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Ces mesures qui doivent accompagner la relève de l’âge de la retraite pour lui donner du sens (et une chance de faire une vraie différence)
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Quels emplois pour les seniors ?

A l’occasion de son intervention lors du Grand Jury RTL, Agnès Buzyn, ministre de la santé, a pu évoquer la nécessité d'allonger la durée du travail, afin de préserver notre système de retraites.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico: Quelles seraient les mesures à mettre en oeuvre afin de rendre un allongement de la durée du travail "efficace" ?

Alexandre Delaigue: Le problème de fond est que l’on sait très bien que les taux d’activité commencent à plonger à partir de l’âge de 55 ans. Nous avons déjà eu un peu d’expérience d’allongement de l’âge de la retraite avec les différentes réformes qui sont intervenues, et on a constaté que cela avait tendance à augmenter un peu les taux d’activité, c’est à dire que les gens qui se retrouvaient à devoir travailler un peu plus longtemps avant de pouvoir bénéficier d’une retraite avaient la possibilité d’augmenter leur activité. Mais malgré tout, si cela est quelque chose qui se poursuit, cela signifie qu’il va y avoir deux dimensions à traiter.

Premièrement, une dimension quantitative, c’est à dire que si l’on veut augmenter le taux d’activité dans la population, alors il faut que l’activité augmente et cela est quelque chose qui dépend de la demande globale. Nous sommes quand même dans un pays ou il y a un taux de chômage particulièrement élevé et dans un système où les salaires sont plutôt plus élevés pour les personnes plus âgées, ce qui est fonction de la structure de l’emploi ou les salaires augmentent avec l’ancienneté, il n’est donc pas si simple que cela de créer suffisamment d’emplois pour occuper les personnes plus âgées.

La deuxième dimension est plus qualitative, parce que les emplois doivent changer si ceux ci doivent être exercés par des gens de plus en plus âgés. On se glorifie beaucoup de la productivité du travail en France mais elle passe par beaucoup d’intensité, elle passe aussi dans certaines entreprises par un environnement toxique,  des salariés qui sont assez mécontents de leur travail, donc, imposer aux gens de devoir travailler encore plus longtemps n’est pas aussi facile que cela pour une grande partie des actifs en France. Il doit donc y avoir toute une réflexion sur la nature du travail simplement pour trouver une place pour des travailleurs qui seraient alors plus âgés. Sinon, tout ce que l’on fera sera de jeter des gens sur le carreau qui vont vivoter sur leurs économies en attendant de pouvoir toucher leur retraite, et cela ne sera pas une préservation de notre système de retraite mais cela sera tout simplement, de manière cynique et hypocrite, une baisse des retraites, et rien d’autre.

Comment expliquer ce biais de ne voir la question des retraites qu'au travers du prisme de l'offre du nombre d'heures travaillées ?

Il faudrait regarder la population des gens qui sont en politique. Leur caractéristique principale est que le moment où ils commencent à prendre leur retraite est le moment ou ils se rapprochent du cimetière. Donc manifestement, tout le monde n’a pas les mêmes problèmes en France, vis à vis du travail, et vis à vis du travail plus âgé.  Il y a ici un véritable problème de perspective sur ce qu’est la réalité de l’emploi pour un personnel politique pour lequel les difficultés de trouver et d’exercer un emploi sont inconnues ou un personnel managérial qui occupe soit des emplois dans la haute fonction publique ou dans des grandes entreprises sous forme de pantouflage qui la non plus, n’a aucune conscience de la réalité de l’emploi.   

Quels sont les risques inhérents à une telle approche si rien n’est fait sur les questions que vous soulevez, aussi bien du point de vue quantitatif que qualitatif ?  

Si nous n’arrivons pas à créer les conditions d’emplois permettant de faire de la place aux travailleurs âgés, et que d’un autre côté la demande globale ne suit pas pour offrir une hausse de la demande du nombre d’heures travaillées, alors cela fera peser l’ajustement sur les futurs retraités. L’essentiel de l’ajustement sur les retraites va peser sur des gens qui subissent déjà les hausses des cotisations pour les retraités actuels parce que ce sont eux qui sont en activité pour l’instant, et qui en plus, en contrepartie, auront des retraites de plus en plus limitées. On peut y ajouter une importante dimension d’inégalités parce que tous les salariés ne sont pas égaux.

Il y a beaucoup de gens pour qui l’espérance de vie en bonne santé  après 65 ans n’est pas très élevée parce qu’ils ont tout simplement eu un travail qui était fatiguant, ce qui a été montré par exemple par Philippe Askenazy notamment pour des emplois de service peu rémunérés, on peut penser aux caissières de supermarchés par exemple ou aux gens qui travaillent dans la logistique, dans des entrepôts. Pour ces personnes, il est difficile de leur demander de prolonger leur durée du travail. Si nous n’avons que cette seule variable d’ajustement, il sera alors extrêmement inégalitaire et ne sera pas un véritable ajustement sur les retraites.

La problématique du vieillissement est très importante, nous sommes confrontés à des sociétés qui vieillissent et on ne veut absolument pas les regarder autrement que sous l’angle du “ça coûte cher”. C’est un changement de société qui nous attend, un changement de rapport concernant le travail, la nature du travail, mais aussi concernant notre approche macroéconomique. Parce que c’est toute la réflexion autour de la question de ce qui est appelé la stagnation séculaire dans des sociétés qui vieillissent, la gestion de la demande globale devient encore plus primordiale.

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