Ces idées que la France pourrait importer du plan Milei de sauvetage de l’économie argentine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président argentin récemment élu a signé mercredi un décret modifiant ou abrogeant plus de 300 normes
Le président argentin récemment élu a signé mercredi un décret modifiant ou abrogeant plus de 300 normes
©LUIS ROBAYO / AFP

Sauvetage à la tronçonneuse

Le président argentin récemment élu a signé mercredi un décret modifiant ou abrogeant plus de 300 normes dont celles sur les loyers, les privatisations et le droit du travail

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Javier Milei a dévoilé mercredi un vaste décret d'urgence qui impose plus de 300 mesures pour déréguler l'économie du pays. Y aurait-il des idées dont s'inspirer dans le plan Milei pour sauver l'économie ?

Don Diego De La Vega : Plus que l’inventaire à la Prévert des 300 mesures, il est important de considérer la méthode employée par Milei. L'aspect positif est qu’il est un adepte de la théorie des 100 jours. A peine arrivé au pouvoir, il commence à agir et propose des mesures concrètes. C'est en revanche ce que j'avais reproché à Emmanuel Macron. Il n'avait rien fait de transcendant les 100 premiers jours. Il était donc possible de prévoir qu’il n’y aurait pas de grande réforme en 2017. Il faut toujours se méfier des gens qui vous disent “j'ai cinq ans pour réformer. Ne vous inquiétez pas, je ne fais pas de choses importantes durant les 100 premiers jours”. Cela veut dire que rien ne sera fait.

Pour vraiment pouvoir mener des réformes ambitieuses, Milton Friedman disait toujours de bien observer les 100 premiers jours, ils sont tout à fait révélateurs et stratégiques.

Cela va provoquer des changements assez rapidement. Comme il n'a pas une majorité absolue et au regard de la situation de l'Argentine le fait de mener ses réformes plus tard sera plus délicat. La méthode de Milei est donc positive. 

Par contre, le côté négatif concerne l'inventaire de 300 mesures. Cela veut dire qu'il n'y a pas de priorités très nettes, cela fait un peu catalogue. Il aurait été préférable d'insister sur des objectifs plus que sur des solutions ou des mesures. 

Au lieu de se disperser dans 300 mesures, il aurait été plus efficace de se concentrer et d’agir véritablement sur huit à dix points vraiment précis et urgents. Il aurait été possible de mettre beaucoup plus d'énergie et d’évaluer l’efficacité des réformes sur ces points définis. 

Lorsque l’on s’attaque à 300 mesures, c'est beaucoup plus difficile ensuite de s'opposer, d'évaluer et de faire la part des choses. Cela s’apparente un peu au programme des 110 mesures de Mitterrand, il aurait été beaucoup plus efficace s'il n’y en avait eu quinze. Le plan de Milei avec une si vaste étendue de mesures ressemble donc à un programme de Jacques Attali ou de Bruno Le Maire. L’étendue des mesures et des chantiers va forcément être une source de dispersion. Ce n’est jamais très très bon signe. Dans la méthode Milei, il y a donc des choses positives sur le timing et des choses moins positives sur la stratégie déployée avec l’étendue des mesures.

Est-ce que l'arrivée de Javiei Milei au pouvoir et ses plans économiques ne vont-ils pas aussi faire basculer les politiques monétaires ou l’attitude des institutions économiques vis-à-vis de l'Argentine, notamment le FMI ?

Il y a quelques années, le gouvernement Macri en Argentine était efficace et composé de personnalités compétentes et honnêtes. Ils se sont attaqués à des réformes et ont tenté d’agir le plus efficacement possible. Ils ont d'ailleurs été appuyés par le FMI. Mais au final, il y a eu beaucoup d'opposition face à eux et cela n'a pas fonctionné. Ils ont obtenu des résultats mais l'Argentine est revenue à ses vieux démons très rapidement. Si Mauricio Macri, qui est quelqu'un de très compétent, a eu des difficultés, ce n’est pas bon signe pour Milei. Il va devoir former des alliances et être malin. Il faut effectivement qu'il ait le FMI avec lui, mais ça ne suffira pas. Parce que Macri avait eu l’appui du FMI. Il faut que la communauté financière internationale ne passe pas son temps, via des fonds vautours, à réclamer des intérêts et des arriérés à l'Argentine. Il faut un soutien plein et entier de nombreux leaders et de certaines puissances comme la France et les Etats-Unis.

