Combien de temps avons-nous à tenir avant que la mondialisation ne se rééquilibre (et qui sera sacrifié dans l'intervalle) ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Ce vendredi 24 octobre, le groupe PSA ferme son usine d'Aulnay-sous-Bois.
Ce vendredi 24 octobre, le groupe PSA ferme son usine d'Aulnay-sous-Bois.
©Reuters

A rebours

L'usine PSA d'Aulnay, symbole de l'industrie automobile française, ferme ses portes ce vendredi 25 octobre. Un épisode douloureux qui amène à s'interroger sur une mondialisation qui rebat les cartes des grandes orientations économiques planétaires.

Atlantico : Ce vendredi 25 octobre, le groupe PSA ferme son usine d'Aulnay-sous-Bois. La direction, qui vient de signer avec les syndicats un accord de maintien de ses activités automobiles en France jusqu'en 2016, inscrit cette décision dans la logique d'un plan de restructuration plus large qui vise à adapter l'entreprise à la nouvelle donne mondiale. L’adaptation de la production dans les pays développés à cette nouvelle donne se révèle être un processus dont on a mal mesuré la durée. Combien de temps cela va-t-il encore prendre ?

Jean-Marc Siröen : Il y a effectivement un processus incontestable de désindustrialisation dans les pays dits « industriels » qui se fait souvent au profit des pays en développement bien que ce fait n’explique pas tout. Il est néanmoins difficile de répondre avec précision sur la durée de cette période de transition, puisqu’il faudrait prendre en compte des facteurs qui restent complexes à anticiper (évolution des prix notamment). On peut dire qu’à l’horizon 2020 on verra l’emploi atteindre un plancher en France dans plusieurs secteurs manufacturiers, mais cela ne signifie en aucun cas que l’on assistera plus à des restructurations une fois cette date passée.

Depuis que l’on produit et que l’on échange, on observe un processus permanent de recomposition de l’ordre économique à travers le déclin et l’émergence de secteurs divers. L’industrie du textile, qui a pendant longtemps été centrale dans les économies européennes (Angleterre, Allemagne, France, etc.) a ainsi progressivement décliné pour n’atteindre qu’une part très faible de l’emploi dans cette région du monde. En parallèle, de nouvelles industries ont pris le relais (aciéries, automobile…),ce qui démontre le caractère éternellement changeant de l’industrie par nature. Dans ce contexte, il est sûr que l’automobile va continuer de perdre de son importance dans les anciens pays développés, avec évidemment des intensités différentes en fonction des pays (l’automobile reste vivace en Allemagne et a déjà totalement disparue en Angleterre). On peut modérer ce constat en rappelant qu’en termes de marques, ce sont toujours les grandes enseignes occidentales qui dominent le marché, mais il faut rappeler que l’on ne trouve plus au sens propre de « voitures allemandes » ou de « voitures anglaises ». Le problème reste donc bien de savoir quels seront les activités qui vont pouvoir remplacer les industries déclinantes comme l’automobile actuellement.

Pierre-Noël Giraud :Je dirais que nous sommes sur une échelle d'une vingtaine d'années. D'ici là, il est évident qu'une entreprise n'aura probablement que peu intérêt, sur le plan salarial, à choisir un site européen plutôt qu'un site chinois. Mais cela changera. Il faut préciser cependant que toutes les industries ne se projettent pas dans cette dynamique de la même manière et aux mêmes échéances. Certains segments, pour se rapprocher du client ou améliorer la rigeur de ses contrôles techniques, entrent ainsi déjà dans une logique de relocalisation, tendance qui fait d'ailleurs les beaux jours de notre ministre du Redressement productif. Cela démontre bien que les rivalités économiques des territoires en termes d'avantages (salariaux, technologiques) sont au centre de la compétition économique actuelle. Ces avantages peuvent néanmoins varier très vite d'une région à l'autre, que ce soit pour des raisons de hausses des salaires dans les pays en développement ou pour des raisons de compétition accrue de la part de pays comme la Chine sur le plan technologique.

Les salariés des pays développés et les opinions publiques voient surtout les emplois qui sont perdus en cours de route et les salaires qui tendent à la baisse. Au-delà des fantasmes, à quel coût se fait ce rééquilibrage entre pays du Nord et pays du Sud ?

Pierre-Noël Giraud : Les coûts de cette adaptation des firmes globales, vitale pour elles, produisent une destruction trop rapide du capital humain chez nous, et en particulier dans les compétences de l'industrie manufacturière. Il est nécessaire de rappeler par exemple que PSA s'inscrit dans les champions du monde de la robotique. Il s'agit là d'un patrimoine que l'on met des décennies à constituer, comme nous le démontre l'exemple de la Chine qui a commencé son programme d'acquisition de compétences industrielle sous Mao avant qu'il ne puisse éclore véritablemnt sous Deng Xiaoping. Autrement dit, la France de demain ressemblera bien à un havre pour touristes (le cauchemar de Houellebecq) si elle perd trop vite les compétences indispensables à sa bonne santé économique, c'est hélas ce que l'on constate pour l'instant. 

Ecartées du marché du travail par le déclin de leur secteurs d'activités, les victimes de cette tendance globale ne sont pas forcément les mieux placées pour retrouver un emploi. Au delà de l'initiative personnelle, la principale option reste la formation pour se réorienter vers un secteur moins exposé. Je fais souvent la distinction entre l'emploi nomade, sujet aux évolutions de la compétition internationale, et les emplois sédentaires où l'on produit des biens et des services locaux (construction de bâtiments, hôtellerie...). L'une des solutions pour une personne ayant perdu un emploi nomade est donc de se réorienter vers un emploi sédentaire. Il faut se méfier toutefois d'une multiplication, comme aux Etats-Unis et en Allemagne désormais, des emplois sédentaires sans qualifications qui font grossir à terme les rangs des workings poors.

