Colère des agriculteurs : ce malaise que le gouvernement n’éteindra pas sans passer par la case Bruxelles<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Gabriel Attal s'exprime lors d'une visite dans une ferme à Montastruc-de-Salies, dans le sud-ouest de la France, le 26 janvier 2024.
Gabriel Attal s'exprime lors d'une visite dans une ferme à Montastruc-de-Salies, dans le sud-ouest de la France, le 26 janvier 2024.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Mesures efficaces ?

En réponse à la mobilisation du monde agricole, le Premier ministre, Gabriel Attal, a présenté une série de mesures lors d'un déplacement à Montastruc-de-Salies, en Haute-Garonne.

Xavier Hollandts

Xavier Hollandts

Xavier Hollandts est professeur de stratégie à KEDGE Business School et spécialiste des politiques agricoles.

Voir la bio »
Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

Voir la bio »

Atlantico : Que faut-il penser du discours de Gabriel Attal et de sa vision de l'agriculture ?

Xavier Hollandts : Le discours et la vision de l'agriculture de Gabriel Attal correspondent finalement à une situation d'urgence. Cela ne va être finalement qu'un pansement sur des problématiques agricoles qui ne sont pas du tout réglées. Il faut en avoir conscience.

Le gouvernement va traiter provisoirement la colère des agriculteurs. Mais cela ne va pas changer les problématiques de fond qui ont mis effectivement les agriculteurs dans la rue à ce niveau-là, notamment les normes imposées par Bruxelles et les problèmes économiques récurrents rencontrés par l’immense majorité des paysans.

Antoine Jeandey : La vision exprimée dans ce discours est tout à fait conforme à ce que disait le candidat Macron en 2017 au salon de l'agriculture. Mais le problème est que les années ont passé. L’exécutif semble agir seulement maintenant. Concernant Gabriel Attal, il vient de démarrer oui. Mais durant cette période, des mesures auraient dû être prises.

Est-ce que le gouvernement a pris la mesure de la crise au regard des mesures dévoilées par le Premier ministre sur le GNR, les rémunérations ou la simplification des normes ?

Xavier Hollandts : Le gouvernement n’a pas réellement pris la mesure de la crise. Gabriel Attal a répondu aux principales revendications qui ont émergé au début du mouvement et qui ont été le plus relayées depuis le début de cette crise. Cela repose essentiellement sur les revendications majeures de la FNSEA. Donc de ce point de vue-là, cela correspond à un signal qui est envoyé aux syndicats mobilisés dans le mouvement.

Le terme de co-gestion est souvent utilisé pour dire à quel point la FNSEA co-dirige l'agriculture française avec les gouvernements en place.

Les annonces dévoilées vendredi sont donc un signal qui est surtout destiné à rassurer essentiellement la FNSEA. Le syndicat agricole montre aussi à ses adhérents, par ce biais-là, qu'il peut faire plier le gouvernement sur des revendications qui sont essentiellement conjoncturelles.

Le vrai cœur du problème reste la rémunération des agriculteurs et les normes imposées par les décisions européennes. Sur ces enjeux, les problèmes de fond et les problèmes structurels n’ont pas été traités, malheureusement.

Antoine Jeandey : Gabriel Attal s'est servi des revendications syndicales au cœur du mouvement des agriculteurs. Au regard du discours, le gouvernement repousse plutôt les problèmes et ne semble pas déterminé à les résoudre. L’exécutif ne va pas suffisamment au fond des choses. Les revendications syndicales étaient bien connues. Gabriel Attal a donc tenu à apporter, via son discours et ses annonces, une réponse aux revendications syndicales.

Mais ce mouvement, globalement encadré par les syndicats, possède aussi sa part de spontanéité. Ne plus augmenter le GNR, c'est éviter d'ajouter un problème, pas résoudre les autres.

Les annonces de Gabriel Attal sont–elles susceptibles de rassurer les agriculteurs et d'apaiser la colère et de résoudre la crise ?

Xavier Hollandts : Les mesures dévoilées vont sans doute effectivement faire retomber la pression. C'est sans doute ce qui était visé par l’exécutif. En termes d'agenda et de tempo, il n'y a pas de hasard. Nous sommes à un mois du salon de l'agriculture. Un nouveau gouvernement vient d'être nommé. La campagne des élections européennes va bientôt débuter. C'est un secret de polichinelle de dire que le cœur d'une partie des agriculteurs penche de plus en plus vers le Rassemblement national, qui effectivement a bien compris qu'une partie du monde paysan se meurt et donc à un réflexe assez conservateur et réactionnaire, qui est justement le terrain de prédilection du RN.

Le gouvernement craint ce mouvement des agriculteurs et les dirigeants interviennent avec beaucoup de prudence sur ce dossier.