Macri était quelqu'un de relativement modéré et très présentable, il est difficile de concevoir que Javier Milei soit autant soutenu. Lula, le dirigeant brésilien, est sceptique. Mais Milei a beaucoup de bonnes idées pour l’économie de son pays, notamment la régulation du marché des transplantations d’organes. Cela coûte près de 40.000 morts aux Etats-Unis chaque année de ne pas avoir un marché efficient en la matière. 

Mais à peine arrivé, il faut faire un certain nombre de compromis. Il va falloir scruter comme les 300 mesures seront implémentées. J’ai des doutes sur le soutien extérieur. Pour le soutien intérieur, cela ne va pas être facile. Milei va devoir tenir contre la cristallisation d’un grand nombre d’intérêts corporatistes qui vont se liguer contre lui.

L’arrivée au pouvoir de Milei va-t-elle permettre un retour de la prospérité en Argentine ? Il avait notamment annoncé l'abrogation d'énormément de normes qui complexifient et freinent l'économie argentine ?

J'ai beaucoup cru à un tel scénario il y a huit ans avec Macri. Cela avait d'ailleurs très, très bien commencé. Mais finalement, tout le monde s'est retourné contre lui. Il a commis quelques erreurs qui lui ont coûté très cher et finalement il a perdu les élections et ses plans ont été enterrés. Il serait bon de méditer sur cet héritage de l'élection de décembre 2015 - janvier 2016. 

Javier Milei propose une approche beaucoup plus radicale, qui est plus risquée mais plus audacieuse. Or l'approche qui était plus raisonnable a échoué. La réussite du plan et des mesures de Milei pour transformer l’économie va dépendre du corps social argentin. Autrefois, les syndicats de gauche et la mentalité péroniste étaient déterminants. Il y avait des intérêts corporatistes très forts et très cristallisés.

La décision de faire tomber le taux d'inflation de 140 % est quelque chose de très raisonnable par exemple. Mais la période intermédiaire est très compliquée, avec une inflation très marquée. Ré-ancrer les anticipations d'inflation a un coût à court terme sur le taux d'emploi qui est très fort. En Occident, il y a eu une très grande casse sociale dans ce contexte dans les années 80. Pourtant, l’inflation était de 14 %. On n'avait pas une inflation à 140 %. Donc, le chemin de la réforme ne serait pas évident.

Parmi les mesures annoncées figure l'abrogation de la loi encadrant les loyers pour que le marché de l'immobilier recommence à fonctionner sans difficulté. Est-ce que l'arrivée de Javier Milei et sa méthode annoncent une dérégulation massive de l'économie argentine ?

Il faut l’espérer oui. La dérégulation massive de l’économie argentine pourrait être facilitée par l’arrivée au pouvoir de Javier Milei et suite au choc de ses mesures.

Tous les économistes partagent une idée assez négative sur l’encadrement des loyers. Il est rare qu'une mesure fasse autant l'unanimité contre elle. Les économistes se disputent sur beaucoup de questions budgétaires, monétaires mais il est très rare de trouver des points d'accord aussi unanimes sur la nocivité de l’encadrement des loyers. Cela a été très documenté, aussi bien en théorie qu'en pratique. L'encadrement des loyers introduit des distorsions majeures, des coûts sociaux gigantesques. Et dans un article très savoureux de la fin des années 40, Milton Friedman et Stiegler s'étaient amusés dans un article en comparant cela à des termites. L'encadrement des loyers est le plus gros destructeur d'une ville possible. Cela marche mieux que le napalm pour détruire une ville. C'est exactement ce qu'avait essayé la mairie de New York à l’époque de la publication de cet article. Il était allé très loin en matière d'encadrement des loyers à cette époque là. En 20 ans, New York était devenu un cloaque, une ville de squats, une ville très dangereuse, une ville où plus personne ne respectait la valeur de l'immobilier. Il a fallu ensuite démanteler ces réglementations pour retrouver une ville viable. 

