Le chantier du TGV Lyon-Turin, la mère de toutes les contestations des écologistes<!-- --> | Atlantico.fr
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Samedi, entre 2000 et 4000 militants écologistes ont manifesté contre la création d’une nouvelle ligne ferroviaire reliant Lyon et Turin.
Samedi, entre 2000 et 4000 militants écologistes ont manifesté contre la création d’une nouvelle ligne ferroviaire reliant Lyon et Turin.
©OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Projet très ancien

Samedi 17 juin, entre 2000 et 4000 militants écologistes ont manifesté contre la création d’une nouvelle ligne ferroviaire reliant Lyon et Turin. Ils se plaignent du grave coût écologique qu’une telle opération pourrait avoir.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Samedi, entre 2000 et 4000 militants écologistes ont manifesté contre la création d’une nouvelle ligne ferroviaire reliant Lyon et Turin. Ils se plaignent du grave coût écologique qu’une telle opération pourrait avoir. Cette manifestation s’inscrit dans un contexte plus global : elle est loin d’être la première cette année et le mouvement semble gagner en ampleur. Que peut-on dire de la tendance actuelle ? S’agit-il de l’action d’une minorité bruyante ou au contraire d’une angoisse partagée par la nation ?

Eddy Fougier : Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin est un projet très ancien. C’est l’un des tout premier projet d’infrastructure a avoir été ainsi contesté. A l’origine, c’est le mouvement NO TAV qui s’y est d’ailleurs opposé et, rappelons-le, ce sont eux qui ont inspiré le modèle d’action à Notre-Dame des Landes. A certains égards, on pourrait dire de la liaison LGV Lyon-Turin est la mère de toutes les contestations que l’on constate aujourd'hui.

Lors de la manifestation d’hier, on retrouvait plusieurs éléments déjà observés à Sainte-Soline : une manifestation (partiellement, au moins) interdite, un projet d’infrastructure très critiqué, des militants pacifiques d’un côté, des élus, notamment du côté des Verts. Bien sûr, il y a aussi des éléments plus radicaux, qui ont un objectif clair en tête : gêner le chantier et éventuellement aussi, en l'occurrence, bloquer une autoroute. On peut dire de la situation actuelle qu’elle est assez courante, en somme.

Il y a aussi eu des heurts entre les éléments les plus radicaux et les forces de l’ordre. Là encore, c’est quelque chose d’assez fréquent.

Tout ceci n’est pas sans évoquer d’autres manifestations comparables, comme celle survenue contre le projet d’une liaison routière entre Castres et Toulouse, dont nous avions déjà parlé dans vos colonnes. Parfois, il y a des débordements violents. Peut-on dire pour autant que c’est révélateur d’une tendance plus large ? Difficile à dire. Il est évident, en tout cas, que les préoccupations de la population, en matière d’urgence climatique, sont importantes. Pour autant, elles le demeurent moins que d’autres, plus matérielles, centrées autour du pouvoir d’achat et des prix. On retombe alors sur le vieux débat : fin du monde ou fin du mois ?

Du côté de la société civile, force est de constater une certaine radicalisation. Celle-ci résulte d’une profonde désillusion vis-à-vis du “monde d’après”. A l’issue de la crise sanitaire, il existait un certain sentiment au sein de la population (ou d’une partie de celle-ci) que le monde à venir serait plus positif, que les moyens engagés dans la lutte contre l’épidémie seraient ensuite réutilisés dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour de nombreuses associations, cela aura été une grande désillusion. 

Autre désillusion importante, notamment pour les jeunes luttant pour le climat : les actions de désobéissance civile se sont, globalement, révélées assez inefficaces.

Tout ceci engendre une certaine radicalisation d’une partie de la société civile, au sein de laquelle on a le sentiment que l'on n'a plus le temps, qu’il faut maintenant en passer à des actions plus dures comme des blocages ou parfois à des sabotages… que les Soulèvements de la Terre qualifient d’ailleurs d’opérations de “désarmement”. Ils s’en prennent donc à des projets relativement facile d’accès ; comme cela peut être le cas en visant une infrastructure (qu’il s’agisse d’une réserve d’eau en rase-campagne ou d’une installation ferroviaire). C’est toujours plus simple de s’attaquer à de tels “points faibles” que d’organiser le blocage d’une raffinerie ou d’une centrale nucléaire.

Une fois encore, il s’agit de faire en sorte que le sujet devienne “totémique”. Il doit être le reflet d’un système économique que l’on remet en cause. Sainte-Soline, espèrent ces militants, deviendra un totem de la question de l’eau, de l’agriculture. Ici, l’idée apparaît peut-être un peu moins clairement mais le principe est le même, simplement appliqué à la notion de transport et de mobilité. Quand bien même le train constitue, généralement, l’un des modes de déplacements les moins polluants.

Pour ces manifestants et ces militants, le modèle économique actuel est “écocidaire”. Les grands débats et les grandes manifestations organisés par les altermondialistes ont su infuser dans les débats mais n’ont finalement rien changé de façon concrète. Quinze ou vingt ans plus tard, le constat est là et la méthode change donc : il y a désormais l’idée de profiter, quand c’est possible, des failles du système pour stopper ces projets. Pour cela, il faut transformer l’un ou l’autre de ces projets par essence assez locaux en sujets nationaux. Pousser tout un chacun à se positionner en fonction de celui-ci et particulièrement dans le champ politique. Notre-Dame des Landes en a été un bon symbole, mais il y a aussi l’eau (et par extension, Sainte-Soline), ainsi que le nucléaire civil, les OGM ou les pesticides pour ne citer que ceux-là…

Avant la manifestation, les autorités étaient inquiètes à l’idée de violences importantes. Finalement, il y a effectivement eu des heurts, certains militants n’ayant pas hésité à jeter des pierres aux forces de l’ordre, qui ont répliqué à l’aide de gaz lacrymogènes. Le niveau de violence constaté est-il aussi important que ce que redoutaient les autorités ? D’une façon générale, faut-il craindre des débordements dans ce genre de cadre ?

