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Une photo prise dans le port français du Havre.
Une photo prise dans le port français du Havre.
©ROBERT FRANÇOIS / AFP

Mauvais chiffres

La France a enregistré, en 2021, le pire déficit commercial de son histoire. Il s’élève à 84,7 milliards d’euros, soit 20 milliards supplémentaires par rapport à l’année précédente. La France continue de perdre des parts de marché à l'exportation au sein de la zone euro.

François Geerolf

François Geerolf

François Geerolf est économiste, professeur à l'Université de Californie (UCLA).

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Atlantico : La France affiche le pire déficit commercial de son histoire à 84,7 milliards d'euros. Au-delà des raisons conjoncturelles liées à la crise Covid et au coût de l’énergie, dans quelle mesure ce résultat est-il le témoin de problématiques structurelles en France ?

François Geerolf : On a effectivement un problème structurel : la France connaît une dégradation de sa balance commerciale depuis la fin des années 1990, qui est devenue de plus en plus déficitaire au fil du temps (hormis une petite amélioration avec la baisse des prix de l’énergie dans les années 2010). La France a ainsi dépassé le précédent record atteint en 1982, qui avait d’ailleurs motivé le fameux « tournant de la rigueur ». A l’époque le déficit commercial de biens représentait – 4,6% du PIB, c’est aujourd’hui – 4,7 %. On a donc effectivement dépassé un record.

Cette dégradation de la balance commerciale des biens est évidemment liée à notre désindustrialisation et le lien entre ces deux phénomènes va dans les deux sens. Lorsque vous êtes plus désindustrialisé et que vous relancez la demande, votre demande va davantage d’adresser à des biens qui sont produits à l’étranger, donc votre balance commerciale se dégrade davantage. Et réciproquement : si vous avez tendance à acheter plus à l’étranger, ce que reflète une balance commerciale déficitaire, cela diminue la demande pour votre production nationale, qui accentue votre désindustrialisation.

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En 2021, la France est très déficitaire sur la balance des biens et excédentaire sur celle des services. Comment se décompose ce déficit, quels sont les secteurs qui sont historiquement excédentaires et ceux historiquement bénéficiaires ?

Historiquement et ce qui va de mieux en mieux, c’est le secteur du luxe : les parfums, les cosmétiques. L’excédent commercial actuel dans le secteur est record car la Chine a repris ses importations. Mais dans tout un tas de domaines, notre position ne fait que se dégrader. Le plus spectaculaire est sans doute l’automobile. D’un surplus dans les années 2000 grâce à nos fleurons français nous sommes passés à un déficit. Même dans le secteur agro-alimentaire dans lequel nous avions historiquement un surplus, ce n’est plus aussi bien qu’avant. Dans le secteur des machines, du matériel informatique, la situation se dégrade.

On pourrait se dire qu’on va compenser notre déficit du bien par nos services, de tourisme notamment. Mais à mon sens, cela ne suffira pas : ce que l’on échange au-delà de nos frontières, ce sont en grande majorité des biens, pas des services.

Dans quelle mesure l’euro et son influence sur la structure de l’économie française expliquent-ils ces problèmes ?

Il faut remarquer que le déséquilibre commercial de la France se trouve pour plus de la moitié à l’intérieur de la zone euro, c’est-à-dire dans ses échanges avec d’autres pays européens, comme l’Allemagne. C’est d’ailleurs ce déficit avec le reste de la zone euro qui se dégrade particulièrement en ce moment. Un débat récurrent est effectivement de savoir s’il existe un lien avec la monnaie unique. Les néo-keynésiens pensent, suivant la théorie des zones monétaires optimales de Mundell, que dans une zone à change fixe, le problème est qu’en cas de choc asymétrique, il n’est pas possible de dévaluer le taux de change, ce qui force à une déflation des salaires ou des prix pour regagner en compétitivité. Cette impossibilité de dévaluer le change en union monétaire est ce qui explique les tentatives de « dévaluation fiscale », qui tentent de répliquer au moyen d’outils fiscaux les effets d’une dévaluation du taux de change. C’est ainsi que Nicolas Sarkozy a fait une TVA sociale et que François Hollande a fait le CICE. C’est la logique que l’on suit, et qui est préconisée par la Commission européenne, depuis le début des années 2010. Or les rapports de France Stratégie ont montré que la politique du CICE ne marchait pas très bien. Par ailleurs, selon les néo-keynésiens, les problèmes de l’euro ne peuvent être par définition que des problèmes de court terme. Or, je pense que l’euro peut avoir des effets sur la désindustrialisation française également sur le long terme. A mon sens, le problème de l’euro est qu’il favorise les forts et défavorise les faibles en créant une zone de concurrence maximale en zone euro. Pour bien comprendre le phénomène : auparavant les exportateurs allemands ne savaient jamais à quel prix ils allaient vendre aux Français, car à chaque fois qu’ils avaient un déficit commercial important, les Français dévaluaient. Il y avait donc un risque de taux de change, cette incertitude faisait qu’il y avait moins d’investissement dans des capacités en Allemagne pour exporter en France. Aujourd’hui, avec l’euro, ce risque pour un exportateur allemand a disparu, ce qui lui permet de disposer d’une demande plus captive. Le deuxième effet est que cela favorise les mouvements de capitaux en zone euro. Cela veut dire que le déficit français peut être financé très facilement, c’est une bonne chose car on peut ainsi consommer plus qu’on ne produit sans crise de balance des paiements, mais d’un autre côté, cela gomme les frictions dans les mouvements de capitaux, donc cela favorise l’intégralité de ces mouvements, y compris ceux qui favorisent le déficit.  On a déjà observé cette situation quand la monnaie argentine s’est fixée sur le dollar, ce qui entrainait de grands mouvements de capitaux des Etats-Unis vers l’Argentine - aujourd'hui, la France est dans la position de l’Argentine et l’Allemagne dans celle des États-Unis dans les années 1990. Le troisième effet, l’économiste David Cayla en parle beaucoup, et Paul Krugman en avait parlé dans les années 1990, c’est l’effet d’agglomération : selon cette théorie, l’euro a un effet de diminution des coûts de commerce. Il favorise donc la concentration des activités industrielles qui s’installent là où elles sont déjà installées, en Lotharingie, en Italie du nord, en Allemagne, etc.

