avril 2016 à Munich, à son bureau du quotidien allemand "Sueddeutsche Zeitung".
©CHRISTOF STACHE / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Saint-Amans publie « Paradis fiscaux Comment on a changé le cours de l'histoire » aux éditions du Seuil. Avec la libéralisation économique des années 1980, les paradis fiscaux se sont placés au cœur du réacteur de la globalisation. Secret bancaire, trusts et évasion fiscale des multinationales ont coûté des centaines de milliards aux Etats et ont contribué à l’envolée des inégalités. Avec la crise financière de 2008, les gouvernements ont été contraints de réagir. Extrait 2/2.

Pascal Saint-Amans

Pascal Saint-Amans

Pascal Saint-Amans a été l’architecte de la réforme de la fiscalité internationale au cours des 15 dernières années en tant que Directeur fiscal de l’OCDE. Ancien élève de l’ENA, il est aujourd’hui Professeur de politique fiscale à l’université de Lausanne.

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Après les offshore leaks et les LuxLeaks, le Consortium international des journalistes d'investigation a mis la main sur une mine de documents secrets du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Si la base de données sur les rescrits au Luxembourg était impressionnante, on change cette fois-ci d'échelle avec plus de 11 millions de documents concernant près de 250 000 sociétés offshore, incorporées par ce cabinet dans de nombreuses juridictions, à commencer par les Îles Vierges britanniques.

Ayant aidé à plusieurs reprises les journalistes à décrypter les schémas de fraude et d'évasion, je suis dans la confidence depuis plusieurs mois : une fuite majeure va intervenir. Les journalistes savent aussi à quel point mes relations avec Panama sont dégradées. Dès 2009 et la liste préparée pour le sommet du G20, Panama a exprimé sa colère contre l'OCDE, n'hésitant pas à confondre l'organisation avec son représentant. À plusieurs reprises, lorsque j'ai proposé de me rendre sur place, les fonctionnaires panaméens m'ont dit, mi-figue mi-raisin, que je ne serais pas le bienvenu. Plus explicites, un ou deux avocats panaméens, se présentant comme libertariens, m'ont conseillé via Twitter de ne pas m'amuser à me rendre sur place... Les Panaméens ont pour eux un caractère bien trempé, un patriotisme fort et un canal assez pratique pour résister aux pressions internationales. C'est d'autant plus le cas que, au début des années 2010, Panama double le canal reliant l'Atlantique au Pacifique, ce qui donne lieu à des marchés publics colossaux, de grand intérêt pour les entreprises de nombreux pays, prêts à se montrer plus accommodants envers le petit pays d'Amérique centrale.

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En 2009, en réaction aux progrès que nous faisons, Panama établit défensivement une commission de haut niveau pour la défense des services financiers et internationaux. C'est une cause nationale qui unit le gouvernement et le secteur privé, décidés à résister à toute pression. Certes, le pays décide de sortir de la liste en négociant les 12 accords d'échange de renseignements, ce qui sera fait en 2011. Mais aucun changement n'est apporté pour améliorer la transparence sur place et le Forum mondial, dont on a vu qu'il ne se tenait pas au critère un peu absurde de 12 accords d'échange de renseignements, juge le cadre légal et réglementaire totalement insuffisant. Panama fait partie des rares pays dont les partenaires considèrent qu'il n'est même pas besoin de vérifier comment il pratique l'échange de renseignements tant la législation est défaillante.

FATCA est un coup dur pour la place panaméenne qui doit se plier aux exigences américaines et conclure un accord avec Washington en 2014. Face à la mise en place de l'échange automatique de renseignements au niveau global, la Commission de défense des services financiers et internationaux est réactivée. Donner des informations aux États-Unis est inévitable. Au reste du monde, c'est hors de question. Panama se défend tous azimuts. Le président Varela demande que la question de l'échange de renseignements soit transférée de l'OCDE... à l'ONU, ce qui en fait ironiquement un allié des naïfs de la justice fiscale qui se battent aussi contre l'OCDE. Varela est conseillé par Ramon Fonseca, l'associé du sulfureux Jürgen Mossack, allemand d'origine, dans une confusion totale entre intérêts privés et intérêt général.

Après avoir eu pour interlocuteur Frank de Lima, ministre des Finances en 2010, qui passera ensuite par la case prison pour corruption, mes nouveaux officiers traitants sont Gian Castillero, un conseiller du Président, avocat fiscaliste et président de l'association des avocats internationaux, et le vice-ministre des Affaires étrangères, Luis Hincapié. Les deux hommes sont énergiques et sympathiques, même s'ils ont parfois du mal à dissimuler à quel point je les insupporte. Au cours d'une conversation, Luis me dit avoir consulté ses associés avant d'arrêter la position du pays. Je demande de quels ministres il parle. Il me regarde, étonné, et me dit qu'il parle de ses associés chez Morgan et Morgan, l'autre grande société d'avocats panaméenne. Leur ligne de défense (d'attaque serait plus juste) est simple. Panama n'adoptera jamais l'échange automatique de renseignements tant que les États-Unis n'appliqueront pas eux-mêmes le standard. Malgré quelques changements législatifs a minima, et une « diplomatie du canal » très active, Panama reste un pays « non conforme », obtenant du Forum mondial la pire note possible. Le pays reste profondément opaque sur les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore, qui ne doivent tenir aucune comptabilité. En pratique, Panama n'échange quasiment aucune information.