Si Milei s'attaque à ça, cela aura un impact positif sur l’économie de son pays. Il faudrait également s'attaquer à la rigidité du marché du travail, aux questions monétaires, à différents éléments de soutien budgétaire qui forment l'inflation permanente. La liste est longue.

Mais est-ce que pour autant il faut se disperser à travers 300 mesures ? Cela n’est pas certain. Et dans la période de transition pour abolir, par exemple l'encadrement des loyers, il y aura des citoyens argentins qui vont y perdre et qui seront lésés.

Par exemple, des gens vont à nouveau devoir payer un loyer conforme au marché, alors que jusqu'ici, le fait d'avoir tel ou tel appui politique et d'être proche du parti péroniste permettait à tout un tas de personnes de payer leur loyer à des tarifs modérés. Dans la période de transition, cela sera compliqué. 

Dans beaucoup de pays en voie de développement, certaines choses sont subventionnées par exemple le prix du le prix du pétrole ou le riz. Lorsque tout d'un coup, vous retirez les subventions et l'encadrement des prix, même si vous faîtes un vrai marché fluide et que vous améliorez le sort de 90 % de la population, ceux qui perdent leurs petits avantages corporatistes vous le payer très cher.

Quels sont les bienfaits de la méthode Milei qui pourraient s'appliquer à la France et à l'économie pour une transformation en France ?

La méthode pourrait être une source d’inspiration mais la situation politique, économique et monétaire est bien différente en Argentine. L’expérience de Milei au pouvoir vient seulement de débuter. Il n’y a pas encore d’historique et de premier bilan à tirer.

La seule fois où des mesures libérales et honnêtes ont été appliquées et adoptées en Argentine, ce fut lors de la période de Mauricio Macri. Cela a duré quatre ans et cette politique a été renversée par la suite. Donc pour le moment, il est trop tôt pour tirer des enseignements définitifs sur la méthode Milei et sur sa capacité à transformer l’économie de son pays. La transposition de son plan et de ses mesures à l'économie française paraît très compliquée. Il est malgré tout intéressant de voir l'évolution sur le sujet du protectionnisme. L’Argentine est un pays traditionnellement avec des tarifs extérieurs et des tarifs douaniers importants. Cela devrait changer et cela va faire beaucoup de bien au pays. Mais c’est notamment l'une des raisons pour lesquelles les Argentins n'arrivent pas à exporter leurs produits. Ils font face notamment au protectionnisme agricole européen qui bloque énormément d’importations de viande en provenance d’Argentine.

La France est allée beaucoup moins loin et est restée moins longtemps dans une expérience politique et du pouvoir en faveur du socialisme, du protectionnisme ou d’une forme de perronisme. 

Certaines mesures du plan Milei pourraient être bénéfiques en France, notamment l’abrogation de l’encadrement des loyers. Il va être intéressant de suivre les avancées de ce nouveau laboratoire en Argentine.

En revanche, la France devrait retenir la leçon économique et politique de l’arrivée au pouvoir de Milei. Les pays émergents ont montré que devant une situation politique complètement bloquée, les citoyens font confiance à des partis radicaux, voire populistes pour résoudre la situation. A l’époque de Macri, des gens encore “raisonnables” avaient leur chance.

Dans de nombreux pays émergeants, mais aussi maintenant de plus en plus dans des pays développés, aux Pays-Bas, en Italie, des partis plus à droite, plus radicaux sont aux commandes et ont été plébiscités. Cela peut donc être une préfiguration de ce qui pourrait arriver en 2027 en France si le gouvernement persiste à être bassement centriste et à lorgner vers une politique qui amène à un blocage qui pourrait amener au pouvoir des responsables plus radicaux. Comme le disait John Fitzgerald Kennedy, “ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable”.

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