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Cette insupportable préférence française pour le chômage : pourquoi les cotisations patronales perturbent les négociations salariales
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Caillou dans la chaussure

Les négociations salariales portent sur le salaire brut alors que la rémunération des salariés coûte 40% à 50% de plus au négociateurs patronaux. Cinquième épisode de notre série sur le marché du travail. (5/6)

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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A (re)lire, les précédents épisodes de cette série :

Comment transformer la solidarité intergénérationnelle stupide en échange intergénérationnel intelligent
Quand ouvrira t-on les yeux sur la nécessité d'un vrai marché du travail ?
Comment sortir l'assurance maladie des "droits à"
- Comment se débarrasser du salaire brut ?

Le salaire moyen allemand, supérieur  à son homologue français au début du siècle, lui est devenu légèrement inférieur. Cela n’a pas été le résultat d’une manipulation des prélèvements obligatoires comparable à ce que des "experts" autoproclamés voudraient obtenir des pouvoirs publics français. Tout simplement, les négociations salariales, dans les branches et dans les entreprises, ont débouché sur des gains de rémunérations très modestes. Sur le marché du travail, les employeurs et les salariés (ou leurs représentants) ont compris qu’ils avaient intérêt à maintenir les prix à un niveau raisonnable. La compétitivité allemande a évidemment été confortée par cette modération salariale des dix dernières années, sans avoir besoin d’un "choc de compétitivité" administré par les pouvoirs publics fédéraux (qui en ont néanmoins réalisé un, de format minimal).

En France, l’accroissement du coût du travail provoqué par le passage aux 35 heures aurait dû conduire les chefs d’entreprise et leurs organisations à résister ensuite vigoureusement aux revendications salariales, au moins le temps de résorber ce "choc d’anticompétitivité" infligé par les pouvoirs publics. Ce ne fut pas le cas. Pourquoi ? La fixation du SMIC par les pouvoirs publics à des niveaux déraisonnables, accompagnée par des réductions de cotisations sociales patronales, c’est-à-dire par des subventions, a joué un rôle, direct et d’entraînement. D’autre part une vieille habitude patronale n’avait pas disparu : céder sur les salaires, en espérant se rattraper sur les prix. Mais cette stratégie est obsolète dès lors qu’il n’y a plus de monnaie nationale dont l’érosion pourrait venir au secours des producteurs. Il aurait donc fallu négocier pied à pied sur le marché du travail, ce qui n’a pas été fait. Au contraire, les organisations patronales ont tenté une fois de plus de faire subventionner le travail par l’Etat, quitte à adopter un paradigme totalement étatique de la protection sociale pour bénéficier de cette faveur.

Ce choix s’explique en partie par l’absence de prix commun aux vendeurs et aux acheteurs, absence qui plombe toute négociation relative aux salaires. Les négociateurs patronaux savent qu’ils doivent courir avec un caillou dans leur chaussure : la négociation porte sur le salaire brut, alors que la rémunération des salariés lui est de 40 % à 50 % supérieure. De plus, ils doivent négocier en même temps sur la répartition des cotisations entre la part patronale et la part salariale. Leurs homologues allemands n’ont pas ce souci : la règle bismarckienne d’égalité entre ces deux parts simplifie considérablement la discussion, presque autant que si celle-ci portait sur le salaire super-brut. En France, hélas, une énergie considérable est dissipée, en pure perte, pour essayer de refiler la patate chaude des prélèvements sociaux (cotisations et CSG).

Le patronat a d’ailleurs obtenu des succès en la matière : la part salariale augmente davantage que la part patronale. Mais il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus, car les revendications salariales redoublent quand le salaire net est amputé par des prélèvements sociaux, et le patronat sait mal leur résister.

Il faut donc impérativement mettre fin à ces négociations oiseuses et contre-productives sur la répartition des prélèvements sociaux entre leurs deux composantes, salariale et patronale. Pour cela, la solution la meilleure serait de supprimer la composante patronale, ce qui est extrêmement simple à faire, comme il a été expliqué dans un article antérieur de cette série. Un second choix serait de se rallier à la règle bismarckienne des 50/50, mais deux raisons devraient nous en dissuader : premièrement, les Français ne sont pas des Germains, ils ne respectent jamais une règle de ce genre dans la durée ; deuxièmement, pour combler son handicap la France n’a pas à faire comme l’Allemagne, mais mieux qu’elle. Ne choisissons donc pas une solution traditionnelle qui pourrait à la rigueur faire l’affaire : osons une solution novatrice qui conférera à notre pays un net avantage comparatif au niveau institutionnel, en rendant ses citoyens directement responsables du prix à payer pour disposer d’une bonne protection sociale. Instituer deux négociations parfaitement distinctes, l’une concernant la rémunération du travail, et l’autre le prix, la qualité et le volume des services de protection sociale, est la réforme institutionnelle dont la France a besoin pour se réveiller de sa longue léthargie.

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