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Changement climatique : quel temps fera-t-il chez vous en 2300 ?
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Bonnes feuilles

L'adaptation émerge aujourd'hui comme une dimension incontournable de la réponse au changement climatique. Complémentaire à l'indispensable réduction des émissions de gaz à effet de serre, ses enjeux restent cependant largement méconnus. Extrait de "L'adaptation au changement climatique", de Valentine van Gameren, Romain Weikmans et Edwin Zaccai, publié aux édition "La découverte" (1/2).

Valentine van Gameren

Valentine van Gameren

Valentine van Gameren est chercheuse au Centre d’études du développement durable (CEDD) de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Ses travaux portent principalement sur l’adaptation du secteur forestier au changement climatique.

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Romain  Weikmans

Romain Weikmans

Romain Weikmans est chercheur au CEDD de l’ULB et travaille sur les aspects internationaux de l’adaptation au changement climatique. Il a été chercheur visiteur à l’Environmental Change Institute de l’université d’Oxford.

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Edwin  Zaccai

Edwin Zaccai

Edwin Zaccai est professeur à l’ULB et directeur du CEDD. Il a enseigné à Sciences Po Paris et a publié plusieurs ouvrages de réflexion sociopolitique sur le développement durable.

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La caractérisation des changements climatiques susceptibles de se produire au cours des prochaines décennies au niveau planétaire est un exercice délicat. Il est encore plus complexe de déterminer les modifications que ces changements induiront sur l’environnement physique naturel et sur les écosystèmes. L’incertitude qui pèse sur notre connaissance des conditions climatiques futures est de deux types. Scientifique, d’abord : notre compréhension du fonctionnement du système climatique reste, malgré d’importants progrès, relativement limitée. L’incertitude est aussi — voire surtout — de type sociétal : ce sont les choix actuels et futurs en matière d’émissions de GES qui conditionneront principalement la nature et l’ampleur du changement climatique sur le long terme.

Pour établir les projections climatiques contenues dans ses troisième et quatrième rapports d’évaluation, le GIEC [2001 ; 2007] a recouru aux scénarios décrits dans le Special Report on Emissions Scenarios (SRES) (Rapport spécial sur les scénarios d’émissions) [Nakicenovic et Swart, 2000]. Ces projections décrivent les réactions du système climatique par rapport à des scénarios d’émissions de GES (le système climatique est en effet particulièrement sensible à la concentration de GES dans l’atmosphère). Si l’on parle de projections climatiques et pas de prévisions climatiques, c’est parce que les scénarios en question reposent sur un certain nombre d’hypothèses — qui peuvent ou non se réaliser — concernant les évolutions économiques, démographiques, technologiques, etc., que connaîtront les sociétés dans le futur, et qui détermineront, entre autres, leurs émissions de GES. Les scénarios SRES sont ainsi organisés en quatre familles (A1, A2, B1 et B2) selon les hypothèses posées au sujet des futurs socioéconomiques.

Le cinquième et plus récent rapport d’évaluation du GIEC se fonde sur un nouvel ensemble de scénarios dits « RCP » (Representative Concentration Pathways, ou trajectoires de concentration représentative), même si certaines données de la littérature scientifique synthétisée dans ce rapport reposent toujours sur les scénarios SRES. Plutôt que de partir de scénarios d’évolutions socioéconomiques (qui mènent à des trajectoires données d’émissions de GES), les nouveaux scénarios ont pour points de départ différentes concentrations de GES et d’aérosols dans l’atmosphère. Au contraire des scénarios SRES, les scénarios RCP ne sont donc pas associés à des scénarios socioéconomiques particuliers et peuvent résulter de la combinaison de divers futurs économiques, technologiques, démographiques, politiques et institutionnels [GIEC, 2013]. Cette approche permet d’explorer différentes possibilités d’évolutions technologiques et socioéconomiques, notamment celles qui prennent en compte des politiques de réduction des émissions de GES (les scénarios SRES ne faisaient pas l’hypothèse d’efforts explicites d’atténuation).

Par ailleurs, les scénarios RCP couvrent la période 2000-2300 de façon à faciliter l’exploration des impacts climatiques à très long terme. Comme l’illustre la figure 1, quatre RCP furent sélectionnés, définis et nommés en fonction de leurs effets sur le bilan énergétique du système climatique entre 1850 et 2100 (différence entre le rayonnement solaire net reçu et le rayonnement infrarouge émis au sommet de la troposphère).

Jusqu’aux années 2040 environ, les émissions passées de GES et l’inertie du système climatique nous engagent irrémédiablement dans un certain niveau de réchauffement, et ce quels que soient les efforts entrepris en matière d’atténuation (voir figure 1 et tableau 1). Les bénéfices des actions actuelles de réduction des émissions de GES ne se feront donc sentir que dans trois décennies, environ. Les modèles climatiques à notre disposition limitent assez fortement notre connaissance des changements climatiques qui vont se produire durant cette période. Même si les traits caractéristiques les plus forts sont connus (les régions sèches deviendront en moyenne plus sèches et les régions humides plus humides, le réchauffement sera plus important sur les continents et aux hautes latitudes, etc.), la variabilité naturelle du système climatique est à ce point importante qu’il reste difficile de fournir des projections détaillées à des échelles plus fines que pour les continents ou les grandes régions du monde. Or nous savons que ces connaissances sont précieuses pour envisager l’adaptation.

