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Classement Bloomberg des familles les plus fortunées : pourquoi les dynasties règnent plus que jamais sur le capitalisme mondial
©capture d'écran Business Insider

Dynasties

Le classement Bloomberg des familles les plus riches du monde met à l’honneur des dynasties qui dirigent en famille des grands groupes industriels ou commerciaux.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Qu’est-ce qui explique l’extraordinaire résistance du capitalisme familial face à des modèles différents ? Il y a cent ans déjà, pourtant, les économistes estimaient que ce modèle allait disparaître face à un modèle de gestion « professionnel ».

Michel Ruimy : Avant de répondre, permettez-moi de dresser un état des lieux pour bien comprendre le phénomène. Les entreprises familiales représentent la majeure partie des entreprises dans le monde : entre 60 % et 95 % selon les estimations et les pays. Leur point commun est l’influence d’un ou de plusieurs membres d’une famille sur les décisions principales de l’entreprise. Cette influence peut être exercée dans la direction générale ou via le conseil d’administration. Ces entreprises peuvent être cotées ou non en Bourse, petites - c’est l’immense majorité des PME et TPE - ou très grandes - en France, il y a, par exemple, L’Oréal, Ricard, Bonduelle, Hermès, Dassault, Wendel, Peugeot, Michelin, Rothschild -. Contrairement à certaines idées reçues, elles sont également très présentes aux États-Unis (Wal-Mart, Cargill, Mars…) et sont le moteur du développement des pays émergents.

Par ailleurs, pour revenir à votre question, la fortune des Walton, famille détentrice des supermarchés Wal-Mart, principale chaîne des États-Unis et véritable poids lourd mondial, s’est accru de 39 milliards de dollars depuis juin 2018. Les Walton s’enrichissent d’environ 70 000 dollars par minute, soit 100 millions par jour !

De manière générale, les performances de ces entreprises familiales résultent d’un certain nombre de caractéristiques.

Tout d’abord, elles ont une vision à long terme. L’entreprise a souvent une signification historique et représente un projet familial. Les dirigeants familiaux sont fortement engagés et la pérennité prime sur les résultats à court terme. Ce sens de la durée, qui leur permet de mieux résister en période de crise, peut être particulièrement utile dans certains secteurs à horizon long comme la pharmacie, qui dépend grandement de la recherche et des développements de nouveaux médicaments.

Ensuite, l’actionnaire familial, identifiable et actif dans la gouvernance, est en prise directe avec les décisions d’investissement. Il gère son propre argent, pas celui des autres, d’autant plus qu’il souhaite généralement garder le contrôle de l’actionnariat. Il doit donc user du financement avec parcimonie. Les dividendes distribués sont souvent mesurés pour permettre l’autofinancement nécessaire aux investissements et aussi parce que les actionnaires n’ont pas nécessairement les mêmes attentes de rendement qu’un investisseur extérieur à la famille.

De plus, elles ont un ancrage dans une communauté, une région et une politique humaine des relations avec les employés. L’absence de pression court-termiste permet d’éviter les licenciements en période de crise, ce qui renforce le contrat social implicite, la fidélité du personnel, le maintien des compétences dans l’entreprise et permet une meilleure « résilience ».

Enfin, le capital de toute entreprise est composé de capital financier, humain et social. Dans l’entreprise familiale, l’actionnaire contribue non seulement au capital financier, mais aussi fortement au capital humain et social, par son engagement personnel et les liens qu’il développe avec les employés et autres parties prenantes. Le capital émotionnel (attachement à l’entreprise) et le capital symbolique (nom de famille, réputation) y sont également très importants. La référence aux valeurs y est plus souvent faite qu’ailleurs. Ces éléments non financiers sont toutefois susceptibles, a contrario, de générer de moindres performances (succession abordée trop tard, conflits familiaux…).

Ainsi, ce qui peut expliquer cette résistance du capitalisme familial est une inscription dans le long terme, associée à un souhait de pérennité et de transmission intergénérationnelle. La dette est préférée à l’ouverture du capital et l’importance de la réputation et de la pérennité sur le long terme amène les entreprises familiales à honorer leurs dettes, ce qui tend à baisser le risque et donc le coût de ces dernières.

Les familles citées dans l'article sont plutôt celles des fondateurs des grandes entreprises du XXème siècle. Est-ce que ce modèle familial vous semble transférable aux entreprises nées dans les années 2000 ? Zuckerberg pourrait-il être le nom d'une nouvelle dynastie ?

