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Ce que l’absence des entreprises françaises dans le classement international des plus gros investisseurs en recherche & développement nous révèle de l’avenir économique du pays
©Reuters

Recherche et Développement

Dans le contexte de la révolution numérique qui s'accentue chaque jour davantage, il est intéressant de suivre le classement des entreprises mondiales en fonction de leurs dépenses de Recherche et Développement (R&D). Une compilation récente des rapports annuels réalisée par Bloomberg confirme la suprématie de trois groupes. Tout d'abord Amazon (avec près de 23 milliards de dollars de R&D) puis Alphabet (la holding de Google) et Samsung.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Dans un graphique publié par Bloomberg listant les entreprises ayant les niveaux de dépenses les plus élevées en Recherche et Développement, il est possible d'observer que le seul acteur français est Sanofi, apparaissant à la 22e place sur un total de 25. Que révèle cette faible présence française de la structure de l'économie du pays ? 

Jean-Yves Archer : Effectivement, la place des entreprises françaises est très limitée même si une dynamique récente existe au niveau des ETI ou de filiales de grands groupes qui échappent parfois aux statistiques des classements de ce genre. Un détour par la comptabilité s'impose. Un détour par la géographie sera examiné en fin de contribution. Le budget R&D des grands groupes français n'est pas forcément exhaustif selon les états financiers publiés. On y décèle bien entendu les montants immobilisés mais il ne ressort pas les montants dédiés aux phases de pré-recherche qui sont alors comptabilisés en charges. Ceci provient d'une définition partielle des coûts de développement. Selon la norme IAS 38.6, "le développement est l'application des résultats de la recherche ou d'autres connaissances à un plan ou à un modèle en vue de la production de matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes ou services nouveaux ou substantiellement améliorés, avant le commencement de leur production commerciale ou de leur utilisation."

Pour simplifier, cela revient à tracer une frontière entre les activités "visant à obtenir de nouvelles connaissances" et le développement dit "expérimental". Alors, intervient un point véritablement important : selon le Plan Comptable Général en son article 311-3.4, bien souvent l'inscription en charges l'emporte sur la possibilité d'immobilisation des dépenses engagées. Selon l'avis du CNC N°2004-15, il faut distinguer la phase de recherche de la phase de développement. Ainsi, quand l'entreprise ne parvient pas à faire une distinction entre ces deux phases, la dépense engagée pour ce projet doit être considérée comme rattachée à la seule phase de recherche. Il y a donc, selon les cas, une évaporation statistique des dépenses de R&D suite à leur inscription partielle en charges. A l'appui de ce constat, je verse le classement notoirement illusoire de Total qui pointe officiellement à la 131ème place mondiale avec " seulement " 1,1 milliard de dépenses de R&D. Un tel chiffre est forcément incomplet au regard du périmètre des activités de ce géant pétrolier. Ce détour comptable n'explique pas "tout" le retard des groupes français qui a aussi été souligné par le "Global Innovation 1.000" établi par le cabinet Strategy&. Selon leur approche, on ne dénombre que 37 sociétés françaises au sein des 1.000 premiers mondiaux en matière d'innovation, terme qui est voisin mais pas totalement superposable à celui de R&D.

S'agissant de l'économie du pays, ce déficit comparé de R&D explique que notre compétitivité hors-prix (notamment via l'effet de gamme) soit mécaniquement altérée par le vieillissement de certains de nos produits. Au demeurant, il est loisible de constater que les groupes les plus talentueux sont ceux où la R&D est puissante : L'Oréal, Safran, SEB. Formons le vœu que le caractère très approprié de l'incitation fiscale qu'est le C.I.R (crédit impôt recherche) puisse faciliter l'avenir de la R&D française qui dépend aussi de la notion de filière et de la convergence des initiatives publiques et privées.

Certains secteurs comme l'automobile semblent "gourmands" de telles dépenses, il est ainsi possible d'observer que Volkswagen, Daimler, Ford ou Toyota figurent sur cette liste. Pourtant, les leaders français du secteur sont absents. Dans quelle mesure cette absence peut-elle être regrettée ? Faut-il y voir un symptôme ou une cause des difficultés qu'ont pu connaitre les acteurs français de ce secteur lors de ces dernières années ? 

Peugeot a davantage souffert de l'embargo nord-américain en Iran et de l'impact sur ses sites de fabrication que de son éventuel " gap " technologique. De la même manière, il a fallu que ce constructeur crédible réoriente sa fabrication en allégeant ses programmes diesel. Le cas de l'automobile est toutefois intéressant car il éclaire la notion de filière. Si l'on prend le cas de Valeo, depuis deux ans ( 2016 et 2017, source Inpi ) il est le premier groupe en matière de dépôts de brevets précisément devant PSA, puis Safran et le CEA et ses 1750 filiales ( dont certaines continuent hélas de travailler en silos et non en apports collaboratifs ). Dans la chaîne de valeur, un sous-traitant cardinal comme Valeo est donc porteur de R&D à hauteur de 1,2 milliard par an là où PSA dédie 2 mds et Renault 2,5 mds ( soit le 55ème rang mondial…).Clairement, l'analyse de la R&D ne peut se cantonner aux frontières juridiques sociétales, elle doit englober une vision inclusive du produit. Le taux d'innovation insérée est le paramètre-clef pour l'économiste.

Les deux leaders du classement, Amazon et Alphabet (Google) démontrent la supériorité technologique des Etats-Unis, alors qu'aucune entreprise européenne du secteur "tech" ne figure sur cette liste. Ne faut-il pas y voir une alerte pour les européens ? 

Il n'y a pas si longtemps, certains analystes financiers européens et singulièrement français ne misaient pas un sou sur Amazon qui était " en perte, sans business model crédible, etc ". Depuis deux ans, c'est un feu d'artifice et après la conquête des produits culturels, le géant américain noue dorénavant des alliances dans le commerce alimentaire ( Monoprix en France ) "and so on". Pour reprendre les enseignements de Michaël Porter ("L'avantage concurrentiel") dans les années 1990, on constate qu'il y a effectivement une prime au leader sur un marché. "The winner takes it all" est un adage que les succès des GAFAM confirment même si Facebook est actuellement à un carrefour de son destin.

Oui, vous avez raison, il y a une cote d'alerte pour les opérateurs européens d'autant que le cas de L'Oréal est instructif. Son Directeur international de la propriété industrielle ( Denis Boulard ) a récemment déclaré : " En revanche, on observe une diminution de la part des inventions provenant de nos centres de recherche en France. Ce déplacement du centre de gravité (sic ) qui est lié à notre organisation s'explique par l'essor et la créativité de nos équipes de recherche à l'international." Ceci conduit à étoffer la réflexion. En effet, les chiffres mondiaux de la R&D de L'Oréal seront peut-être moins marqués par une origine hexagonale dans un futur proche. Si la mondialisation entraîne des délocalisations de centres de R&D au même rythme qu'elle a fait déménager des sites de fabrication, "France is back" sera vite un slogan davantage qu'une réalité tangible et durable. La France peut réussir à l'image d'OVH qui est un concurrent non négligeable d'AWS, l'entité de stockage de données d'Amazon. Il demeure donc crucial que ce type de succès national ne passe pas sous pavillon étranger suite à un deal conduit par des banquiers d'affaires dont la densité intellectuelle et le talent ne sont plus à démontrer. La France a du mal à générer des licornes, raison de plus pour savoir les materner au point qu'elles soient les Michelin ou les Danone de demain.

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