Pour l'instant, le bras de fer politique a plutôt été gagné effectivement par la FNSEA, au regard des premières annonces.

Antoine Jeandey : Les mesures dévoilées par Gabriel Attal pourraient apaiser les tensions car elles répondent aux demandes syndicales. Malheureusement, des discours sur la simplification administrative, les agriculteurs en ont déjà entendus. Je vais vous citer une date, un souvenir personnel de journaliste : le 9 février 2007. Il y a 17 ans. Ce jour-là, Dominique Bussereau, ministre de l'Agriculture du Premier ministre Villepin et du Président Chirac, détaille dans un discours tout un train de mesures de simplification administrative...

En d'autres termes, des promesses sur le sujet, les agriculteurs en entendent depuis longtemps, tous gouvernements confondus. Ils savent qu'elles peuvent être tenues, mais que ça n'empêchera pas d'autres "impôts paperasses" (comme les appelait justement Dominique Bussereau) de tomber juste après. Ceux-ci sont le plus souvent le fruit des retranscriptions nationales des directives de Bruxelles. Le problème se situe donc au niveau du ministère de l'Agriculture, il y faut un pouvoir politique fort pour donner une ligne directrice claire aux administratifs qui travaillent sur le sujet, qui sinon auront tendance à se couvrir à travers moult précautions redondantes.

La règle sur les haies va donc être simplifiée, tant mieux. Mais qui pose la question du pourquoi de cette dérive de façon à éviter de réitérer le problème 

Les promesses du gouvernement pourront-elles être respectées ?

Xavier Hollandts : Ces promesses immédiates vont rassurer provisoirement les agriculteurs. Le gouvernement va être pris en flagrant délit de contradiction entre d'un côté, les attentes de la société et notamment de la nouvelle politique agricole sur la transition écologique et de l’autre coté ces annonces qui confortent les agriculteurs dans une vision conservatrice de leur métier. Il y a un balancier qui revient très clairement vers une agriculture plutôt traditionnelle ou en tout cas conventionnelle. L'équation sera donc absolument impossible à tenir pour le gouvernement. Il ne pourra pas d'un côté assumer ses ambitions écologiques, respecter les éléments essentiels de la nouvelle PAC, et puis en même temps faire plaisir et redonner confiance aux agriculteurs qui ont manifesté leur mécontentement.

Antoine Jeandey : Cela sera possible mais ces promesses ne garantissent pas de résultats sur le temps long. L'unique engagement, finalement, est de faire respecter une loi qui a été votée, la loi EGALIM, sur le partage de la valeur ajoutée. Le respect de cette loi ne préoccupait pas suffisamment le gouvernement jusqu’à présent.

N’y avait-il pas une forme de déconnexion de la classe politique vis-à-vis de la réalité du quotidien des agriculteurs avant la crise ? Assiste-t-on, à travers ce mouvement,  à une prise de conscience salvatrice ?

Xavier Hollandts : Lorsque l’on observe à l'Assemblée nationale, il y a une méconnaissance forte des élus sur la réalité du quotidien des agriculteurs. C'est un peu moins le cas au Sénat.

Il y a un manque de culture à la fois scientifique mais aussi générale de la réalité vécue par les agriculteurs. L'absence de réforme structurelle depuis 20 ans et la fin des quotas européens montre que la classe politique a perdu cette connexion au monde agricole et ne s'y intéresse que de façon très épisodique.

Le salon de l'agriculture, en février, 2024, sera-t-il très politisé et sous haute tension au regard de la crise de l'agriculture française et de la détresse des agriculteurs ?

Antoine Jeandey : Le salon de l'agriculture, de tout temps, est le salon des visites et du dialogue entre les dirigeants politiques et les agriculteurs. Je pensais initialement que le mouvement agricole allait tenir jusqu'au salon. Cela ne sera peut-être pas le cas. Lors de l’ouverture du salon, le 24 février, il sera possible de mesurer l’impact des premières mesures de Gabriel Attal et de vérifier si le gouvernement répond aux attentes des agriculteurs.

Il pourrait y avoir des tensions au salon cette année. L'organisation, qui est proche du syndicat majoritaire de la FNSEA, essaye de faire en sorte que cela se déroule sans incident en termes d'organisation.

Mais tout le monde n'est pas dans le même état d'esprit. Il y a ceux qui ne veulent plus aller au salon de l'agriculture. Il y a des agriculteurs qui estiment ne pas être bien représentés dans cette vitrine. Des mouvements plus contestataires pourraient s'exprimer. Cela est déjà arrivé. Que ce soit de la part d'autres syndicats ou mouvements, et même par des sections locales de la Fnsea. Et n'oublions pas les acteurs autres que les agriculteurs susceptibles d'ajouter à la confusion en voulant se servir de la tribune médiatique en cette année électorale pour faire valoir des opinions sans lien avec le sujet.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !