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Ce que l'emploi des Google Glass changerait pour la police (et pour les honnêtes citoyens...)
©Reuters

RoboCop

La ville de New York a déjà acheté quelques modèles de Google Glass pour tester l'efficacité des lunettes à réalité augmentée. Ce qui risque de poser de sérieux problèmes en ce qui concerne le respect de la vie privée.

Maxime Pinard

Maxime Pinard

Maxime Pinard est directeur de Cyberstrategia, site d'analyse stratégique portant sur les enjeux du cyberespace et de la géopolitique en général. Il est adjoint aux formations à l'IRIS, en charge de l'enseignement à distance et de la formation "Action humanitaire : enjeux stratégiques et gestion de projet".

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Atlantico : La police de New York a récemment fait l’acquisition d’un petit nombre de Google Glasses, afin d’évaluer leur capacité à épauler les policiers (voir ici), notamment dans leurs missions de patrouille. Reconnaissance faciale, accès aux avis de recherche ou à la base de données criminelle : cet outil ne présente-t-il que des bons côtés ? Pourquoi ?

Maxime Pinard : Les Google Glasses apportent quelque chose de positif dans la mesure où elles sont censées améliorer le travail des policiers. Ils auront accès à davantage d’informations sur les personnes qu’ils seront amenés à interpeler, et surtout ils pourront accélérer leur travail, puisqu’ils pourront prendre des photos, voire rédiger des rapports de police. Ce peut être utile en cas de flagrant délit, mais pour d’autres situations, l’intérêt reste obscur.

En revanche, on distingue beaucoup de dérives possibles. Ne serait-ce qu’avec le Patriot Act, la police américaine dispose de larges moyens pour appréhender des gens. Un « doute raisonnable » suffit pour justifier un contrôle d’identité. Les Google glasses pourront enregistrer n’importe qui, en ce cas.

Autre problème : il faut que la police soit correctement formée à l’utilisation de cet outil, qui autrement pourrait plus gêner les agents qu’autre chose. De plus le policier aura une responsabilité extrêmement lourde à porter, et il n’est pas dit que l’accès à toutes ces informations privées n’aura pas d’impact sur sa capacité à mener une interpellation de manière déontologique.

La logique américaine aujourd’hui, à l’instar de la NSA, consiste dans l’accumulation de données : plus on collecte d’informations, plus on se dit que l’on sera assuré de ne « rien louper ». Mais trop d’informations peut empêcher de distinguer celle qui s’avère être capitale. Avec les Google Glasses utilisées par la police, le résultat sera le même : de plus en plus de personnes seront fichées, ce qui ne fera pas nécessairement baisser la criminalité.

Il est étrange que la police de New York passe par Google, une société dont le fonds de commerce est tout de même fondé sur l’exploitation des informations collectées. Les policiers se rendraient alors dépendants d’une seule société pour effectuer leur travail. Or on sait que Google a travaillé avec la NSA ; on ignore donc, au final, où seraient stockées toutes ces informations.

Lorsqu’une personne est arrêtée, le policier pourrait avoir accès à toutes les informations la concernant en temps réel. Quels problèmes cela pose-t-il en termes de respect de la vie privée ?

En vérité la vie privée n’existe plus ; l’individu est quasiment mis à nu, alors que dans bien des cas il n’a absolument rien à se reprocher. Les policiers qui contrôleraient une personne pour un fait divers auraient accès à l’historique de toute sa vie. Ce serait très clairement l’avènement du Big Brother numérique. N’oublions pas que les Google Glasses servent les intérêts de leur concepteur vis-à-vis de son moteur de recherche. Ces lunettes puiseront dans la capacité de recherche de Google, qui est aujourd’hui phénoménale. Et il est sûr et certain que les données finiront par être piratées. Des groupes comme Anonymous se sont déjà amusés à intervertir des informations ; le système Android n’est absolument pas sûr à 100 %.

Finalement, l’éventuelle adoption de Google Glasses par les policiers américains n’équivaudrait-elle pas à l’ajout de quelques caméras supplémentaires dans un espace public déjà largement surveillé ?

En théorie oui, mais en réalité on franchit une nouvelle étape. Il faudrait d’abord se demander si cela apporte réellement davantage de sécurité, et ce que devient cette quantité d’information. A Paris, ville toujours plus quadrillée par les caméras de surveillance, le ciblage de l’individu en temps réel avec toutes ses informations personnelles n’est pas encore à l’ordre du jour. Les Google Glasses, elles, donnent accès à une masse d’information pour l’instant inégalée.

Si les missions des policiers sont filmées par ces Google Glasses, cela veut-il dire que des personnes, qu’elles soient suspectées ou non d’avoir commis un crime ou un délit, peuvent se retrouver dans une base de données sans même le savoir ? Sait-on ce qu’il adviendra de toutes les données stockées ?

Aujourd’hui aux États-Unis, si un contrôle est mené à tort par des policiers, on n’a droit qu’à un simple mot d’excuse. On ne dispose d’aucune garantie que le policier équipé de Google Glasses, en cas de contrôle abusif ou erroné, supprimera l’information selon laquelle il a interpelé telle personne. De plus, les Google Glasses, comme tout autre outil technologique, peuvent être piratées. Les bases de données n’étant pas infaillibles, n’importe qui peut accéder à une masse d’information phénoménale sur un quartier ou une population donnée. A terme, ces informations peuvent être monnayées, même par la police, pour du ciblage publicitaire. Les forces de police éviteront de le faire dans un premier temps, car ce serait un mauvais calcul politique, mais qui sait de quoi l’avenir est fait, surtout quand la somme d’informations sera devenue conséquente…

Peut-on imaginer que les technologies s’améliorant, des policiers marchant dans la rue puissent avoir accès grâce à la reconnaissance faciale à toutes sortes d’informations sur les personnes rencontrées, sans même avoir à les arrêter ?

Tel est le but, à terme. On se dirige vers un système à la Minority report : acquérir toujours plus d’informations pour désigner des profils types de personnes suspectes. Plus la base de données sera riche, plus elle sera utilisée. A tel point que lorsque des policiers croiseront une personne qui n’est pas fichée, cette dernière semblera suspecte, car inconnue des services. Pourquoi n’a-t-elle pas été enregistrée avant ? Les dérives potentielles sont colossales, pour des résultats très faibles en comparaison.

Propos  recueillis par Gilles Boutin

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