Fin 2015, Panama semble s'accommoder d'être cloué au pilori et continue fièrement de refuser de s'engager à l'échange automatique de renseignements ou à signer la convention multilatérale d'assistance mutuelle qui l'obligerait à échanger des renseignements avec la centaine d'autres signataires, y compris le voisin colombien. Au moment où l'échange automatique de renseignements est en devenir, il y a un vrai risque que certains pays se désolidarisent de l'effort global et rejoignent Panama dans son cavalier seul. C'est le cas des Bahamas, dont le ministre des Finances, Ryan Pinder, est également un avocat spécialisé dans le monde de l'offshore. Après une courte visite à Paris, il se rend en Andorre, à Monaco et au Liechtenstein (il a choisi ses pays). Les ministres des Finances m'appellent pour dénoncer leur visiteur qui leur conseille de prendre tous les engagements du monde mais de n'en appliquer aucun au sein d'une nouvelle coalition informelle de paradis fiscaux. Le risque est néanmoins réel et il faut agir. Je compte bien sur la sortie imminente des Panama Papers pour faire plier le pays et lancer un nouveau projet pour améliorer l'accès par les administrations à l'information sur les véritables bénéficiaires des structures offshore.

Mon plan est donc prêt : aussitôt les Panama Papers sortis, je proposerai au G20 l'établissement d'une nouvelle liste permettant d'identifier Panama comme un mauvais joueur. Je compte aussi demander un mandat du G20 pour mettre en place un système intégré mondial des bénéficiaires effectifs des structures juridiques offshore. Avec l'équipe, nous avons commencé à travailler à un système connecté au mécanisme d'échange d'information. Une nouvelle frontière pourrait s'ouvrir, grâce (mais bien involontairement) à Panama.

À quelques jours de la réunion des ministres des Finances du G20, qui se tient, comme à chaque printemps, à Washington, les Panama Papers font la une des journaux et d'émissions de télévision dans de nombreux pays. C'est un tsunami médiatique et politique qui submerge le pays au canal et aux avocats. Face à la pression, Panama va enfin souscrire officiellement à l'échange automatique de renseignements, mais le pays continue de résister sur tous les autres fronts. Au fond, la place financière panaméenne est à la croisée des chemins : céder complètement à la pression internationale et s'aligner sur les nouvelles règles de transparence, au risque de perdre une partie de sa clientèle sulfureuse, ou résister et devenir le réceptacle fier et assumé de tout l'argent sale du monde. Pour bouger dans le bon sens, ils ont « besoin de carottes et pas seulement de bâton », me disent Gian Castillero et Luis Hincapié au cours d'un des appels téléphoniques hebdomadaires que nous avons mis en place. « Des carottes » laisse échapper Monica Bhatia, la chef du secrétariat du Forum mondial, qui participe aux conversations, « Ils se prennent pour des lapins ? ».

Au cours de la première semaine d'août, Panama semble avoir enfin tranché. Le Président annonce de façon tonitruante qu'il va blacklister l'OCDE... mais ses hommes négocient une reddition partielle, à savoir la signature de la convention multilatérale qui va donner accès à l'échange de renseignements à la demande à plus de 100 autres pays, y compris la Colombie honnie par son ancienne province devenue indépendante par la grâce du canal. Il faudra plusieurs années et de nombreuses autres péripéties pour que Panama se décide enfin à appliquer l'échange de renseignements automatique avec de très nombreux atermoiements qui en font toujours un pays retardataire. Il me faudra attendre 2019 pour être reçu officiellement dans le pays. Ayant annoncé sa décision de s'aligner sur les standards internationaux, c'est le Président lui-même, Laurentino Cortizo, qui me recevra à un petit déjeuner dans son bureau. Un déjeuner aurait été considéré comme trop accueillant me dira la ministre des Affaires étrangères.

Si les Panama Papers ont fait craquer Panama, le scandale va se révéler beaucoup plus difficile à gérer sur le front du G20. Parmi les bénéficiaires des sociétés offshore abritant fortune financière et immobilière se trouvent en effet des membres de la famille de Xi Jinping qui vient de prendre la présidence du G20. Dès le lendemain de la sortie de l'affaire, je reçois un coup de fil cryptique de mon interlocuteur du ministère des Finances chinois m'indiquant que ce dont parle toute la presse occidentale n'existe pas en Chine. Conséquence logique, il ne sera pas possible de l'évoquer dans un document officiel, et encore moins dans les communiqués du G20. Conscient de la nécessité des autres pays de répondre à la pression médiatique, mon interlocuteur me confirme que la Chine soutiendra néanmoins notre proposition de relancer une liste pour faire craquer Panama.

