Cette indigne pression exercée sur ceux qui osent s’alarmer des Allah Akbar lancés pendant les manifestations pro-palestiniennes <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants brandissent des drapeaux palestiniens lors d'une manifestation à Paris, le 22 octobre 2023.
Des manifestants brandissent des drapeaux palestiniens lors d'une manifestation à Paris, le 22 octobre 2023.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Liberté d'expression

Des personnes sur les réseaux sociaux qui critiquaient les manifestants qui criaient Allah Akbar pendant les rassemblements pro-palestiniens à Paris ont fait amende honorable après avoir été accusées d’être islamophobes. La liberté d’expression est-elle de plus en plus menacée en France ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Noémie Issan, qui affirmait sur Twitter que « Allah Akbar » était une légitimation de la guerre par le droit divin, ou encore Marine Tondelier qui critiquait ceux qui criaient « Allah Akbar » pendant les manifestations pro-palestiniennes, ont fait amende honorable après qu’on les a accusées d’être islamophobes. Pourquoi est-il devenu impossible de s’indigner de ce genre de choses, qui devraient pourtant faire l’unanimité ?

Vincent Tournier : Le fait de crier Allah Akbar dans une manifestation n’est pas anodin : cela veut dire que la manifestation est placée sous les auspices de la religion. Certes, il est normal que chaque culte adresse ses louanges à Dieu, mais il y a des circonstances pour le faire, et d’autres qui ne le sont pas. La gauche devrait logiquement dénoncer cette situation car l’espace public n’est pas censé être accaparé par des forces religieuses. La réaction de Marine Tondelier correspond à un réflexe classique de part de la gauche laïque. Ce qui est plus surprenant, ce sont les pressions qu’elle a reçues, et le fait qu’elle ait rapidement dû faire amende honorable. Qu’il soit désormais devenu impossible de rappeler une règle élémentaire de la vie politique est inquiétant. C’est d’autant plus inquiétant que la manifestation pro-palestinienne se tient juste après les massacres commis par le Hamas en Israël. Manifester son soutien aux Palestiniens de Gaza à ce moment-là, et en se plaçant sous le signe de la religion musulmane, est la meilleure manière de dégrader l’image des musulmans. Si le but des organisateurs était de créer une confusion entre l’islam et l’islamisme, c’est plutôt réussi.

A quel point ceux qui usent des procès en islamophobie s’en servent-ils pour imposer leur idéologie ?

Le problème se situe moins sur le terrain de l’idéologie que sur celui de la stratégie politique. La notion d’islamophobie est utilisée par les islamistes pour interdire toute critique à leur égard de façon à pouvoir mener à bien leur travail d’implantation et de consolidation au sein de la société française ou ailleurs. Il s’agit aussi, en utilisant la logique de la victimisation, de s'acheter une respectabilité car, en présentant les musulmans comme des victimes, les islamistes peuvent tisser des liens avec les mouvements de gauche, lesquels se sont donnés eux aussi pour mission de défendre toutes sortes de victimes au nom de la lutte contre la domination. L’islamophobie permet ainsi aux islamistes de faire coup double : d’une part ils se protègent contre les critiques, d’autre part ils rattachent leur agenda religieux au monde militant et associatif. Et au passage, elle leur permet de renforcer le ressentiment à l’encontre de la société française, dont elle fait un parfait bouc émissaire.

La règle du « pas d’offense » a-t-elle des limites à partir du moment où elle est fondée sur des évaluations subjectives ?

Notre société a développé une culture de la sensibilité, voire de l’hypersensibilité, ce qui conduit à récuser toute critique à l'égard des groupes considérés comme opprimés. Cette culture de la sensibilité se traduit par une formule bien connue : il ne faut pas stigmatiser. Le problème de cette injonction est qu’elle interdit de poser les problèmes, donc de mettre en œuvre une régulation lorsque cela s’avère nécessaire. Par exemple, pour limiter les incivilités sur la route ou les ravages du tabagisme, il a bien fallu stigmatiser les chauffards ou les fumeurs. Le problème est très comparable avec l’islamisme, même si les enjeux politiques sont bien plus considérables : si l’on veut casser la spirale régressive dans laquelle celui-ci enferme les musulmans, il faut accepter d’être offensant. Un discours plus offensif à l’égard de l’obscurantisme religieux ne ferait sans doute pas de mal. Après tout, c’est ce qui a été fait jadis pour les catholiques et les sectes, et la gauche a souvent été en première ligne dans ces batailles.  

Ceux qui font amende honorable le font-ils par peur des représailles ?

C’est évident. La peur est devenue omniprésente dans la société française. Il y a deux types de peur. La première, la plus dramatique, est physique : on craint pour sa vie. Cette peur découle des grands attentats du type de Charlie Hebdo ou Bataclan, mais aussi des attentats de moindre ampleur comme les assassinats de Samuel Paty ou de Dominique Bernard, auxquels s’ajoute évidemment la violence du quotidien qui peut surgir dans le bus ou à la sortie d’une boîte de nuit. Ces « petits » attentats ont au moins autant d’impact sur la société car ils touchent tout le monde. Chacun se sent concerné, chacun sait qu’un drame peut arriver à tout moment, depuis l’enseignant qui fait son cours jusqu’à la jeune fille qui rembarre un prétendant en passant par le médecin qui ausculte son patient.

La seconde peur est de nature plus sociale. Les réseaux sociaux ont acquis un pouvoir très important. Une fois lancés, ils peuvent provoquer la mort sociale d’un individu. C’est une forme moderne d’excommunication, contre laquelle l’Etat est bien impuissant.

Tout ceci rend très compliqué la prise de parole. Personne n’ose prendre le moindre risque. Il suffit de regarder les communiqués des universités à propos de l'hommage à Samuel Paty ou à Dominique Bernard : très peu osent mentionner l’islamisme. C’est une attitude rationnelle : il y tout à perdre, rien à gagner. Pour les responsables politiques, mais aussi pour tous ceux qui sont médiatiquement exposés, les risques sont encore plus importants.

Dans quelle mesure la liberté d’expression sur certains sujets est-elle menacée en France ?

Il y a aujourd’hui une offensive assez générale sur la liberté d’expression. Elle est attaquée par les mouvements islamistes, dont on a bien compris qu’ils veulent restaurer un délit d’offense ou de blasphème, mais elle l’est aussi par tous les mouvements qui se sentent investis d’une mission sacrée, et ils sont nombreux. Face à une telle offensive, les pouvoirs publics n’ont pas une attitude très claire, notamment parce qu’ils ont tendance à accéder à certaines requêtes pour apaiser les uns ou les autres.

Un autre problème est que l’un des lieux qui est censé préserver et chérir cette liberté, en l’occurrence l’université, fait face à des pressions considérables. Tous les groupes militants sont en effet présents à l’université, où ils sont même encouragés à agir en vertu de la politique qui tend à valoriser l’engagement militant. Or, face à de telles pressions, il ne suffit pas de proclamer que la liberté est sacrée : il faut aussi mettre en place des mécanismes concrets pour la préserver et l’encourager. C’est tout le contraire qui est fait actuellement.

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