Les conditions climatiques qui régneront sur la Terre au-delà du milieu du siècle seront, quant à elles, principalement déterminées par les émissions humaines actuelles et futures de GES. Si les négociations internationales établies sous l’égide de la CCNUCC ont permis d’aboutir, en 2010, à l’objectif consistant à limiter le réchauffement à 2 ºC par rapport à l’ère préindustrielle, les promesses de réduction des émissions (à la fois celles qui ont été officiellement annoncées et celles qui sont en cours de considération) permettront seulement (et si elles sont pleinement honorées) de limiter l’élévation de la température globale à environ 3,8 ºC à l’horizon 2100 [AIE, 2013 ; Climate Action Tracker, 2013]. L’objectif des 2 ºC est donc désormais considéré comme extrêmement difficile à atteindre par de nombreux scientifiques et observateurs. Pour avoir 50 % de chances de ne pas dépasser les 2 ºC, il serait en effet nécessaire de mettre en oeuvre des politiques d’atténuation permettant par exemple d’atteindre un pic des émissions mondiales en 2016, suivi d’une baisse des émissions de 5 % par an, ce qui est considérable [Arnell et al., 2013]. Si le pic des émissions intervient plus tard, les réductions devront être encore plus fortes et seront aussi plus coûteuses. Le respect de l’objectif des 2 ºC n’est pas géophysiquement impossible. Les efforts d’atténuation qu’il impose contrastent cependant fortement avec les tendances récentes : les émissions mondiales de CO2 ont augmenté en moyenne de 3,1 % par an durant les années 2000, et ont crû de 58 % entre 1990 et 2012 [Peters et al., 2013].

Le tableau 1 reprend de façon synthétique un certain nombre d’exemples de changements (1) observés depuis la fin de l’ère préindustrielle, (2) projetés pour un réchauffement limité à 2 ºC (l’objectif de la communauté internationale), et (3) projetés pour un réchauffement atteignant 4 ºC au cours du XXIe siècle (le niveau vers lequel nous mènent les tendances passées et actuelles en matière d’émissions). La figure 2 présente de façon simplifiée des exemples d’impacts du changement climatique attendus dans différentes régions du monde au cours du siècle. Salinisation des nappes aquifères, fonte du pergélisol (sol gelé en permanence), modification des aires de distribution des espèces nuisibles et des maladies : les impacts auxquels il faut s’attendre sont nombreux à être absents de ces infographies, y compris pour un réchauffement limité à 2 ºC. Le simple énoncé de ces impacts ne reflète pas non plus complètement la probabilité et l’incertitude associées à une augmentation des phénomènes extrêmes, pas plus qu’il ne définit les seuils au-delà desquels se produiraient des catastrophes irréversibles. Le changement climatique est intuitivement pensé comme une élévation graduelle de la température moyenne du globe. Cette description obscurcit cependant la complexité de la réalité, pour au moins deux raisons.

Premièrement, les données disponibles laissent supposer que les changements projetés pourraient fort bien intervenir sous forme d’à-coups et de ruptures successifs, plutôt que de façon progressive. Par exemple, la fonte rapide des nappes glaciaires du Groenland ou de l’Antarctique, voire des deux, représente l’un des multiples « points de rupture » possibles au sein du système climatique, où chaque changement peut aussi signifier le franchissement d’un point de non-retour au-delà duquel le système rompt avec son état précédent, augmentant en conséquence la potentialité d’impacts majeurs. Un autre exemple : à partir d’un certain niveau de réchauffement (4-5 ºC, peut-être moins), la biosphère tendrait à devenir une source nette d’émissions de GES, entraînant un emballement du phénomène du changement climatique puisque la température croissante augmenterait la génération de GES, qui eux-mêmes contribueraient à augmenter la température, et ainsi de suite (rétroaction positive). L’une de ces sources serait la fonte du pergélisol, qui, en certains endroits, libérerait des quantités considérables de méthane, un gaz au pouvoir perturbateur du climat plus élevé que le CO2.

Deuxièmement, il importe d’être conscient que la température moyenne du globe n’est qu’une abstraction, commode pour la communication et la discussion au niveau des modèles planétaires. Les répercussions du changement climatique seront très différentes d’une région à l’autre et entreront souvent en interaction entre elles mais aussi avec d’autres pressions sociales, vers lesquelles nous nous tournons à présent.

Extrait de "L'adaptation au changement climatique", de Valentine van Gameren, Romain Weikmans et Edwin Zaccai, publié aux éditions "La découverte", 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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