Quelques jours plus tard, à Washington, lors de la rédaction du communiqué, outre le mandat pour établir une liste, je propose d'insérer un mandat pour renforcer les règles en matière de bénéficiaires effectifs. J'ai sécurisé le soutien des grands États européens, avec qui j'ai partagé un papier sur la possibilité de construire des systèmes interconnectés qui permettraient aux administrations fiscales d'avoir un accès direct à cette information, par-delà les frontières. Comme toujours, excès de confiance rime avec difficultés... États-Unis et Chine s'opposent frontalement. Aux États-Unis, il s'agit d'une compétence des États que le niveau fédéral est incapable d'engager. Quant à la Chine, le contexte sulfureux des Panama Papers est un repoussoir pour les autorités. À la réunion de rédaction, le chef de séance chinois me coupe avec brutalité lorsque j'essaie de formuler la proposition. À la seconde tentative d'explication, il rejette violemment la proposition, m'accusant d'être incompréhensible. C'est mon premier revers au G20, face à une alliance contre-nature des deux plus grandes puissances mondiales.

La liste verra le jour en 2017 après une année de travail à trouver les « bons » critères, c'est-à-dire ceux permettant d'attraper Panama mais pas la Turquie ou les États-Unis qui, en tant que pays du G20, pourraient bloquer son adoption. La Commission européenne veut aussi être de la partie. Les listes intéressent les médias, même si elles se retournent souvent contre leurs auteurs, comme j'en ai fait l'expérience en 2009. Pierre Moscovici s'aventure sur ce terrain en sous-estimant les réactions négatives des pays non-européens, qui crient à l'impérialisme, comme ils l'avaient fait au début des années 2000 contre l'OCDE. En porte-à-faux, je dois défendre les pays membres du Forum mondial sans être trop négatif envers la Commission. Pierre Moscovici sera quand même fâché de mes commentaires publics. Fin 2017, il rend visite à Angel Gurria pour se plaindre. Je suis absent car en visite à Sofia, pour aider la- Bulgarie à préparer sa présidence de l'Union. Agacé, il lâche que je me prends trop pour une « rock star », une « sorte de Johnny Hallyday de la fiscalité » (sic), sans vouloir laisser d'espace aux autres. Avec à-propos et une pointe d'ironie, Angel Gurria lui répond qu'à la différence avec Johnny, mort quelques jours plus tôt, « Pascal est bien vivant ».

En trois ans, entre 2013 et 2016, le paysage fiscal international a changé radicalement sous l'impulsion du G20 et sous la pression des scandales révélés par la presse d'investigation. Symptôme d'un système dysfonctionnel et de moins en moins tolérable, les lanceurs d'alerte, aux motivations toujours complexes, se sont multipliés et ce qui était connu des initiés seulement est accueilli avec un sentiment de révolte par le grand public. C'est d'ailleurs un des effets pervers des leaks que de donner le sentiment que rien ne change quand, en réalité, et pour une fois, l'action déterminée des politiques produit des changements en profondeur. La fraude fiscale recule avec l'échange automatique de renseignements et l'évasion des multinationales va devenir beaucoup plus compliquée et coûteuse en raison de l'application du paquet BEPS.

Pour autant, les insuffisances de BEPS commencent à émerger dès les premiers jours de l'application. Les règles de prix de transfert demeurent un point noir et les changements que nous avons introduits aboutissent à des restructurations qui vont rapatrier plus d'activités en Irlande et ailleurs, pour réaligner la localisation des activités avec celle des profits, quand le but était inverse. Aux États-Unis, la vague des « inversions », c'est-à-dire la délocalisation de sièges sociaux des États-Unis vers l'Irlande, se poursuit à un rythme élevé qui émeut jusqu'aux républicains. Enfin, les Européens restent extrêmement frustrés par le refus de l'administration Obama de traiter la question de l'imposition des entreprises numériques. Au sommet de Hangzhou, plusieurs chefs d'État y font référence et l'affaire Apple montre que les tensions entre Européens et États-Unis ne s'apaisent pas. Pour autant, nous avons un Cadre inclusif : plus de 100 pays l'ont déjà rejoint et, c'est unique dans l'histoire, une négociation globale prend place.

L'idée de quitter l'OCDE m'effleure un instant en cette fin 2016. En novembre, je suis à San Francisco, avec mon collègue américain en charge des sciences, de l'innovation et des technologies à l'OCDE pour échanger à l'université de Berkeley avec les entreprises du numérique. Un dîner avec un ancien de l'administration Obama tombe à l'eau à cause des embouteillages et nous finissons dans un bar où nous assistons incrédules et terrifiés à la victoire du candidat républicain, Donald Trump. Un Français aux sympathies de gauche en charge de la fiscalité à l'OCDE ne sera sans doute pas du goût de la nouvelle administration américaine.

Extrait du livre de Pascal Saint-Amans, « Paradis fiscaux Comment on a changé le cours de l'histoire », publié aux éditions du Seuil

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