Jean-Marc Siröen : Je commencerais par relativiser cette notion de destruction d’emplois qui n’est pas si évidente que cela, dans le cas français notamment. Si certains secteurs perdent massivement des emplois, il est nécessaire de rappeler que d’autres, comme l’aéronautique, continuent d’en créer en dépit de leurs expositions à la mondialisation. On a vu fleurir il y a quelques années des études tentant d’analyser la perte effective d’emplois (création/destructions, NDLR) , aux Etats-Unis comme en France. Les conclusions les plus optimistes affirmaient que l’on était assez proche du taux zéro, tandis que les plus pessimistes estimaient que l’impact de la mondialisation était d’environ 15% sur le chômage. Si ces chiffres ne sont certes pas négligeables, on ne peut s’empêcher de remarquer que les dégâts sociaux de ces dernières années ne peuvent être imputés exclusivement à la globalisation.

Où est amené à se situer l'équilibre Nord/Sud et quelle sera la nouvelle donne de la mondialisation une fois le rééquilibrage opéré ? En s'organisant, cette "nouvelle production internationale" des biens contraindra-t-elle le Nord à sacrifier des secteurs au profit du Sud ?

Pierre-Noël Giraud : Je ne pense pas que nous serons dans cette logique de séparation par secteurs en fonction des différentes régions du monde. Les firmes de type Apple, Amazon ou Samsung conservent une vague coloration nationale mais fonctionnent dans une logique désormais globale dans la répartition de leurs activités. Les entreprises n'ont jamais eu dans l'Histoire autant de libertés et de capitaux à investir, ce qui signifie un choix de plus en plus optimisable dans le placement de leurs infrastructures (usines, centre de recherches...). En partant de ce constat, deux scénarios se dessinent : dans le premier nous aurions des grandes firmes qui intégreraient les firmes des pays émergents, dans le second nous aurions une généralisation du développement "à la chinoise" dans plusieurs pays, avec derrière une volonté avouée de puissance économique. On pourrait donc voir, dans le second cas, l'émergence de champions nationaux dans des pays comme le Brésil, le Mexique, l'Indonésie ou encore la Turquie. Il ne serait ainsi pas impossible de voir ces grandes entreprises nationales, à l'instar des chinoises, passer des accords avec des grandes firmes extérieures pour qu'elles n'interférent pas sur certains territoires.

Jean-Marc Siröen : C’est déjà le cas et depuis près d’un siècle avec l'exemple de la production textile déjà cité plus haut. La véritable question serait de se demander ce que signifie un "secteur" à l’heure actuelle : comment classer aujourd’hui un ordinateur portable ? S’inscrit-il dans le secteur des hautes technologies ou au contraire dans les services ? Il est extrêmement compliqué dans ce contexte de dire « tel ou tel secteur va disparaître », mais on peut à l’inverse se poser la question de la segmentation et de la répartition économique de ces secteurs dans le cadre de la mondialisation.

Alors que l'idée commune laissait entendre que globalisation équivalait à délocalisation massive, des entreprises comme Apple ont su adopter un modèle hybride en délocalisant la production mais en conservant des pôles technologiques importants dans les pays développés. Peut-on y voir un exemple qui préfigure le nouvel équilibre mondial ?

Jean-Marc Siröen : A mon avis oui. Au-delà de l’exemple d’Apple, on voit une dynamique similaire dans le textile avec des entreprises comme Zara qui conservent un pôle créatif en Europe. Nous assistons à une accentuation de ce modèle qui sans être inédit s’impose bien plus qu’auparavant. Les pays qui triompheront de la mondialisation seront justement ceux qui réussiront à s’affirmer dans un segment particulier (conception, ingéniérie, numérique…) plutôt que de persister dans un modèle global qui sera forcément exposé à une "concurrence du moins-disant".

Pierre-Noël Giraud : Le modèle d'Apple concentre effectivement le design ainsi qu'une partie minoritaire de la fabrication aux Etats-Unis tandis que le reste est produit dans les pays émergents. Néanmoins, d'autres marques issus d'autre pôles mondiaux sont aujourd'hui capables de concurrencer Apple (Samsung, Lenovo...) et il n'est pas impossible que l'une d'entres elles se retrouve dans une position hégémonique d'ici 25 ans.

Ce qui se passe actuellement, dans les pays émergents notamment, n'a rien à voir avec une supposée division internationale du travail où les pays avancés se spécialiseraient dans les activités intellectuelles de service pendant que le reste du monde se confinerait au montage et à l'assemblage. Il s'agit là d'une vision erronée que les faits contredisent depuis au moins dix ans. La Chine de l'Est peut ainsi déjà être considérée comme compétiteur de haut niveau dans à peu près tous les domaines, et qui sont même en avance sur certains d'entre eux (énergies renouvelables, technologies spatiales...). Cette région ressemblera probablement à ce qu'est la Corée du Sud d'ici une quinzaine d'années, peut-être moins. Réduire l'Empire du Milieu aux fabricants de jouets de la zone de Shenzen (un des principaux espaces industriels du pays, NDLR), c'est se tromper d'époque.

Si des usines comme celles PSA souhaitaient passer des accords commerciaux fructueux avec les Chinois, il faudrait pour commencer qu'ils fassent la même chose et investissent chez nous ! A l'inverse, je pense que nous devrions les imiter en imposant aux entreprises qui vendent sur le territoire national de produire sur ce même territoire. La logique derrière cette idée est simple : il serait trop long et coûteux de reconstituer un savoir faire qui restera utile économiquement mais qui a été balayé par la concurrence internationale.

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