Cet étonnant virage pro-occidental de Vladimir Poutine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe peut avoir le sourire : pes politiques pro-Poutine ou pro-russes ont le vent en poupe en France.
Le président russe peut avoir le sourire : pes politiques pro-Poutine ou pro-russes ont le vent en poupe en France.
©Reuters

C'est louche

A l'occasion de son discours annuel devant l'assemblée fédérale, ce premier décembre, Vladimir Poutine a exprimé un désir de rapprochement avec l'Occident.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Dans son dernier discours, message annuel adressé à l'assemblée fédérale, Vladimir Poutine s'est montré particulièrement conciliant vis-à-vis de l'Occident et des États-Unis. Il y a notamment expliqué que la Russie ne cherchait pas le conflit mais avait besoin d'amis. Comment expliquer un tel revirement pro-occidental ?

Florent Parmentier : Le Président Poutine a signé un nouveau décret en matière de politique extérieure de la Russie, qui reprend un certain nombre de discours forts martelés depuis des années, comme le principe de non-ingérence.

Mais certains éléments laissent apparaître un changement d’attitude de la Russie vis-à-vis des Européens et des Américains. On évoque par exemple de nouveau le fait que l’Union européenne reste un partenaire économique et politique important pour l’Etat russe, et pose de nouveau la question du régime de visa. On déplore la présence de l’Otan aux frontières de la Russie, mais on entend bâtir des relations avec l’Alliance sur le fondement d’un partenariat efficace.

Ce rapprochement n’est pas si surprenant dans la mesure où Vladimir Poutine avait commencé son premier mandat avec une volonté marquée de rapprochement avec les Etats-Unis dans la foulée du 11 septembre. C’est avec la guerre en Irak et suite au discours de Munich (février 2007) que les relations s’étaient nettement détériorées, jusqu’à la guerre avec la Géorgie (août 2008). La politique du "redémarrage" sous Obama n’a pas eu les effets escomptés, avant que la relation ne subisse sa plus grande détérioration depuis la chute de l’URSS avec le conflit en Ukraine en 2014, et l’annexion de la Crimée.

L’inflexion à laquelle nous assistons dépend d’une structure d’opportunité où le Kremlin voit des gouvernements plus favorables arriver dans un certain nombre de pays-clés, dont évidemment en premier lieu les Etats-Unis.

Cyrille Bret : Il est encore très prématuré de parler de revirement pro-occidental. Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est une inflexion dans les discours. Les différences présidences Poutine sont coutumières de l'aller-retour entre le chaud et le froid. La conjoncture actuelle est particulièrement favorable à la Russie : d'un côté, il existe désormais une perspective de remontée des cours du pétrole. De l'autre, plusieurs responsables politiques occidentaux – aux affaires ou seulement candidats – se sont déclarés favorables à une levée des sanctions qui pèsent aujourd'hui sur la Russie. N'oublions pas non plus la victoire militaire nette, dorénavant à portée de main, en Syrie. Toutes ces dimensions offrent à Vladimir Poutine une position de force qui lui permet d'être plus conciliant pour rompre l'isolement de la Russie.

Nous sommes encore très loin d'un revirement pro-occidental du président russe. Les tensions militaires, politiques, diplomatiques et médiatiques demeurent innombrables entre l'Europe et la Russie ou les États-Unis. En vérité, ce n'est même pas un début : c'est une technique de communication. C'est de l'affichage de la part de Vladimir Poutine, mais il faut bien réaliser qu'il n'y a pas de rapprochement à l'ordre du jour.

L'année 2017 devrait être celle de Vladimir Poutine : le tempo lui est très favorable. Ce sera d'abord la prise de fonction très progressive du président Trump, qui n'a pas d'expérience de la diplomatie. Cela laissera donc six mois de liberté et de marge de manœuvre au président russe. Ce sera également l'élection française, qui paralyse traditionnellement l'action de nos autorités. En Allemagne, la situation devrait être la même. Par conséquent, sur les différents fronts syrien, ukrainien, et des sanctions, l'année 2017 devrait bénéficier à Vladimir Poutine. Il devra affronter les électeurs à la fin de l'été dans cette position très confortable.

On peut également noter que Vladimir Poutine rallie un certain nombre de chefs d'États occidentaux à ses thèmes : lutte contre l'islam, d'une part, faire du terrorisme une priorité absolue de la géopolitique mondiale, la reconstitution d'une zone d'influence russe en Europe… De plus en plus de leaders occidentaux le rejoignent sur ces thématiques. C'est le cas de Donald Trump, mais aussi de François Fillon – qui reste candidat pour l'instant – ou de Viktor Orban, le président hongrois. À ce titre, on peut dire de Vladimir Poutine qu'il promeut toute une série d'inflexions idéologiques importantes en Europe.

Dans quelle mesure une victoire quasi-totale de Vladimir Poutine, couplée à l'élection de Donald Trump, est-elle susceptible de chambouler l'ordre établi ? A quel point celui-ci est-il d'ores et déjà différent ?

Cyrille Bret : Rappelons, encore une fois, qu'il s'agit de communication avant tout. La victoire n'est absolument pas totale. L'économie russe reste en très mauvaise forme. La Russie est toujours la cible de sanctions internationales américaines et européennes. En outre, l'élection de Donald Trump aux États-Unis et la potentielle victoire de François Fillon à la présidentielle 2017 ne sont pas de nature à favoriser plus qu'un rapprochement. Sur plusieurs dossiers, comme celui du respect de la souveraineté des États baltes, de la Finlande, de la Pologne ou de l'Ukraine, les points de vues occidentaux et russes sont proprement inconciliables. Les grands déterminants ne sont pas amenés à varier. De même, sur la question du retour de l'influence russe au Moyen-Orient, l'objectif poursuivi par la Russie est la création d'un axe reliant Damas à Téhéran en passant par le Hezbollah. Les Occidentaux ne peuvent définitivement pas accepter.

