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Cette erreur que commettent les élites françaises quand, à force de snober Internet, elles l'abandonnent à la fachosphère
©Reuters

Erratum

Sur les médias officiels, l'élite française vit dans ses certitudes inébranlables, loin des préoccupations quotidiennes du "peuple". Internet, par réaction, sert de refuge à tous les autres.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le site Ebuzzing a publié la semaine dernière un classement d’influence qui montre la domination idéologique de la fachosphère. 

Personnellement, je ne suis pas un grand fanatique de ces classements dont les unités de mesure ont toujours quelque chose de mystérieux, et souvent de dangereux : on ne sait jamais trop à quoi tout cela correspond, ni quelle est la rigueur de la méthode, et en bout de course on confond la réalité avec le classement qui prétend la mesurer. C’est un peu comme la croissance : élément commode pour se situer dans une féroce concurrence internationale, la croissance demeure un point de vue biaisé sur les choses, sur la prospérité notamment, et les esprits libres prennent bien garde de ne pas confondre ces deux notions fondamentalement différentes.

Dans le cas de Ebuzzing, le classement des blogs politiques, par exemple, semble ne pas tenir compte de l’audience, mais de l’influence du blog. Cette influence se mesure au nombre de liens qui renvoient vers le blog. Autrement dit, Ebuzzing classe en meilleure position un blog lu par 100 personnes qui produisent un lien vers ce blog (par exemple dans un commentaire laissé sur le site d’un quotidien), plutôt qu’un blog lu par 10.000 personnes inertes. Ce petit rappel de définition n’est évidemment pas neutre.

N’empêche, le classement de septembre laisse songeur : alors que, jusqu’ici, le blog de Mélenchon et le blog de Soral se tenaient la bourre, le décrochage est très fort en septembre. Mélenchon est passé en 8è position, et Soral triomphe. Le blog d’Alexis Corbières, lieutenant de Mélenchon (genre commissaire politique à Moscou 1936), est tombé aux oubliettes alors qu’il était jusqu’ici dans le top 5.

Les 5 premières places du classement sont aujourd’hui trustées par des blogs de la fachosphère. La léninosphère occupe les places suivantes, avec juste un intrus UMP pour les séparer.

J’insiste, ne tirons pas de conclusion abusive de ce classement, qui ne dit au fond qu’une réalité de rétroliens et de citations. Il n’en demeure pas moins que la gauche est extraordinairement absente de cette réalité-là, et que l’extrême-gauche a du mal à soutenir la comparaison avec la fachosphère.

J’en tire deux observations majeures.

Première observation : la fachosphère, par sa nature idéologique, se prête mieux que n’importe quel mouvement à l’occupation du terrain numérique. Tiens ! je vais encore écrire une stupidité provocatrice ! mais si l’on admet que la fachosphère regroupe ceux que l’on appelait à une époque le peuple de la forêt (je renvoie ici au personnage du Grand Forestier dans les Falaises de marbre d’Ernst Jünger – les initiés apprécieront), elle se sent évidemment très à l’aise avec la logique virale et tribale d’Internet. Là où la rationalité cartésienne et individualiste constitue un handicap pour les mouvements tributaires d’une autre vision du monde (je pense au peuple de la mer d’Ernst Jünger, encore une fois).

C’est probablement un défi pour les mouvements rationalistes, dans leur ensemble, d’entrer dans une logique numérique infiniment mieux adaptée à d’autres traditions idéologiques. Les facultés de réflexion individuelle, de froid raisonnement produits par notre éducation officielle constituent autant de handicaps dans l’appréhension de ce qu’est la collaboration sur Internet.

Seconde observation : les élites françaises, qui méprisent encore profondément le savoir Internet (je dînais récemment avec un journaliste reconnu sur la place de Paris, qui me demandait: "mais quel est l’impact d’Internet, en fait?" sous-entendu : "impact nul"), ont sanctuarisé l’occupation du Net par ceux qu’elles ne veulent pas recevoir dans leurs salons ou sur leurs plateaux de télévision. A force de mépriser les "dissidents", à force de les diaboliser, de les stigmatiser, de les vouer aux gémonies de l’Histoire (nous avons tous en mémoire les propos du matinalier de France Inter, Patrick Cohen, sur ceux qu’ils jugent indésirables), l’élite française a construit une sorte de muraille de Chine entre l’expression Internet et l’expression médiatique officielle.

Sur les médias officiels, l’élite française vit dans ses certitudes inébranlables, dans son quant-à-soi policé, loin des préoccupations quotidiennes des Français. Les médias officiels (presse écrite nationale comprise), c’est le paradis de la bien-pensance, de la pensée unique, des vérités assénées au mépris des évidences, et surtout de l’anesthésie permanente de l’esprit critique. Au fond, c’est le théâtre de la Cour de Versailles.

Internet, par réaction, sert de refuge à tous les autres : les dissidents, les décrypteurs, les lanceurs d’alerte. L’élite française a décidé d’y cantonner, dans une indifférence méprisante, la fachosphère qu’elle déteste, tant, bien entendu, que cette fachosphère est minoritaire. Les ralliements de 1940 ont montré comment ces murailles de Chine sont fragiles par grosses intempéries.

Ce calcul est une grave erreur, parce qu’il montre bien que la crise spirituelle que la France traverse n’est pas liée à un problème économique, mais à une rupture dans les modes de pensée, de communication et d’expressions entre une élite de plus en plus obsolète, et de plus en plus accrochée à ses privilèges hors d’âge, et des mouvements émergents dans la société, où le rejet du système officiel passe une alliance tactique avec le décryptage d’une autre réalité.

Ainsi naissent les révolutions.

*Cet article a précédemment été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe.

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