Ce (petit) succès qui se cache derrière une productivité française en baisse<!-- --> | Atlantico.fr
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Qu’est-ce qui peut expliquer la baisse de la croissance de la productivité ?
Qu’est-ce qui peut expliquer la baisse de la croissance de la productivité ?
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Réalités économiques

Jamais le nombre de diplômés du supérieur en emplois n'a été aussi nombreux. Et pourtant la productivité baisse.

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Atlantico : A quel point observons-nous une baisse de la productivité à l’heure actuelle ?

Gilbert Cette : Il faut être précis, c’est un ralentissement de la productivité ou une baisse du taux de croissance de la productivité, pas réellement une baisse du niveau de la productivité sauf, très légère, sur les trois années 2000-2022. Cela apparait clairement sur les deux graphiques ci-dessous, élaborés sur la période longue 1890-2019 à partir des données que Antonin Bergeaud, Remy Lecat et moi-même avons construites.

On voit bien sur ces graphiques que c’est en fin de période que les gains de productivité sont les plus faibles, et ceci dans les principaux ensembles économiques avancés : les Etat-Unis, la Zone Euro, le Royaume-Uni et le Japon. Les vagues de croissance de la productivité diffèrent par moment dans ces différents ensembles, selon les spécificités historiques de chacun et leur avance ou retard dans le bénéfice des transformations technologiques du XXème siècle. Mais dans ces quatre ensembles, le taux de croissance de la productivité atteint sur la fin de période les niveaux les plus bas observés, hors bien sûr les années de guerre, sur cette très longue période.

Ce qu’on voit aussi, c’est qu’il en va de même pour les quatre plus grandes économies de la zone euro : les gains de productivité n’ont jamais été aussi faibles en période de paix que depuis le début du XXIème siècle.

Qu’est-ce qui peut expliquer cette baisse de la croissance de la productivité ?

Il est important de préciser que c’est un mouvement que l’on observe dans l’ensemble des pays avancés, quel que soit leur niveau de développement et la diffusion des technologies les plus avancées. C’est universel. Et la période Covid a renforcé la situation en Europe, alors que la productivité a plutôt légèrement accéléré aux Etats-Unis, elle a encore ralenti en Europe, et tout particulièrement en France. La vraie question qui se pose est la suivante : pourquoi observe-t-on cette baisse de la croissance de la productivité alors qu’on ne cesse de parler de révolution digitale. 

Une première explication vient du fait que nous sommes au terme de la deuxième révolution industrielle qui s’est étendue dans tous le XXe siècle et dans le même temps, nous ne bénéficions pas encore de tous les effets bénéfiques de la troisième révolution industrielle portée par les TIC et l’économie digitale. La phase d’installation et de diffusion de nouvelles technologies se traduit souvent par des effets retardés sur la croissance de la productivité au niveau global des économies nationales. L’effet maximum y est atteint le plus souvent au bout de plusieurs décennies, même s’il est rapidement très significatif au niveau de certaines entreprises. Par exemple, au début du XXème siècle, il a fallu cinq ou six décennies entre l’émergence du moteur électrique et l’apparition de gains de productivité très visibles à l’échelle nationale. 

Une autre explication qui s’ajoute à la précédente est que les contraintes financières se sont beaucoup allégées sur les trois dernières décennies. On le voit par exemple par l’évolution des taux d’intérêt réels qui n’ont cessé de baisser depuis 30 ans. L’accès au crédit s’est lui aussi beaucoup facilité. Et encore aujourd’hui, même avec le resserrement monétaire des banques centrales, nous observons des taux d’intérêt réels négatifs. Cette baisse des contraintes financières sur les dernières décennies facilite la survie d’entreprises peu performantes qui, sinon, auraient disparu. Cet effet démographique plombe la productivité moyenne au niveau national, d’autant que les entreprises peu performantes qui survivent du fait de contraintes financières en baisse captent des facteurs de production, dont de la main d’oeuvre parfois qualifiée, qui peuvent manquer à des entreprises plus performantes. Nous avons montré ce mécanismes dans différents travaux, Philippe Aghion, Antonin Bergeaud, Rémy Lecat et moi-même. Ce qu’il faut espérer, c’est que le retour à des gains de productivité plus fort grâce à la révolution digitale s’accompagne aussi d’un retournement sur les contraintes de crédit pour opérer un effet de sélection. Certes, quand les contraintes financières augmentent, il devient plus difficile de financer l’innovation, mais cet effet défavorable est actuellement dominé par l’autre effet de sélection que je viens d’évoquer.

