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Clash Obama/Poutine : vraie guerre froide ou caricature ?
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Miroirs déformants

L'accueil du lanceur d'alertes Edward Snowden en Russie a jeté un froid sur des relations russo-américaines déjà peu chaleureuses, mais en est-on pour autant revenu aux temps des Khrouchtchev et Kennedy ?

Philippe Migault

Philippe Migault

Philippe Migault est auditeur de l'Institut des Hautes Etudes de la Defense Nationale (IHEDN) et du Centre des Hautes Etudes de l'Armement (CHEAr). Il dirige le Centre Européen d'Analyses Stratégiques (CEAS).

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Atlantico : Le développement des tensions entre le Kremlin et la Maison Blanche a amené certains commentateurs à s'inquiéter d'un retour de la Guerre Froide entre les deux pays. Pensez vous que cette expression soit réellement judicieuse pour décrire le contexte actuel ?

Philippe Migault :Il s'agit d'une expression stupide, un marronnier récurrent de secrétariats de rédaction en manque d'inspiration pour leur titraille. Cette image de la Guerre Froide ressort systématiquement dès que des tensions s'amorcent entre Washington et Moscou, sans que l'on prenne une seconde la patience de considérer les facteurs géopolitiques actuels, qui sont pourtant fondamentalement différents de ceux de l'époque. Tout d'abord le contexte géopolitique actuel ne relève en aucun cas de l'affrontement exclusif de deux blocs unifiés, et le rapport de force entre Washington et Moscou est bien plus déséquilibré qu'auparavant. La Russie a beau rester une puissance nucléaire, sa capacité militaire est loin de rivaliser avec celle du bloc occidental. A titre d'exemple on peut évoquer le fait que le budget de la Défense russe totalise 72 milliards de $, autrement dit une somme ridicule en comparaison des investissements annuels américains, qui approchent les 600 milliards, ou même des 250 milliards de dollars que consacrent chaque année à leur défense l’ensemble des 28 Etats de l'Union Européenne.

La situation territoriale n'est évidemment pas non plus la même. La Russie a opéré un recul stratégique de plus de 1500 kilomètres à l’Est, sur ses frontières de 1700. Les chars russes ne sont plus comme autrefois à "deux étapes de Tour de France de Strasbourg" pour reprendre la fameuse expression du général de Gaulle. Aujourd'hui, c'est au contraire l'OTAN qui, depuis la frontière orientale de l'Estonie, se trouve à 130 km de St-Petersbourg, une heure de voiture sans excès de vitesse... Autrement dit, le rapport de force est totalement inversé.

Enfin deux éléments nouveaux rendent toute comparaison impossible avec la situation qui prévalait il y a trente ans : l'entrée en lice d’une nouvelle grande puissance, la Chine, et l'émiettement progressif de l'OTAN dont on constate à chaque crise un peu plus le manque de cohésion derrière le leader américain.

Le président Obama a pourtant regretté, au début du moit d'Août, une "mentalité de Guerre Froide" du côté du Kremlin suite aux complications de l'affaire Snowden. Pourquoi une telle comparaison ?

Je pense qu'Obama est mal placé pour user de ce genre de phraséologie. Il n’est pas la colombe que certains attendaient en 2008. C'est plutôt même un faucon : l'usage des drônes -4 000 à 5 000 morts dans le cadre de la campagne américaine d’assassinats ciblés, le maintien en fonction de Guantanamo le démontrent. On lui a décerné un prix Nobel de la Paix qu'il ne méritait évidemment pas et son administration n’est aucunement pacifique ou pacifiste, y compris dans sa confrontation avec la Russie. Les Etats-Unis tentent systématiquement de briser toute montée en puissance d’un Etat susceptible de les « challenger », qu’il s’agisse de la Chine, de la Russie ou du projet européen... Il y a donc effectivement une confrontation Moscou-Washington, qui continue d'exister, mais elle est n'est plus aussi exclusive qu'elle l'était par le passé

Comment décrire dans ce cas le regain de tension entre Barack Obama et Vladimir Poutine ?

Les opinions publiques occidentales ont perdu l'habitude d'assister à des tensions Russie-Etats-Unis depuis le début des années 1990 et l'effondrement de l'URSS. Le Kremlin, confronté à la pire crise économique du XXème siècle, réduit à l’impuissance, a quasiment disparu de la scène internationale entre 1991 et 2001. Mais le pays est redevenu une puissance qui compte à compter du raidissement consécutif à la crise du Kosovo, en 1999, le fameux épisode du demi-tour en plein vol de l’avion de Primakov, puis sous l'administration Poutine. Lors de la dernière campagne présidentielle américaine, Mitt Romney n’avait pas tout à fait tort d’affirmer que la Russie était "l'ennemi gépolitique N°1 des Etats-Unis". C'est assez vrai dans le sens où Moscou a retrouvé une partie de son ancienne puissance, a enrayé son déclin démographique, peut compter sur une population nombreuse, bien formée, dispose toujours d’un arsenal nucléaire important. A cela s'ajoute évidemment des ressources naturelles formidables : pétrole, gaz, uranium, charbon…qui ont permis à l’Etat de soutenir sa croissance à compter de 2003. La Russie ignore quasiment ce qu’est la dette extérieure, reconstruit son économie, développe une génération d’armements constituant outre un atout économique un formidable outil diplomatique dans la mesure où ces matériels permettent à un pays désireux de se mettre à l’abri d’une attaque occidentale de le faire…Ces atouts offrent a Moscou une certaine indépendance dans le jeu de la mondialisation, lui permettent de contrecarrer les projets américains, notamment au Moyen-Orient. Cela la Maison blanche ne le supporte pas.  

Quelle interprétation fait-on en Russie de ce nouveau type de tensions ?

Les Russes ont cru que la fin de la guerre froide –sur leur initiative rappelons le- signifierait un rapprochement avec les Européens de l’ouest, avec les Occidentaux. Mais ils ont vite compris qu’ils n’étaient pas traités en partenaires, mais plutôt en qualité d'état vaincu dont il faudrait empêcher toute résurgence. On ne se fait depuis aucune illusion au Kremlin sur les intentions occidentales, et particulièrement américaines. Moscou sait que l'objectif des américains est de réduire l’influence russe sur la scène mondiale, d’isoler la Russie. Et que c’est pour cela qu’ils tentent depuis dix ans de la diaboliser. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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