Ce qui s’est passé lors de la manifestation du 17 juin 2023 était écrit d’avance, me semble-t-il. Dès lors que l’on sait qu’il y a des éléments radicaux susceptibles de rejoindre le cortège, la manifestation est interdite. Or, aussitôt interdite, cette même manifestation génère davantage intérêt, attire des éléments radicaux. Les forces de l’ordre doivent alors intervenir sur le terrain et un cercle vicieux de la violence s’enclenche. Cela n’a rien de très neuf : les manifestations anti-nucléaires des années 1970 s’inscrivaient déjà dans la même logique.

En l’état actuel, il n’est pas possible de dire si cela générera plus de violences qu’avant. Nous n’en savons rien à ce stade. Cependant, force est de constater que la difficulté naît quand les forces de l’ordre doivent protéger un lieu en particulier ; comme à Sainte-Soline. Les agents de police et de gendarmerie y défendaient un trou, au milieu d’un espace ouvert… de quoi donner à l’affrontement des airs de bataille du Moyen-Âge. Dans le cas présent, je suppose que les forces de l’ordre devaient défendre un chantier ou une partie de celui-ci. La configuration des lieux joue donc beaucoup.

Dans certains cas, tous ces éléments semblent réunis et peuvent provoquer une forte progression des tensions. Ceci étant dit, il faut aussi prendre en compte l’avis des riverains, ce que pensent les différentes parties prenantes. A Notre-Dame des Landes, les riverains et les agriculteurs étaient contre le projet d’aéroport. Quant à Sainte-Soline c’est un autre cas de figure. Certains projets ont plus d’impact que d’autres sur les habitants. Une ligne LGV/TGV peut avoir beaucoup d’impact sur l’espace sur lequel on vit. N’oublions pas que, en France, la toute première contestation d’un tel type de projet remonte à l’ouverture de la première ligne TGV entre Paris et Marseille. Certains ont vu leur jardin éventré par le tracé de la nouvelle ligne, ce qui n’est jamais très apprécié.

En l’état, ce n’est pas la logique à l'œuvre. Il s’agit moins de demander une rétribution pour un tort qu’aurait pu provoquer, à échelle individuelle, la création de la ligne LGV Lyon-Turin : cela relève de la contestation de tout un système. C’est un autre cas de figure.

Une centaine d’armes et autres objets contondants ont été saisis par les forces de l’ordre avant la manifestation. Faut-il y voir la preuve d’une radicalisation de certains éléments et donc, de facto, le risque d’une montée en violence de ces derniers ?

La récupération, en amont, d’armes par destination en provenance d'éléments radicaux (comme l’interdiction de territoire de certains de ces éléments radicaux) n’a rien d’exceptionnel. C’est même un phénomène assez courant. Quand on connaît et que l’on observe les modes opératoires qui ont pu être utilisés sur d’autres fronts, comme à Sivens ou à Bure, on peut noter les similarités. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas inquiétant, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse parler d’une montée en radicalité. A Sivens, les armes par destination que l’on a pu retrouver étaient déjà assez préoccupantes. A Bure, des fusées d’artifice ont été utilisées contre des hélicoptères. La situation, en l’état actuel, ne sort pas de ce qui a déjà pu se faire.

Faut-il penser que de telles manifestations sont vouées à se reproduire ? Seront-elles de plus en plus régulières ?

Bien évidemment. Le sentiment d’urgence précédemment évoqué persiste et beaucoup d’associations ont l’impression de faire face à une certaine inaction de la part du gouvernement ou du monde économique. Dès lors, pour que la transition écologique puisse se faire, à leurs yeux, il faudra prendre des gages de façon très concrète. Cela passe par des actions telles que celles que nous avons pu évoquer jusqu’à présent mais aussi par d’autres, comme l’annulation du projet Bridor, en Bretagne par exemple.

Le mouvement des Soulèvements de la Terre, essaie, de son côté, d’agréger les différentes luttes locales (qui sont nombreuses) et cela va se poursuivre, se multiplier.

Peut-on penser que les mouvements écologistes sont encore en mesure de “totémiser” de tels débats ? Notamment sur la question de la ligne Lyon-Turin ?

Il n’y a pas de loi pour expliquer la “totémisation”. Certains sujets apparaissent plus “totémiques” que d’autres. Les mouvements de contestation essaient de faire des nanoparticules un sujet national depuis des années et pourtant, cela n’a jamais pris. Ce n’est sans doute pas assez concret pour le grand public.

Aujourd’hui, le sujet en voie de totémisation, c’est celui de l’eau. Et pour cause ! Nous faisons face à des situations de sécheresse relativement récurrentes, les conflits d’usages autour de l’eau sont de plus en plus nombreux. Il y a des interrogations sur les modes de productions agricoles… Le sujet monte, sans être déjà totémique, certes, mais il monte.

Pour une totémisation réussie, cependant, il faut une adéquation entre la controverse et des lieux ou des projets concrets. Il y a une controverse sur les pesticides, mais pas de lieu auquel associer le combat. Dans le cas du projet LGV Lyon-Turin, il y a un lieu spécifique, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait véritablement sujet de controverse.

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