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Y-a-t-il des pays avec lesquels nous sommes structurellement en excédent et en déficit ?

Les déficits bilatéraux sont informatifs mais il ne faut pas leur donner trop d’importance. On observe une dégradation particulière avec les pays de l’Union européenne (+20 milliards depuis 2010) mais cela se dégrade globalement par rapport à tous les pays. C’est assez stable avec l’Allemagne, après une dégradation dans les années 2000 et cela s’est surtout manifesté dans les pays qui ont pratiqué l’austérité quand nous maintenions notre demande (Italie, Espagne, Grèce, etc.). Il y a des pays avec lesquels nous étions structurellement excédentaires, comme le Royaume-Uni dont la situation se dégrade (de 12 milliards à 8 milliards entre 2008 et 2021). Le Brexit a été une mauvaise nouvelle pour nous car il a mis en place un certain protectionnisme au Royaume-Uni qui était l’un des rares pays avec lequel nous sommes excédentaires (très léger avec les États-Unis ou la Suisse NDLR.). A l’inverse, avec la Chine, notre déficit commercial est bien plus important et ancien que les autres pays d’Europe. Cela explique aussi notre position singulière vis-à-vis de la Chine (comme le montre la difficulté à faire accepter une taxe carbone aux frontières lors de la dernière présidence française de l’Union Européenne sous Nicolas Sarkozy). La France a des intérêts souvent différents des autres pays de la zone euro. C’est aussi valable pour les relations avec le Royaume-Uni ou les États-Unis. Dans la guerre commerciale avec les États-Unis, nous nous sommes pris une balle perdue alors que la France ne contribue presque pas au mercantilisme de la zone euro. Historiquement, nous avons un surplus commercial avec l’Afrique, mais nous nous retrouvons aujourd’hui avec un déficit.

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Pourquoi la France s’en sort-t-elle moins bien que ses partenaires européens ? 

La France a maintenu sa demande et moins pratiqué l’austérité que certains de ses voisins dans les années 2010 (même s’il y a eu une vraie austérité en France, avec notamment une augmentation des impôts sur les ménages). Ainsi les importations ont-elles été maintenues quand elles freinaient ailleurs. Nous avons aussi un problème d’exportations. Nous perdons de plus en plus de parts de marché. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas pris soin de notre industrie, mais aussi par des coups de la malchance qui nous ont coûté cher : le nucléaire qui était une de nos forces, a vu sa demande chuter après Fukushima en 2011. Avec la crise Covid c’est la situation du secteur aéronautique qui est préoccupante. Nous avons peut-être trop délocalisé par rapport à nos voisins (de nombreux facteurs peuvent jouer : des raisons de structures actionnariales ou de mauvaises relations avec les syndicats, etc.)

Par ailleurs, nous avons très peu fait attention à ces problèmes-là pendant la crise Covid. Notre chômage partiel était le plus généreux d’Europe, cela a suscité des effets pervers très forts chez les multinationales qui préféraient faire tourner leurs capacités de production hors de France et toucher le chômage partiel en France. Il faut que lorsqu’on décide d’une politique macro, il faut qu’on se pose toujours la question de ses effets sur l’industrie car sur le long terme, le déclin de notre industrie se traduira forcément par une baisse du niveau de vie. Il y a aussi un problème de savoirs-faires qui sont partis et qu’il est difficile de faire revenir.

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Avec la présidentielle approchant, prend-on en compte suffisamment cette question du déficit commercial dans les débats et les propositions ?

La seule proposition qui est vraiment faite, c’est celle consistant à baisser les impôts de production. C’est une mesure réclamée de longue date par le patronat, mais je ne sais pas si elle peut vraiment suffire à réindustrialiser la France. Une des raisons pour lesquelles je suis dubitatif est que cela ressemble à mon sens à une politique de compétitivité-coût, or le CICE n’a pas marché donc il n’est pas sûr que ça fonctionne mieux. On donne de l’argent aux entreprises en baissant leur fiscalité et en espérant de bons résultats économiques. Ça me semble insuffisant.

Il faut à mon avis être ouvert sur d’autres choses. Réfléchir à favoriser la production sur notre sol pour les marchés publics par exemple. Certains diront que c’est du protectionnisme, mais il faut peut-être y réfléchir. Mais dans le cadre de l’Europe, c’est un peu compliqué et contradictoire.

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