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Comment les géants du porno en ligne profitent du "revenge porn" malgré leurs dénégations
©Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Profit

Depuis plusieurs années, le phénomène du "revenge porn" -c'est-à-dire le fait de poster sur internet des photos ou vidéos intimes de son ex-conjointe(e)- est en pleine expansion. D'après une étude publiée par l'association américaine "Cyber civil rights initiative" en 2017, 1 américain sur 8 aurait été victime de "revenge porn".

Laureen Ortiz

Laureen Ortiz

Laureen Ortiz est journaliste. Elle a publié “Porn Valley”, publié en 2018 aux éditions Premier Parallèle, une enquête sur l’industrie du porno en Californie.

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Atlantico : Si les vidéos de revenge porn sont omniprésentes sur les sites pornographiques, les conditions de plateformes telles que Pornhub interdisent pourtant leur publication. Le vice-président de l'entreprise, Corey Price, a d'ailleurs déclaré à plusieurs reprises que Pornhub condamnait sévèrement ce genre de pratique et que l'entreprise était tout à fait opposée à la diffusion de ces contenus. Pourtant, une fois ces contenus signalés leur suppression est loin d'être automatique. Pourquoi ? Quel intérêt peut-avoir Pornhub à diffuser ces contenus et donc à déroger à sa propre politique? 

Laureen Ortiz : Il faut analyser les choses sous un angle économique : la seule « politique » d’une entreprise est la recherche du profit, faire de l’argent, voire blanchir de l’argent dans le cas de l’économie souterraine. Pour cela, il est recommandé de minimiser les coûts: or le revenge porn - la vengeance par la diffusion d’images sexuelles humiliantes - ne coûte rien puisqu’il vient de l’extérieur, ce sont des images hackées ou récupérées, donc c’est l’input parfait. De l’autre côté, il faut attirer le consommateur, le rendre accro si possible, donc créer du nouveau en permanence, et lui procurer la sensation qui colle à la logique du produit : le revenge porn coche aussi ces cases. Cela reste assez nouveau et ça correspond bien au désir d’abaissement voire d’asservissement sexuel qui nourrit chaque jour les plateformes porno.

C’est loin d’être la seule catégorie marketing problématique mais au total, économiquement ça fait fonctionner la machine : Pornhub se hisse 8eme mondial en termes de trafic internet, derrière Twitter et devant Wikipedia. Un vrai Gafa en somme. Croire que les Gafa ont un souci de politique sur les données privées, à part les vendre et s’en servir aux dépens des usagers, c’est très naïf. Mais c’est bien sûr ce qu’ils disent, ou ce qu’ils font dire à leurs hommes de paille (Corey Price n’est pas aux commandes, il faut se pencher sur les frères Antoon plutôt, ou le clan Manos-Youssef). Si politique il y a, c’est surtout une politique de communication, il est important que le citoyen, l’élu ou le journaliste ne confondent pas avec « information », c’est la base. D’autant plus quand le produit d’appel est le fast-sex brutal et agrémenté d’insultes avec des titres comme « Pute colombienne se prend un creampie anal »: je vous cite juste le dernier sur la page d’accueil. La gamine a l’air à peine majeure, aucune autorité n’ira vérifier.  

Au vue de l'attrait suscité pas ces vidéos, on pense premièrement à l'aspect monétaire. Le "revenge porn" est-il une source de revenu importante pour Pornhub et les sites similaires ? 

Difficile de mesurer cela, car les entités du porno, aussi hégémoniques soient-elles devenues, ne sont pas cotées, ne publient aucun chiffre et n’ont aucuns comptes à rendre contrairement aux Gafa « clean ». En cela, elles sont encore plus dangereuses, car agissent de manière souterraine et à l’abri de tout contrôle. Ce que je peux dire, c’est que le revenge porn les aide surtout à engendrer du trafic, le nerf de la guerre des sites internet. Ce trafic, ensuite, pourra soit créer soit justifier des flux monétaires dont a besoin la maison-mère de Pornhub, MindGeek, physiquement basée à Montréal, avec un siège fiscal au Luxembourg et quelques bureaux à Los Angeles, Chypre, en Roumanie, etc. Il y a quelques années, les autorités américaines avaient des soupçons d’opérations de blanchiment international, entre le Moyen-Orient et les Etats-Unis. J’ai aussi recueilli des témoigages dans cet univers opaque qui évoquent des personnes impliquées dans le trafic de drogue (il faut dire que Los Angeles est géographiquement intéressante à cet égard, avec des cartels bien implantés). Autre élément jetant le doute sur les « aspects monétaires », la façon du patron de Mindgeek de se faire appeler par un pseudo et de réquisitionner les portables de tout le monde, lorsqu’il se rend sur un site hors-Montréal, selon des actrices… On n’imagine pas encore Zuckerberg en mode incognito.

La diffusion du "revenge porn" est lourdement sanctionnée par la loi française (jusqu'à deux ans de prison et 60 000 euros d'amende) mais est loin de l'être partout dans le monde. Ainsi, en permettant la diffusion de ces contenus Pornhub encoure-t-il de quelconques risques judiciaires ? Quelle est la marge de manœuvre des différents pays dans lesquels la plateforme est implantée (pour interdire la diffusion de ces contenus) ?

Les autorités françaises paraissent bien impuissantes et sans moyens face à MindGeek, ou même son rival, le français de Xvidéos, basé à Prague. Je ne suis pas sure qu’elles connaissent grand chose sur ce sujet peu prestigieux, d’ailleurs. Mais c’est sur ce point qu’ils risquent effectivement de faire attention, ainsi que sur les lois sur la protection des enfants. Ils n’ont aucun intérêt à attirer les autorités vers eux; tant que tout le monde se persuade que leur porno, et leurs autres activités, sont inoffensives, ils sont tranquilles (le jour où cela changera éventuellement, ils seront millionnaires et feront comme les traders, exit en voiture de luxe dans des villas cossues des Caraïbes ou de Floride).

Le revenge porn est risqué pour eux car la société peut se soucier davantage des filles qui en font les frais, elles pourraient même être des filles d’élus ou de CSP+ (contrairement aux filles-chair à canon qui nourrissent les vidéos pro ou amateures sans véritables droits et protection). Donc si des victimes civiles commencent à porter plainte et en plus à obtenir justice, ça va les faire réagir, non pas parce que ce sont des enfants de choeur mais pour préserver leurs intérêts. Par ailleurs, il n’y a pas nécessairement besoin de lois spécifiques, ce type d’humiliations relève du cyberharcèlement en vue de salir la réputation d’une personne: en Californie un « entrepreneur du web » et hacker, à la tête d’un site de revenge porn, s’est fait coffrer pour vol d’identité aggravé et intrusion dans un système informatique. Il n’y a pas que Pornhub qui diffuse ces contenus, et le revenge porn n’est pas le seul problème posé par cette industrie de masse largement non régulée, qui au fil des ans gagne l’imaginaire collectif via le cerveau de milliards de gens, surtout d’hommes, parfois encore enfants. 

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