Si le mythe des « 200 familles » a vécu, le capitalisme familial est loin d’avoir disparu. Si le modèle détient des clés de succès, des obstacles dans la transmission de ces firmes dans le cadre d’une continuité familiale sont néanmoins bien présentes à tel point que si beaucoup de transmissions familiales se passent sans problème particulier – c’est d’autant plus aisé pour les familles à enfant unique -, la proportion est, en France, d’1 entreprise sur 10 !

Par exemple, l’Europe, parce qu’elle ne sait pas organiser collectivement le partage du patrimoine privé constitué par ses entreprises familiales entre les générations, se prive de cet atout, empêtrée dans un ensemble compliqué de règlementations et d’absence d’anticipations. Il conviendrait d’unifier les points de vue des acteurs publics et privés sur cette question.

D’autre part, la transmission de l’entreprise familiale représente un moment particulièrement critique dans le cycle de l’entreprise. A chaque passage de génération, du fait d’un changement profond dans la propriété du capital, la pérennité même de l’entreprise est en jeu en raison de la ponction répétitive de ressources financières, à chaque changement de génération, par les actionnaires familiaux.

Enfin, il n’y a pas de stratégie unique pour le choix de l’héritier « physique » à la tête de l’entreprise. Si la relève familiale semble assurée chez les Agnelli, les Lagardère, les Michelin, etc., la prudence est de mise. Pas question de faire jouer un privilège de famille. Aux chasseurs de têtes de trouver le meilleur manager. Une injustice risquerait de faire fuir les grands entrepreneurs.

Le capitalisme familial est ainsi un subtil équilibre entre tradition et modernité. Alors que l’épuisement ou burn-out - qui trouve le plus souvent son origine dans la singulière médiocrité de l’environnement managérial - guide parfois le personnel des grandes entreprises créées récemment, ces paroles peuvent toutefois sonner agréablement aux oreilles.

Quant à Mark Zuckerberg et à ses acolytes, l’hégémonie des GAFAM est telle qu’aucune entreprise ne peut plus les égaler aujourd’hui. Elles sont en situation de monopole. Difficile de trouver un pays, à l’exception de la Chine, mais pour des raisons politiques, où les GAFAM ne règnent pas déjà sur le quotidien des habitants. A tel point que les fondateurs de ces entreprises sont reçus comme des chefs d’État par nos gouvernants.

Vont-ils appartenir à ce capitalisme dynastique ? L’avenir nous le dira car la question est ouverte. Ces entreprises appartiennent au monde technologique et la gestion de l’apparition d’une innovation est cruciale. Qui se rappelle de Nokia de nos jours ? Cette entreprise n’avait pas cru au « business model » d’Apple. D’autant plus qu’il semble que la Silicon Valley, qui a toujours peu d’équivalent dans le monde en terme de concentration de capital humain et financier, soit peuplée de personnes sans mémoire et sans état d’âme qui sont prêts à « détruire » - économiquement - le monde pour le pouvoir et l’argent. Ce n’est pas l’esprit du capitalisme familial.

Le patrimoine de certaines de ces familles a considérablement cru : Bloomberg estime, par exemple, que le capital des Walton a augmenté de 4 millions de dollars toutes les heures. Comment s’explique cette croissance exceptionnelle ?

Aujourd’hui, les plus grandes entreprises dynastiques ont ouvert leur capital et sont cotées en Bourse. Ces familles ne peuvent plus financer, sur leurs propres deniers, les investissements nécessaires pour faire face à la compétition internationale. Ainsi, la richesse de ces dynasties n’est que « virtuelle » et fluctuante car elle est basée sur les évolutions du cours boursier. Par exemple, à la fin de l’année dernière, le dirigeant d’Amazon, Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde, a vu sa fortune personnelle fondre de 55 milliards de dollars en l’espace de trois mois du fait d’un décrochage des marchés financiers !

Il n’en demeure pas moins que cette situation n’est pas nécessairement un mal puisqu’elles ont pu bénéficier, comme beaucoup d’autres, d’un accès quasi illimité à du capital bon marché du fait des politiques monétaires accommodantes menées, ces derniers mois, par les banques centrales. D’une part, là, où une entreprise lambda va emprunter et se constituer des fonds propres au prix fort, ces entreprises exploitent l’appétit des fonds d’investissement spécialisé. D’autre part, devant la rareté de projets ayant de bons rendements futurs et la « modicité » du coût de l’argent, les investisseurs se sont tournés vers la Bourse et ont fait grimper les cours de Bourse et, par incidence, la valeur de ces entreprises familiales.

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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