Bien sûr, d’autres explications peuvent être évoquées, mais les deux précédentes me paraissent les plus importantes.

L’économiste Nicolas Goetzmann a déclaré « Curieux de s'alarmer de la baisse de la productivité en France ; elle s'explique par la hausse de 21.9% du nombre de 15-24 ans en emploi (59% du total des emplois créés) ». Faut-il effectivement nuancer la baisse de la productivité ?

Ce que je viens de vous expliquer sur la baisse du taux de croissance de la productivité concerne la longue période, plusieurs décennies, et tous les pays avancés. Ce qu’évoque cet économiste concerne un effet supplémentaire spécifique à la France sur les toutes dernières années. La productivité s’y ralentit un peu plus que dans les autres grands pays européens, et elle baisse même légèrement. Cet écart peut s’expliquer en partie par la réforme de l’apprentissage qui a permis à des jeunes encore peu qualifiés de rentrer sur le marché du travail. 

Sur les alternants, la Dares a estimé que leur prise en compte dans l'emploi expliquait 1/5 de la baisse de productivité par rapport à sa tendance pré-Covid. Est-ce bien cela ?

Les chiffres peuvent varier. L’évaluation de l’INSEE est un peu supérieure, mais toutes ces évaluations sont inévitablement fragiles. Cependant, il est clair qu’en France cela ajoute un effet spécifique à la baisse de la productivité.Il faut pourtant évidemment se féliciter d’une telle réforme de l’apprentissage en France. Notre pays pâtit d’un faible taux d’emploi des jeunes et des seniors, ce qui y abaisse le PIB par habitant et donc le revenu global. La réforme de l’apprentissage contribue à la hausse du taux d’emploi des jeunes. Même si l’augmentation du taux d’emploi des jeunes abaisse la productivité moyenne, elle contribue à augmenter le PIB par habitant et le revenu national. Si l’on veut avoir les moyens d’élever notre niveau de vie moyen, d’augmenter les salaires de enseignants, d’améliorer notre système de santé, il nous faut augmenter le taux d’emploi des jeunes et des seniors. La réforme de l’apprentissage est un levier pour augmenter le taux d’emploi des jeunes, celle des retraites en est un pour augmenter le taux d’emploi des séniors. 

Il est d’ailleurs utile de signaler que la productivité française demeure en niveau relativement élevée comparée aux autres pays avancés en partie parce que les moins productifs des personnes en âge de travailler y sont moins en emploi, par exemple les moins qualifiés et les jeunes. Nous avons un fort taux de chômage et un faible taux d’emploi des jeunes. C’est favorable à la productivité mais pas au niveau du PIB et au revenu global.

Jamais le nombre de diplômés du supérieur en emplois n'a été aussi nombreux. Et pourtant la productivité baisse. Pourquoi ?

Le taux de diplômés n’a pas cessé d’augmenter sur les dernières décennies, et il y a donc forcément plus de diplômés et de très diplômés en emploi. Nous avons rattrapé notre retard en la matière par rapport, par exemple, aux Etats-Unis, ce qui a joué favorablement sur la productivité moyenne. Mais depuis une quinzaine d’années notre productivité décroche par rapport aux Etats-Unis, comme celle des principaux pays de la zone euro. Voyons les choses positivement : ce décrochage nous indique que nous avons un potentiel d’enrichissement collectif sous le pied. Mais il nous faut, pour en bénéficier pleinement, engager les réformes structurelles adaptées.

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