Il peut y avoir des rapprochements, voire une levée des sanctions, un apaisement des mesures militaires dans les États baltes, mais guère plus. Avant la normalisation des relations, qui prendra un temps considérable, il faudra passer par un réchauffement de celles-ci, dont on sait à quel point elles sont tendues aujourd'hui.

Florent Parmentier : En matière de politique internationale, les continuités sont difficiles à chambouler. Il est évident que le nouveau gouvernement américain a une perception différente des intérêts nationaux que si Hillary Clinton avait accédé à la Maison Blanche. Pour le moment toutefois, la tonalité des échanges peut changer, mais il faudra voir la réalité des comportements après l’intronisation de Donald Trump.

Qu'est-ce que cela implique pour l'Europe et particulièrement la France ? À quelle échelle de temps est-ce le plus susceptible de se concrétiser ?

Florent Parmentier : Les politiques pro-Poutine ou pro-russes ont le vent en poupe en France. Il y a plusieurs nuances de poutinisme, l’associant soit à l’anti-impérialisme (Jean-Luc Mélenchon), soit aux valeurs nationales et hostiles à Bruxelles (autorité de l’Etat, valeurs traditionnelles et patriotisme) qui peut aller jusqu’à l’extrême-droite, soit à la figure du dirigeant décidé et prêt à imposer des réformes (droite filloniste), soit au réalisme d’une gauche mitterrandienne. Toutefois, les forces de rappel existent, tant sur les alliances au Moyen-Orient que sur l’impératif européen.

La France aura énormément de mal à convaincre la plupart de ses collègues européens de rejoindre une ligne plus clémente vis-à-vis de la Russie. Mais elle peut jouer sur un rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis pour consolider son discours, et devenir l’avant-garde du mouvement pour l’abolition du régime de sanction envers Moscou, y compris au sein de l’Europe.

Cyrille Bret : Il y aura d'abord une échéance de très court terme. D'ici la fin janvier, nous saurons si l'Europe lève en partie ou totalement ses sanctions. Sous la présidence Hollande, une levée des sanctions n'est pas envisageable. Sous l'impulsion d'une présidence Fillon, ce qui ne pourra avoir lieu qu'à partir de l'été 2017, on pourrait constater une inflexion. Il y aurait alors un nouvel examen des sanctions.

L'Europe est actuellement dans une période qui ne lui permet pas de prendre de grandes décisions. Et ce, que ce soit dans un sens pro-russe ou à l'inverse dans l'expression d'une certaine défiance à l'égard de la Russie. Compte-tenu du nombre de rancœurs qui s'accumulent auprès de chacun des partis, le rapprochement avec la Russie ne pourra être que lent.

Un tel rapprochement se concrétiserait par une levée des sanctions, la reprise des échanges agricoles et financiers, ainsi que par l'élaboration d'une solution de sortie de guerre en Syrie – avec un gouvernement capable de satisfaire les demandes de garanties russes et les impératifs de démocratisation qui sont promus par les Américains et les Européens. Sur certains secteurs économiques et sur la stabilité comme sur la sécurité en Europe, cela s'avèrerait certainement bénéfique. Cependant, ce rapprochement ne peut pas se faire sans certaines conditions, tant pour la Russie que pour l'Europe. Ces deux entités géopolitiques se sont fortement éloignées depuis une dizaine d'années.

Pour l'Europe, la première condition serait certainement la cessation des tests de souveraineté exercés par l'armée russe sur les différents pays européens. La Russie, pour sa part, s'avèrera intransigeante sur la défense de ses objectifs en Ukraine, avec au premier chef la protection des minorités russophones et des intérêts économiques russes en Mer Noire.

Face à de tels changement, quelles sont les options qui se posent à l'Occident ? Faut-il effectivement prôner un rapprochement avec (derrière ?) la Russie, où à l'inverse camper sur les positions en vigueur ces dernières années ?

Cyrille Bret : Ni l'un ni l'autre. Comme toujours, dans les relations internationales, il faut essayer de progresser pas à pas et trouver des terrains d'entente et de coopération. La relance de l'économie russe et des échanges avec l'Union européenne me semble être un bon premier pas à réaliser : les complémentarités sont évidentes. Le système bancaire russe est sous-développé et les besoins agricoles de la Russie sont très importants. C'est le premier domaine dans lequel on peut trouver des marges de coopération. Cependant, nous sommes encore loin d'un véritable rapprochement.

Florent Parmentier : Pour la France, le rapprochement aurait des coûts dans les relations avec la Pologne et l’Ukraine. Mais il faut reconnaître que le premier pays vient de lâcher Airbus Group sur le contrat des hélicoptères Caracal, contrat qui était une contrepartie de la non-vente des Mistrals ; tandis qu'avec le second, la France a une présence mais une politique essentiellement centrée sur les accords de Minsk.

Face à la Russie, il faut savoir poser un rapport de force avant de négocier : camper sur des positions n’est pas productif, mais il n’est pas certain qu’un rapprochement sans contrepartie ne représente nos intérêts. Il reste à voir si l'arrivée au pouvoir de gouvernements favorables à la Russie sera en mesure d’impulser du changement dans les tensions actuelles.

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